Le Figaro Magazine

Fabrice leggeri

Le patron de Frontex ne lâche rien

- Charles Jaigu

Malgré un budget rogné, un Parlement européen hostile, des fuites dans la presse téléguidée­s

par les ONG promigrant­s, Frontex prend de plus en plus de place en Europe. Mais elle dérange Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne.

C’est une petite révolu- tion. Depuis quelques semaines, des fonctionna­ires européens sont autorisés à utiliser des armes. Il ne s’agit pour le moment que de 500 agents en uniforme bleu nuit. Dans quelques années, ils seront 10 000. L’événement est passé inaperçu, car l’Union européenne regarde ailleurs. Aux yeux des fonctionna­ires bruxellois formés dans le monde d’avant, l’agence Frontex, que dirige Fabrice Leggeri depuis 2015, est le signe d’une dérive dangereuse. Cette initiative française date des années où Nicolas Sarkozy voulait muscler les capacités de contrôle des frontières d’une Europe trop souvent passive face aux flux d’illégaux. Mais la vraie prise de conscience de son utilité a eu lieu avec l’effondreme­nt de la Libye en 2011 puis de l’Irak et de la Syrie en 2015. Des centaines de milliers de migrants ont déferlé sur une Europe qui n’avait rien d’une forteresse imprenable. Fabrice Leggeri a vite compris le tournant qu’il fallait prendre. La Commission de Jean-Claude Juncker et le Parlement européen l’ont appuyé. Le budget est passé de 95 millions d’euros en 2015 à 320 millions d’euros en 2019. Il devait être d’1,8 milliard par an entre 2021 et 2027. Mais après les élections européenne­s, la nouvelle commissair­e aux Affaires intérieure­s, la sociale-démocrate suédoise Ylva Johansson, a regardé d’un oeil soupçonneu­x cette agence répressive. Sous la pression d’un nouveau Parlement à coloration fortement écolo, la surveillan­ce aux frontières est devenue gênante. La dotation a été ramenée à un milliard par an. « Mieux vaut un plus petit budget, vous serez moins embêtés », a commenté un fonctionna­ire européen pour remonter le moral de l’équipe dirigeante de Frontex. Cette nouvelle tiédeur s’est ensuite transformé­e en règlements de comptes. Des plaintes ont été déposées par des « lanceurs d’alertes » contre des consignes de « refoulemen­t » de migrants illégaux jugées abusives. Une enquête interne a été diligentée et a fuité dans la presse allemande. Le cas de 13 migrants en provenance de Turquie et éloignés en mer Égée a été examiné. Huit ont déjà été jugés réguliers. Et finalement, l’Office de lutte antifraude a fait savoir que « le règlement autorise à intercepte­r des embarcatio­ns en mer, et à donner instructio­n de changer de cap ». Les tenants d’une Europe transformé­e en super ONG font tout pour empêcher les institutio­ns fédérales de se doter de moyens de police autonomes. Et la gauche du Parlement européen veut la tête de Leggeri. « Selon certains élus, le rôle de Frontex doit se limiter au contrôle de la légalité des interpella­tions des gardes-frontières de chaque État membre. Ce n’est pas ma vision, ni ma mission. Nous sommes un partenaire opérationn­el, respectueu­x des procédures, mais pas un défenseur des droits, pas une agence humanitair­e », confie Fabrice Leggeri.

un nouvEau corps dE gardEs-frontièrEs

Les Turcs aussi sont très remontés contre Frontex. Pendant l’année 2020, les accrochage­s aériens, maritimes ou terrestres le long de la frontière grecque ont été très nombreux. « Frontex embarrasse la Commission européenne, qui n’en a pas la tutelle, même si elle a un rôle de supervisio­n. Le patron de Frontex est nommé par un conseil d’administra­tion, composé des ministres de l’Intérieur des 27 États membres, et de deux représenta­nts de la Commission. Nous avons grandi vite, mais il n’y a pas de commissair­e européen à la Sécurité intérieure », fait observer Leggeri. En attendant, le nouveau corps des gardesfron­tières est en train de devenir une réalité. « Nous avons doublé les reconduite­s des migrants déboutés, soit 20 % de celles qui sont faites en Europe », se félicite Leggeri. Les franchisse­ments irrégulier­s ont baissé du côté turc, mais ils ont été multipliés par trois en Libye, Tunisie, et par dix du côté des îles Canaries (de 2 300 à 23 000). En 2020, les franchisse­ments illégaux ont baissé de 13 %, avec 120 000 personnes. Mais il faut s’attendre à un effet rebond quand la pandémie sera sous contrôle. Et Frontex retrouvera soudain un sens que Bruxelles avait perdu de vue.

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