AUSCHWITZ MON AMOUR
Sur un roman aussi important que « Serge » de Yasmina Reza, il faut soit être le premier à en parler, soit le dernier. Notre chroniqueur a choisi la seconde option.
Ce qu’invente Yasmina reza dans Serge, son nouveau roman, est une nouvelle forme de monologue intérieur, dans lequel elle intègre son sens du croquis rapide et son art théâtral de la réplique mortelle : « Tu sais que la vieillesse c’est du jour au lendemain ? » elle a eu l’idée la plus dingue de l’année : écrire la première comédie sur auschwitz. roberto benigni a essayé en 1997
(La vie est belle) mais Mme reza va plus loin que lui. au lieu de mettre en scène un père maquillant le camp d’extermination en parc d’attractions pour rassurer son fils, elle entraîne une famille juive dans le véritable Disneyland : le « Memorial and Museum », aujourd’hui, en Pologne. imaginez un film de bacri-Jaoui à auschwitz-birkenau, avec les engueulades entre frères et soeurs (serge, Nana et Jean Popper) devant les fours crématoires où leur famille hongroise a été incinérée. Le soleil brille alors qu’ils voudraient grelotter. il y a trop de fleurs car « le Juif est un bon engrais ». Le meilleur restau d’auschwitz est une pizzeria. La vie continue à Oswiecim, comme à Hiroshima. C’est à la fois vrai et insupportable. L’auteur de Conversations après un enterrement (1987) a osé le livre impossible à écrire depuis quatre-vingts ans. si Claude Lanzmann vivait toujours, il aurait peut-être hurlé « touche pas à ma shoah » ou au contraire applaudi comme il le fit au chefd’oeuvre de László Nemes, Le Fils de Saul (2015). Les écrivains français qui se sont aventurés sur ce terrain ne sont pas nombreux. Jonathan Littell bien sûr, plongeant dans le cerveau d’un massacreur avec Les Bienveillantes en 2006. Yannick Haenel, dans Jan Karski (2009), souligna l’insoutenable lenteur des américains à intervenir. Olivier Guez exposa la cavale de Mengele et la protection allemande dont a bénéficié le tortionnaire de ce camp (prix renaudot 2017). Chaque roman fait avancer notre compréhension de l’incompréhensible. avant Serge, la seule plaisanterie acceptable sur auschwitz était une pique de Carol Marcus à son mari, l’acteur Walter Matthau, après une visite du camp où ils s’étaient disputés : « You ruined my trip to Auschwitz. » Yasmina reza parvient miraculeusement à garder la même note, désespérément absurde, pour composer un pied de nez à la décrépitude et à la mort. Puisque les survivants directs disparaissent, c’est aux écrivains de prendre le relais, non par devoir de mémoire, mais par goût de la liberté, afin d’introduire du léger dans le tragique, même si c’est choquant, surtout si c’est choquant. N’est-elle pas là, la vraie défaite de Hitler ?
Serge, de Yasmina Reza, Flammarion, 234 p., 20 €.