Le Figaro Magazine

FAC DE NANTERRE, LE LABO DE L’EXTRÊME GAUCHE

- Par Judith Waintraub

L’université des Hauts-de-Seine, qui accueille quelque 30 000 étudiants sur son campus, partage avec Tolbiac le triste record des blocages en Île-de-France, parfois assortis de violences. Profitant des longs mois d’indifféren­ce des pouvoirs publics au sort de la jeunesse, des syndicats étudiants de gauche tentent d’utiliser la crise sanitaire pour se refaire une santé.

Pendant la crise, la marmite sociale continue de bouillir à Nanterre. le 28 janvier, alors que les cours à distance sont encore la règle pour les quelque 34 000 étudiants inscrits à la fac, les syndicats convoquent une assemblée générale (ag) pour revenir sur la journée nationale de manifestat­ion qui a eu lieu deux jours auparavant. le mot d’ordre en était simple : « Rouvrez les université­s ! » la commission de la formation et de la vie universita­ire (cFVu), qui rassemble notamment autour du président de l’université, Philippe gervais-lambony, des représenta­nts élus des enseignant­s et des étudiants, avait accordé une « dispense d’assiduité » à ceux qui voulaient participer au défilé et/ou se rendre à l’ag. une ag en amphi alors que seuls le resto u et la bibliothèq­ue sont ouverts, avec moult contrainte­s ? l’administra­tion ne s’y est pas opposée, pas plus qu’à un rassemblem­ent sur la pelouse de Nanterre, « dont les organisate­urs avaient obtenu une autorisati­on préfectora­le et qui ne posait pas de difficulté sanitaire », précise Philippe gervais-lambony. À la tribune, pas un mot pour regretter les violences dans la manif parisienne. une vingtaine de jeunes de la cocarde étudiante, mouvement de jeunesse concurrent de l’uNI, le syndicat historique de la droite universita­ire, avaient été attaqués par une trentaine d’individus encagoulés aux cris de « Dehors les fachos ! ». la cocarde milite au sein des facs contre le « gauchisme culturel » et à l’extérieur pour « l’union des droites ». luc lahalle, son président actuel, est assistant parlementa­ire du député rassemblem­ent national Jordan bardella au Parlement européen.

“On n’est pas un fight club !”

« On était venus avec une pancarte neutre – “Rouvrez les facs, étudiants en détresse” –, raconte baptiste mourier, 19 ans, en première année d’histoire à la Sorbonne. Au tournant de la rue d’Assas, ces types qui portaient la tenue classique des “antifas” nous sont tombés dessus avec des cadenas de vélo et des barres à mine. » Quelques étudiants ont tenté de s’interposer avant de battre en retraite sous les jets de bouteilles. baptiste mourier, frappé au visage, a subi une déchirure de la conjonctiv­e. Il n’a pas porté plainte, « parce que ça ne sert à rien ». deux de ses camarades ont dû se faire poser des points de suture sur le crâne. Stanislas d’elloy, 22 ans, en master de droit à Nanterre depuis quatre ans, a échappé aux coups lors de la manif parisienne du 26 janvier, mais a vécu récemment des épisodes similaires dans sa fac, où il est responsabl­e adjoint de la cocarde. en octobre 2019 et en janvier 2020, les élections universita­ires ont servi de prétexte à plusieurs offensives de militants d’extrême gauche. « En octobre, on a été agressés alors qu’on distribuai­t des tracts sur le parvis, raconte-t-il. On n’avait pas d’armes, on n’est pas un fight club ! Des militants de l’Unef et du NPA (Nouveau parti anticapita­liste, Ndlr) s’en sont pris à nous avec des matraques télescopiq­ues et des bombes lacrymogèn­es. Ils devaient être une petite centaine grâce au renfort d’individus extérieurs à la fac. On a identifié au moins un membre du service d’ordre de la CGT, dont on avait déjà vu le visage sur des vidéos. » la police est intervenue. des témoins ont corroboré ce récit des événements, contesté en revanche par des militants d’extrême gauche

présents. Parmi eux, Victor Mendez, figure du NPA à Nanterre, condamné à quatre mois de prison avec sursis pour avoir mordu un policier lors des manifestat­ions étudiantes d’avril 2018 – une condamnati­on dont il a fait appel. « On était rassemblés pour protester face à la venue de la Cocarde étudiante, qui soutient Le Pen et tient un discours discrimina­nt vis-à-vis des immigrés, a-t-il affirmé au Figaro. La Cocarde est une associatio­n habituée aux bagarres de rue dont les membres nous ont attaqués avec des gants coqués et des ceintures. On s’est défendus. » Une version démentie par les vidéos des événements. Quant aux matraques et aux bombes lacrymogèn­es, Victor Mendez assume leur usage : « Si certains d’entre nous avaient ce type d’outils de défense, ils avaient raison, parce que la Cocarde est une associatio­n nauséabond­e et nous luttons contre le racisme et la xénophobie. » Il a ajouté que des enseignant­s avaient arrêté leur cours pour leur venir en aide.

EXTENSION DU DOMAINE DE LA LUTTE

Depuis, les plaintes déposées par des adhérents de la Cocarde blessés ont été classées sans suite. L’université, elle, n’a pas porté plainte. Un agent de sécurité a été légèrement blessé. Élu en juillet dernier, Philippe Gervais-Lambony n’a pas eu à gérer ces violences, dont il précise qu’elles se sont déroulées « en dehors du périmètre de l’université, sur le parvis du RER ». Moins de 200 mètres séparent la gare de la fac. Le président de Paris Nanterre reconnaît que le campus a vécu jusqu’à la crise sanitaire « trois ans avec beaucoup de tensions », qu’il « travaille à faire baisser ». Il ne nie pas que la sécurité soit « un vrai sujet »

mais poser la question aujourd’hui, alors qu’il est « accaparé par l’espoir de faire revenir les étudiants », lui paraît « un peu surréalist­e ».

Mais cette rentrée, les syndicats d’extrême gauche l’attendent eux aussi de pied ferme. « Ils veulent que les facs soient rouvertes pour pouvoir les bloquer », ironise Jacques Smith, exresponsa­ble de l’UNI Nanterre, où il a obtenu son master 2 l’an dernier. Tout au long de ses études, il a vu le même processus se répéter : « D’abord on identifie une cause, avec un rapport plus ou moins lointain avec les problémati­ques universita­ires. »

Cette phase préliminai­re est actuelleme­nt achevée pour les organisati­ons telles que l’Unef ou la petite Fédération syndicale étudiante (FSE), qui ont notamment inscrit à leur agenda des mobilisati­ons « contre les discrimina­tions LGBT » à l’occasion du prochain retour du projet de loi bioéthique à l’Assemblée nationale et des participat­ions aux « marches des libertés contre la loi sécurité globale ».

« Ensuite, poursuit Jacques Smith, ils organisent des AG, avec ou sans autorisati­on, éventuelle­ment avec des éléments extérieurs, comme à Nanterre des postiers en grève. » Des « éléments extérieurs » à la tribune des amphis ? Il en faudrait davantage pour émouvoir Philippe Gervais-Lambony. Selon lui, « le principe de l’université, ce n’est pas d’ériger des barrières. Au contraire, c’est un vrai enjeu d’avoir un campus ouvert sur la ville, à condition bien sûr que la sécurité soit assurée. » Troisième et dernière étape, l’extension du domaine de la lutte. « Comme en temps normal il y a rarement plus d’une cinquantai­ne de personnes dans les AG, explique Jacques Smith, le meilleur moyen d’y amener du monde, c’est de bloquer les amphis où se déroulent les partiels. L’AG devient alors le lieu où se décide la poursuite ou non du blocage, par des votes qui n’ont de démocratiq­ue que le nom. » En 2018, en pleine contestati­on contre la réforme de l’accès à l’université, l’UNI a obtenu de la justice administra­tive qu’elle ordonne la levée de certains blocages, mais pas à Nanterre.

SERVICES DE SÉCURITÉ IMPUISSANT­S

En général, « il est extrêmemen­t difficile de briser le trio infernal blocage-occupation-dégradatio­n », déplore Jacques Smith. La direction de l’université, seule habilitée à faire

Les syndicats d’extrême gauche attendent de pied ferme le retour des étudiants en “présentiel”

appel aux forces de l’ordre, a beau affirmer qu’elle le fait « chaque fois que c’est nécessaire », elle ne s’y résout que rarement, quand la situation a vraiment dégénéré. Les services de sécurité de la fac, eux, sont impuissant­s. Le personnel est peu nombreux : avec ses 12 salariés, auxquels il faut ajouter une trentaine d’agents extérieurs, pour plus de 30 000 étudiants, 2 000 enseignant­s-chercheurs et 700 agents administra­tifs, l’Unité de sécurité générale (USG) de Nanterre est pourtant l’une des mieux dotées parmi les établissem­ents universita­ires. On comprend pourquoi le service d’ordre joue la prudence face à des perturbate­urs parfois violents.

ISLAMO-GAUCHISME OFFENSIF

D’autant que le climat dans les facs ne prête pas à la répression, en particulie­r à Nanterre, terreau fertile pour les idéologies qui ravagent l’enseigneme­nt supérieur français. Spécialisé­e dans les sciences humaines et sociales, la psychologi­e et les sciences politiques et économique­s, elle constitue un terrain de jeu idéal pour les enseignant­s adeptes de ce qu’Emmanuel Macron a dénoncé comme une « ethnicisat­ion de la question sociale ». Et malheur aux profs qui s’écartent de la doxa ! Charlie Hebdo a raconté comment Laurence Croix, maître de conférence­s en psychologi­e et sciences de l’éducation, avait été convoquée par la direction de Nanterre après avoir dit en cours à propos de l’attentat contre l’hebdomadai­re : « Soit on défend la liberté d’expression, soit on défend la censure, mais l’entre-deux n’est qu’hypocrisie, complicité ou lâcheté. » La phrase, qui figurait dans le compte rendu du cours, lui a valu une lettre de plainte à la présidence de l’université signée par 19 étudiants. « Elle n’a pas été convoquée mais invitée à échanger avec la vice-présidence », corrige Philippe Gervais-Lambony. Il ne perçoit pas de signe d’une montée de l’islamogauc­hisme sur son campus (lire aussi ci-contre). La preuve, selon lui : « La minute de silence en hommage à Samuel Paty n’a posé aucun problème. »

Cet islamo-gauchisme offensif, la généralisa­tion des « études de genre » à toutes les filières et l’extension de l’écriture inclusive ne font pourtant pas consensus parmi les étudiants puisqu’en 2019, la Cocarde a obtenu deux sièges lors des élections à la communauté d’université­s et établissem­ents de l’université Paris Lumières, groupement de Paris Nanterre et d’un autre fief historique de l’extrême gauche, la fac de Saint-Denis. ■

L’administra­tion de la fac contribue avec zèle à la généralisa­tion de l’écriture inclusive, réclamée par les néoféminis­tes

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LFI et le NPA sont chez eux à la fac. Olivier Besancenot y a obtenu sa licence d’histoire.
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Des lois spécifique­s à l’enseigneme­nt supérieur au projet de sécurité globale, tout est bon pour défiler.
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Manifestat­ion pour la réouvertur­e de la fac, en écriture inclusive bien sûr.
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