AU CHÂTEAU DE VERSAILLES, TRAVAUX EN COUR
LE CHÂTEAU, BIEN QUE PRIVÉ DE SES MILLIONS DE VISITEURS PENDANT LA CRISE, DEMEURE UNE VÉRITABLE “VILLE DANS LA VILLE”
Malgré la crise ayant entraîné la fermeture des lieux et malgré les protocoles sanitaires, les travaux engagés se poursuivent dans la demeure royale. Chapelle restaurée, jardins réaménagés, salles d’expositions remises à neuf… C’est un site transformé qui attend les prochains visiteurs.
Fermé au public, mais ouvert pour travaux. En dépit de la crise sanitaire, le château de Versailles est loin de renvoyer cet hiver l’image d’un site figé ou d’un bel endormi. Dès la cour d’entrée se repèrent des ouvriers qui s’activent afin de finaliser les travaux d’envergure réalisés depuis trois ans à l’extérieur de la chapelle. Chacun scrute avec soin un nouveau lot de matériaux destinés à remplacer les parties endommagées de l’édifice. Au total : 200 000 m3 de pierres de Saint-Leu ou de Saint-Maximin, soit l’équivalent de 400 tonnes, ont été réceptionnés. Des sculptures, provenant de carrières de Bourgogne, ont pareillement vocation à trouver place dans les airs. Jusqu’à 46 m de hauteur.
Sur un échafaudage tout proche, la directrice du patrimoine Sophie Lemonnier admire une représentation sacrée, légèrement abîmée mais non susceptible d’être transformée. « Il vaut toujours mieux garder une pièce originale dans son jus. Il y a cinquante ans, on se posait moins la question », souligne-t-elle. La restauration de la charpente, dont la base atteint 320 m2 et dont l’architecture rappelle celle d’un bateau, représente le meilleur symbole du savoir-faire français pour pérenniser les oeuvres du passé. « Les calculs étaient bien moins optimisés à l’époque. D’où la grande quantité de matière présente sur place », note Stéphane Masi, chef d’orchestre d’un travail titanesque de consolidation.
Le sommet, habituellement dilué dans la surface du ciel, scintille désormais d’un superbe éclat doré depuis les jardins (partiellement ouverts). La pandémie n’a en rien bouleversé les délais prévus. « Une centaine d’artisans, issus de tous les corps de métier, a été mobilisée pour mener à bien ce projet, déclare Catherine Pégard, présidente de l’Établissement public. Il s’agit de notre plus important chantier depuis la restauration de la galerie des Glaces. Notre ambition, pour chacun d’entre eux, consiste à être prêts dans les temps. Quelles que soient les circonstances, un jour perdu aujourd’hui est un jour perdu demain. » Un même ballet de restaurateurs est observé aux quatre coins du domaine. À l’image des appartements en réfection du Dauphin ou du Bosquet de la Reine. Malgré la fraîcheur du temps, son aménagement bat son plein après avoir été l’objet de dix années d’études préliminaires.
LE DERNIER MOT DES CONSERVATEURS
La politique de la direction, visant à ouvrir le maximum d’espaces aux foules, se poursuit presque comme si de rien n’était. Au pas de charge. « Nous sommes un peu comme un grand navire au mouillage, précise l’administrateur
LA POLITIQUE DE LA DIRECTION DU MUSÉE-PALAIS, VISANT À OUVRIR LE MAXIMUM D’ESPACES AU PUBLIC, SE POURSUIT AU PAS DE CHARGE
Thierry Gausseron. L’activité y est intense même à l’encre. L’équipage travaille à bord – ou à distance – pour remettre en état et améliorer ce qui peut l’être avant l’appareillage prochain. » Même mouvement au coeur de la chapelle. Une équipe de trois personnes procède à l’électrification de l’ensemble. Le défi est de taille, puisque seuls quelques spots avaient été placés jusque-là le long des voûtes. Rien à voir avec le nouveau dispositif ultrasophistiqué, dont profiteront bientôt les amateurs de musique sacrée. « On dénombre près de 2 km de câblage et 400 projecteurs, détaille Lionel Coutou, en charge du chantier. Le but, c’est d’obtenir une lumière naturelle et de répondre aux instructions des architectes et des conservateurs qui ont le dernier mot. » Une extrême précision est de rigueur, la grue « araignée » de 30 m approchant de quelques centimètres seulement l’orgue ou les fresques.
UNE SENSATION HORS DU TEMPS
À la sortie de la chapelle, une silhouette se faufile dans la Galerie de pierre basse. Elle rejoint l’enceinte de l’opéra. À son programme : une répétition de La Senna festeggiante de Vivaldi, qui enrichira la liste des captations effectuées dans ce cadre exceptionnel sur un rythme de plus en plus soutenu. D’abord lointains, les accords se rapprochent. Pénétrer dans le majestueux décor, puis y découvrir une vingtaine de musiciens en pleine action, offre une bouffée d’oxygène inattendue en cette période de privations. Rien n’est laissé au hasard dans la programmation. « La musique devant correspondre au lieu, nous allons de Monteverdi à Mozart », insiste Laurent Brunner, directeur du château de Versailles Spectacles. Sur scène, les musiciens ne boudent pas leur plaisir d’exercer leur art, sous le regard conquis de quelques curieux. Le château, plus que jamais, donne le sentiment de se trouver hors du temps.
Loin d’être plongés dans la pénombre ou le silence, les appartements royaux attirent toute l’attention du personnel d’entretien, prompt à nettoyer les imposants rideaux et à détecter leurs moindres usures liées à leur exposition à la lumière. « Nous avons davantage de temps pour réaliser des travaux de fond », note Agathe Strouk, qui impulse la manoeuvre. De l’une des six fenêtres du salon de la Paix, la perspective du grand canal offre un spectacle toujours aussi grandiose. Spectacle immuable. Un léger écho se fait soudain entendre. À quelques mètres de là, quatre spécialistes déplacent sur de solides palettes un buste de 300 kg de Louis XIV par Antoine Coysevox.
LES PROCHAINES EXPOSITIONS COUVRENT LES PLUS GRANDES PÉRIODES DE L’HISTOIRE DE FRANCE
Objectif : permettre un prochain sondage du parquet du salon de L’oeil-de-boeuf. La statue est aussitôt déposée dans l’antichambre du Grand Couvert. « La fermeture nous permet de stocker temporairement des objets dans des salles empruntées par le public au lieu de parcourir des zones plus risquées », observe la régisseure Morgane Bertho. Plus de 50 opérations de ce type sont nécessaires chaque semaine.
Un va-et-vient permanent qui témoigne de la vitalité des lieux mais qui rend assurément plus délicat le travail de recensement des collections. Loin de s’en plaindre, un groupe chargé de cette tâche s’affaire à proximité. L’oeil attentif, ses membres examinent des fiches disposées en lisière des tableaux, tables ou horloges des appartements flambant neuf de la Reine. Démarré en 2016, ce travail d’ampleur au sein de l’établissement a déjà permis de mettre à jour 66 000 dossiers. Sans tarder, il est déjà temps pour ce groupe de regagner un autre quartier sous l’impulsion d’Yves Carlier, l’un des 15 conservateurs de ce musée comprenant 1 000 collaborateurs (dont 30 % actuellement en télétravail). Le château, bien que privé de ses 8 millions de visiteurs par an et soumis à des règles sanitaires strictes, demeure une véritable « ville dans la ville ». La présence de représentants de quelque 50 entreprises, en plus des effectifs de la maison, renforce cette impression.
NAPOLÉON À VERSAILLES !
Preuve de la grande diversité offerte par le château et de l’attention de sa direction à mettre en valeur toutes les époques : la restauration en profondeur des espaces dédiés aux grands hommes autres que Louis XIV. Direction L’attique Chimay, situé au-dessus de l’appartement de la Reine et remis complètement à neuf. Sa singularité ? Il contient une collection de tableaux exceptionnels embrassant la période comprise entre la Révolution et la fin de l’Empire. « L’ambition de Louis-Philippe était de réconcilier les Français autour de leur histoire commune après quarante années de changements politiques », précise Frédéric Lacaille, conservateur en chef. Un buste de Napoléon à Brienne et un tableau de David inachevé figurent parmi les premiers joyaux exposés dans décor tapissé d’un papier peint kitsch des années 1950. Les découvertes se succèdent, comme ce portrait tout à fait unique de Charlotte Corday durant son procès par Jean-Jacques Hauer.
Des représentations célèbres, comme Bonaparte au pont d’Arcole d’Antoine-Jean Gros, frappent par leur dimension historique. Autant de chefs-d’oeuvre qui confirment que le stratège, peu réputé pour son amour de l’art, soignait admirablement ses mises en scène durant ses différentes campagnes et se trompait rarement sur le choix de ses peintres. « Il faisait confiance à Denon et Joséphine », lance Frédéric Lacaille. Certains bustes sortis des réserves, exécutés en l’honneur des aides de camp de Napoléon tombés au combat, contribuent à la belle réussite de l’ensemble. La perspective de la réouverture de cette partie, fermée au public depuis six ans, procure un nouveau sentiment réjouissant. De cet endroit, les fenêtres dévoilent une vue somptueuse sur les contours distincts de l’Orangerie. Un autre lieu emblématique de Versailles, auquel le visiteur accède en empruntant le premier Escalier des Cent-Marches.
PAMPLEMOUSSIER BICENTENAIRE
Une activité dense y est également de mise, dans un environnement tout aussi magnifique. Au sein de L’atelier des jardiniers, les artisans font preuve d’une belle énergie parmi les centaines et centaines d’arbres qui les entourent. Leur concentration se porte particulièrement sur les caisses en armature de fonte de 350 végétaux, réunies dans une galerie de 90 m de long et de 13 m de haut. Chacune est traitée comme une pièce unique. Du côté droit, un homme enlève un fruit trop lourd afin de préserver une branche. À gauche, un de ses collègues coupe les racines trop abondantes d’un autre oranger ou vérifie la parfaite évacuation de l’eau. S’enfoncer dans cette forêt si dépaysante, jusqu’au marbre de L’Enlèvement de Proserpine par Pluton, signé Girardon, donne une idée précise de la poésie de leur immense tâche. La promenade, effectuée au gré du chant des rouges-gorges, se poursuit dans un autre dédale.
De nouvelles espèces étonnantes apparaissent, comme ce palmier à double tête de 180 ans. Même beauté observée chez ce pamplemoussier bicentenaire ou chez ce grenadier dont la floraison rouge scintillera au mois de juin. « Pour l’heure, on dirait une sculpture baroque », s’enthousiasme l’adjoint au chef du service des Jardins, Éric Quénéa. Perpétuer les traditions demeure une mission sacrée pour lui. « Les autres orangeries européennes sont devenues des restaurants », déplore-t-il. Nul doute que ces figures du palais, dont le bon goût est prisé des visiteurs, souffrent de leur absence. Le « public » ? Le mot revient sans cesse dans les couloirs et les allées. « Cette crise lui a révélé la précarité des lieux culturels, à Versailles comme ailleurs, témoigne Catherine Pégard. Nous recevons beaucoup de dons, du Pérou à la Belgique, en passant par Colmar. » Retour au pied de l’Escalier des Cent-Marches. Étrange impression. À son pied, la façade du château a disparu. Laissant croire que le haut du monument de pierres donne un accès direct au ciel.
Situé dans le prolongement de l’Orangerie, le Bosquet de la Reine dévoilera ses secrets dans quelques mois. À l’image de leurs collègues, ses concepteurs ne relâchent pas leurs efforts pour redonner vie à cet espace ayant perdu une part de sa magie au fil des derniers siècles. Retrouver la richesse végétale et la diversité botanique imaginées par Marie-Antoinette constitue le défi de la codirectrice des opérations, Véronique Ciampini. Quelque 350 arbres, aux couleurs chatoyantes, sont en passe d’être plantés. Plusieurs tulipiers de Virginie, destinés à vivre 500 ans et mesurant jusqu’à 40 mètres, ornent déjà le carré central. Pas le temps de souffler pour recréer ce jardin à l’identique ! Quelque 300 arbustes arrivent chaque semaine par camions. « Il y aura une variété de 50 roses, ce qui donne une idée du projet », souligne la responsable.
Louis XiV en costume de sacre
Retour à l’intérieur. En rez-de-jardin, les appartements du Dauphin (composés d’un grand cabinet, d’une chambre et d’une bibliothèque), s’offrent une nouvelle jeunesse – au même titre que le cabinet d’angle du Roi. Là encore, des ouvriers se trouvent sur le qui-vive pour lui redonner son lustre du XVIIIe siècle. Aucun détail n’est négligé pour parvenir au résultat escompté. « On recense 20 étapes avant d’attaquer le travail de dorure », détaille Marie-Caroline Bardy, codirectrice de l’opération. Au coeur de la cour de l’Apothicairerie, trois femmes s’attellent en coulisses au nettoyage complet des serrures du lieu. Quels soins précis leur apporter ? « Il y a un débat sur chaque pièce », sourit-on dans l’atelier. Un élément d’un meuble donne temporairement du fil à retordre à l’équipe. « Il arrive que la cire résiste au premier bain de vapeur », explique l’experte Mélanie Huet, prête à remédier au problème.
Devant la somme de projets en cours de réalisation ou achevés, il est acquis que les curieux découvriront bientôt un château de Versailles en grande partie inédit et passionnant. La première rétrospective dédiée au trop méconnu Hyacinthe Rigaud, qui a nécessité un an et demi de préparation, illustre bien la politique variée menée par la direction. Une exposition qui donnera l’occasion de contempler 150 toiles de l’homme qui a immortalisé Louis XIV en costume de sacre, mais aussi d’admirer le parcours singulier de ce natif de Perpignan arrivé au sommet de son art et de la Cour, puis enfin de comprendre la place du portrait au fil des siècles. « Ce genre est aujourd’hui négligé par certains historiens de l’art au profit des oeuvres d’inspiration mythologique, religieuse ou littéraire. Il ne serait selon eux que de l’imitation », regrette le directeur du Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, Laurent Salomé, et la conservatrice Élodie Vaysse. Dehors, la neige qui tombe doucement apporte encore un relief particulier à la demeure du Roi-Soleil. ■
Pénétrer dans ces lieux majestueux offre une vraie bouffée d’oxygène en cette Période de Pandémie