Le Figaro Magazine

LA CHRONIQUE

- de François d’Orcival

Le nivellemen­t par le bas a de beaux jours devant lui. On croyait naïvement que l’échec de certaines initiative­s dans le monde anglo-saxon avait vacciné les beaux esprits qui nous gouvernent. Par exemple, la démarche ayant conduit les éditeurs de la célèbre série de la Bibliothèq­ue rose, Le Club des Cinq, à simplifier la langue utilisée et à débarrasse­r les aventures de François, Mick, Claude, Annie et Dagobert de toute référence à ce que notre époque juge désormais détestable : le sucre, les sacs plastiques, les piles non rechargeab­les dans les lampes électrique­s, les bateaux au mazout, les fruits non bio, etc. Il faut croire que les lecteurs, fussent-ils jeunes, sont plus intelligen­ts qu’on le croit : privés en outre de passé simple, de métaphores éclairante­s et du pronom « nous » (remplacé par un « on » tellement plus moderne car sans identité…), ils ont boudé les romans d’Enid Blyton à la sauce postmodern­e. Et, par là, envoyé un message aux chantres d’un avenir sans passé qui nierait notre histoire, notre culture, notre langue, notre style. Ce message est simple : ne vous avisez pas à transforme­r nos propres oeuvres classiques en bouillabai­sse ! Ne transforme­z pas la première phrase des Rêveries du promeneur solitaire en « je marche seul ». Ni celle de L’Étranger en « ma reum, elle est dead ». Ni celle d’Aurélien en « Aurélien, à la base, ne kiffait pas du tout Bérénice. » Et pitié, ne songez pas une seconde à changer le début du Rouge et le Noir : « Descendu de cheval, il allait le long des noisetiers et des églantiers, suivi des deux chevaux que le valet d’écurie tenait par les rênes, allait dans les craquement­s du silence, torse nu sous le soleil de midi, allait et souriait, étrange et princier, sûr d’une victoire. »

On n’exagère pas nos craintes. Récemment a été lancée une initiative iconoclast­e de ce type. On a demandé à dix jeunes auteurs, avec la bénédictio­n de la Comédie-Française, de réécrire les pièces de Molière dans un français supposé « plus accessible ». Mais y a-t-il « plus accessible » que « il faut manger pour vivre et non vivre pour manger », « qui veut noyer son chien l’accuse de la rage » ou « la grande ambition des femmes est d’inspirer de l’amour » ?

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France