LA CHRONIQUE
Le nivellement par le bas a de beaux jours devant lui. On croyait naïvement que l’échec de certaines initiatives dans le monde anglo-saxon avait vacciné les beaux esprits qui nous gouvernent. Par exemple, la démarche ayant conduit les éditeurs de la célèbre série de la Bibliothèque rose, Le Club des Cinq, à simplifier la langue utilisée et à débarrasser les aventures de François, Mick, Claude, Annie et Dagobert de toute référence à ce que notre époque juge désormais détestable : le sucre, les sacs plastiques, les piles non rechargeables dans les lampes électriques, les bateaux au mazout, les fruits non bio, etc. Il faut croire que les lecteurs, fussent-ils jeunes, sont plus intelligents qu’on le croit : privés en outre de passé simple, de métaphores éclairantes et du pronom « nous » (remplacé par un « on » tellement plus moderne car sans identité…), ils ont boudé les romans d’Enid Blyton à la sauce postmoderne. Et, par là, envoyé un message aux chantres d’un avenir sans passé qui nierait notre histoire, notre culture, notre langue, notre style. Ce message est simple : ne vous avisez pas à transformer nos propres oeuvres classiques en bouillabaisse ! Ne transformez pas la première phrase des Rêveries du promeneur solitaire en « je marche seul ». Ni celle de L’Étranger en « ma reum, elle est dead ». Ni celle d’Aurélien en « Aurélien, à la base, ne kiffait pas du tout Bérénice. » Et pitié, ne songez pas une seconde à changer le début du Rouge et le Noir : « Descendu de cheval, il allait le long des noisetiers et des églantiers, suivi des deux chevaux que le valet d’écurie tenait par les rênes, allait dans les craquements du silence, torse nu sous le soleil de midi, allait et souriait, étrange et princier, sûr d’une victoire. »
On n’exagère pas nos craintes. Récemment a été lancée une initiative iconoclaste de ce type. On a demandé à dix jeunes auteurs, avec la bénédiction de la Comédie-Française, de réécrire les pièces de Molière dans un français supposé « plus accessible ». Mais y a-t-il « plus accessible » que « il faut manger pour vivre et non vivre pour manger », « qui veut noyer son chien l’accuse de la rage » ou « la grande ambition des femmes est d’inspirer de l’amour » ?