LES CLÉS POUR COMPRENDRE
Après cinq ans de démocratie relative, les militaires birmans ont repris le pouvoir. Aung San Suu Kyi, dirigeante de facto
du gouvernement, a été arrêtée. Le général
Min Aung Hlaing, commandant en chef des armées et instigateur du coup d’État, est le nouvel homme fort du pays.
1 UN DEMI-SIÈCLE DE DICTATURE
Ce qui s’est passé en Birmanie, le
1er février, n’est pas une dérive mais une constante. depuis son indépendance en 1948, l’ex-colonie britannique n’a guère eu le temps de s’accoutumer à la démocratie. dès 1962, un coup d’état porte le général ne Win au pouvoir. les juntes militaires se succéderont pendant un demi-siècle, muselant toute forme d’opposition au nom de l’intérêt supérieur de l’état et de l’intégrité du territoire. la junte militaire, essentiellement composée de Bamars (l’ethnie majoritaire), a construit l’identité de la Birmanie postcoloniale sur trois piliers : nationalisme, socialisme et bouddhisme. tous ceux qui n’entrent pas dans ce triptyque sacré n’ont pas voix au chapitre. C’est notamment le cas des 135 peuplades minoritaires (qui constituent le tiers de la population totale et sont disséminées à la périphérie, dans les zones frontières), dont les plus importantes comme les shans ou les Karens – chrétiens – se sont longtemps battues les armes à la main contre l’assimilation forcée. même la transition démocratique entamée en 2015 n’a pas pu régler cette question ethnico-religieuse : la persécution des rohingyas musulmans l’a amplement démontré.
2 L’ARMÉE, UN ÉTAT DANS L’ÉTAT
« Certains pays ont une armée ; certaines armées ont un pays », dit le proverbe. tel est le cas de la Birmanie. avant de libérer aung san suu Kyi (après vingt ans de résidence surveillée !) en 2010 et d’autoriser des élections libres, l’armée s’était fait rédiger une Constitution sur mesure en 2008. Celle-ci lui garantit
25 % des sièges au Parlement et trois ministères clés : Intérieur, défense et Frontières. elle l’autorise aussi à décréter l’état d’urgence en cas de « menaces sur la démocratie ». C’est justement cet article que les auteurs du coup d’état ont invoqué pour démettre et arrêter le président actuel, ainsi que sa « conseillère spéciale », euphémisme désignant la véritable patronne du gouvernement : aung san suu Kyi. le parti de cette dernière, la ligue nationale pour la démocratie, avait obtenu plus de 80 % des voix au scrutin législatif de novembre 2020. de quoi menacer la toute-puissance de l’armée, qui a mis le pays en coupe réglée et contrôle tous les marchés juteux (gaz, hydroélectricité, bois précieux, jade, rubis, saphir, etc.). Prétextant des « fraudes électorales », son commandant en chef et trésorier officieux, le général min aung Hlaing a donc décidé d’arrêter la plaisanterie…
3 DÉSOBÉISSANCE CIVILE ET CONDAMNATIONS INTERNATIONALES
les militaires semblent toutefois avoir sous-estimé la popularité d’aung san suu Kyi, prix nobel de la paix en 1991. Inculpée sous la fallacieuse accusation d’avoir « importé et utilisé illégalement des équipements de réception et de transmission radio » (en l’occurrence, une dizaine de talkies-walkies pour son équipe de sécurité !), elle a été assignée à résidence dans la capitale, naypyidaw. depuis cette arrestation, les manifestations sont quotidiennes, attirant jusqu’à 100 000 personnes à rangoon lundi 8 février. Concerts de casseroles et de klaxons, cortèges réclamant la libération de « daw suu » (madame suu), grèves dans les facultés et les hôpitaux : la désobéissance civile ne faiblit pas. la junte a bien tenté d’étouffer le mouvement en ordonnant au fournisseur d’accès – propriété de l’état – de bloquer Facebook, twitter et Instagram, mais rien n’y fait ! À l’étranger, la condamnation est quasi unanime, à une exception notable : la Chine. Car la république populaire et l’armée birmane sont étroitement (et pas toujours légalement) associées dans l’exploitation économique du pays. entre une opposition qui lorgne vers l’occident et des galonnés complices voire dociles, Pékin a fait son choix…