LA PAGE HISTOIRE
Dégrader ou détruire une statue est un double attentat : contre le patrimoine, et contre l’Histoire.
Le 25 mai 2020, la mort de George Floyd, un Noir américain, lors d’une intervention effectuée par un policier blanc à Minneapolis, dans le Minnesota, donnait un coup d’accélérateur au mouvement black Lives Matter, qui se donne pour but de combattre le « racisme systémique » dont seraient victimes les gens de couleur, aux Étatsunis, un demi-siècle après l’abolition des dernières ségrégations raciales. en France, l’émotion provoquée par ce crime donnait lieu à une instrumentalisation analogue de la part du courant indigéniste, nébuleuse d’extrême gauche qui interprète les relations sociales en termes raciaux et en se focalisant sur la discrimination qui existerait entre Noirs et blancs, en occident, depuis la traite négrière. un des modes d’action les plus spectaculaires de ce mouvement a consisté, des deux côtés de l’atlantique, à s’en prendre aux statues de personnages autrefois glorifiés et aujourd’hui considérés comme maudits, parce qu’ils symboliseraient l’esclavagisme et la colonisation. aux États-unis, ce sont surtout des figures sudistes qui ont été prises pour cibles, ou encore Christophe Colomb, accusé d’être à l’origine de la domination de l’homme blanc en amérique. sur le territoire français, outre-mer ou en métropole, ce sont des statues de Victor schoelcher, Joséphine de beauharnais, Colbert, Napoléon, de Gaulle ou bugeaud qui ont été vandalisées, parfois irrémédiablement détruites. Professeur émérite à l’université de Lille-iii, Jacqueline Lalouette tient un compte minutieux des dégradations opérées, en rappelant la raison – réelle ou fantasmée – de la vindicte dont ces personnages sont rétrospectivement victimes. si ce recensement n’est pas sans intérêt, le livre déçoit car il faut attendre la conclusion pour que l’auteur aborde, de façon prudentissime, les questions qui fâchent. L’historienne rappelle, par exemple, que la statue de Colbert qui a été peinturlurée devant l’assemble nationale représentait le grand ministre non avec le « code noir », texte qu’il n’a ni rédigé ni signé, mais le plan des invalides. « On peut se demander, note Jacqueline Lalouette, s’il n’y a pas des abus de la mémoire. » C’est le moins que l’on puisse dire à propos de la manipulation de l’histoire par des idéologues que l’anachronisme ne dérange pas.
Les Statues de la discorde, de Jacqueline Lalouette, Passés composés,
240 p., 17 €.