LES CLÉS POUR COMPRENDRE
Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a innové en nommant à la tête de la pénitentiaire un homme qui y a fait toute sa carrière : Laurent Ridel, ex-directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris.
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LE RETOUR
DE LA SURPOPULATION
Au 1er février, 63 802 personnes étaient en détention, soit 8 855 de plus que de places « opérationnelles ». En mars dernier, lors du premier confinement, la ministre de la Justice Nicole Belloubet avait pris une ordonnance pour « adapter les règles de la procédure pénale » à la crise sanitaire. Ainsi, 13 649 prisonniers avaient bénéficié d’une libération anticipée. En juin, les prisons comptaient moins de 58 000 détenus, du jamais-vu dans notre histoire carcérale récente, marquée par les condamnations récurrentes de la Cour européenne des droits de l’homme. Et si l’opération a créé la polémique sur le plan sécuritaire, du point de vue de la lutte contre la Covid, elle a été une franche réussite. Grâce aux libérations, à l’arrêt des parloirs et à une application du « tester, tracer, isoler » sans équivalent en France, aucun cluster ne s’est formé.
Le répit aura été de courte durée. Malgré une série de dispositions législatives et réglementaires visant à favoriser les peines alternatives à l’incarcération, la surpopulation est de retour. Et pourtant, avec un taux de détention de 104,5 pour 100 000 habitants (en 2019), notre pays se situe en dessous de la moyenne européenne.
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L’INTENABLE PROMESSE
DE MACRON
C’était un engagement ferme du candidat d’En marche : « Nous construirons
15 000 places de prison supplémentaires sur le quinquennat, soit environ un quart de plus qu’aujourd’hui. » Édouard Philippe l’a repris à son compte dans son discours de politique générale, en juillet 2017. Mais neuf mois plus tard, Emmanuel Macron lui-même y a officiellement renoncé devant les élèves de l’École nationale de l’administration, à Agen. « Les contraintes immobilières mécaniques ont conduit à ce qu’on m’explique que c’était impossible d’en faire 15 000, même durant un quinquennat, qu’on pouvait au maximum en faire 7 000, s’est-il justifié. Dont acte. » Réduit de plus de moitié, l’objectif va-t-il être tenu ? La réponse est non, sans aucune ambiguïté possible. La loi de finances de 2021 fait état de 1 926 places livrées sur les 7 000 promises, soit un peu moins de 28 %. Les travaux pour en fournir 34 % supplémentaires ont commencé mais n’aboutiront pas, pour la plupart, avant la prochaine présidentielle. Le reste n’existe que sur le papier. On comprend pourquoi le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti vient d’exhorter une fois de plus les magistrats à recourir à des peines alternatives à la prison.
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LE CASSE-TÊTE
DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
Plus de 20 000 personnes, soit un tiers des détenus dans les prisons françaises, le sont à titre provisoire, en attente de jugement. Si cette proportion est en baisse depuis les années 1980, elle reste à un niveau élevé, avec une durée de détention de 4,2 mois en moyenne. En France, on condamne peu à la prison mais on enferme beaucoup préventivement. Les tentatives de suicide sont presque trois fois plus fréquentes dans cette population, qui pose des problèmes spécifiques, que chez l’ensemble des détenus. En comparaison, les mesures alternatives de placement sous contrôle judiciaire, comme l’assignation à résidence sous surveillance électronique, sont très peu utilisées. En 2019, seules 327 personnes en faisaient l’objet. Pour Sébastien Nicolas, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire FO direction, la décision d’incarcérer obéit parfois à des raisons pratiques – le prévenu n’a pas de domicile connu ou pas de numéro de téléphone – mais peut être motivée aussi par le « manque de confiance » des magistrats dans les dispositifs non carcéraux. Cette singularité française contribue à la surpopulation chronique de nos prisons.