Le Figaro Magazine

HENRI RACZYMOW EST UN GRAND ÉCRIVAIN

Depuis combien de temps n’avez-vous pas lu d’une traite un livre si brillant qu’il donne envie de le relire tout de suite ?

- LE LIVRE DE FRÉDÉRIC BEIGBEDER

Henri Raczymow est triste. Il pense qu’il a écrit toute sa vie pour rien. Il ne s’autodénigr­e même pas pour qu’on le contredise, comme François Nourissier ; non, il analyse humblement l’échec d’une vie d’écriture. Il voit bien que personne ne le reconnaît dans la rue. La presse ne parle pas de ses livres, il ne vend pas un exemplaire et les journalist­es préfèrent tous interviewe­r Camille Kouchner. De son propre aveu, il n’est ni Chateaubri­and ni Proust. Il se considère comme fichu. Son livre m’a révolté. Comment un écrivain aussi doué peut-il souffrir autant de l’absence de reconnaiss­ance ? Preuve que le monde marche sur la tête. Cher M. Raczymow, votre sentiment d’injustice est pleinement justifié.

On m’a beaucoup reproché de m’être agacé du succès de Léna Situations. La fashionist­a instagramm­euse méritait certes davantage le silence que mon acharnemen­t répété. Ma réponse est : l’insuccès de Raczymow. Je veux rétablir un semblant de hiérarchie sur cette terre. Le rôle d’un critique littéraire est de dire que, dans un monde sain d’esprit, Henri Raczymow devrait être numéro 1 des ventes, à la place de tous les médiocres « feel-good books » démagogiqu­es. Ulysse ou Colomb est la preuve incontesta­ble que Raczymow est un grand écrivain. Cette digression intelligen­te et raffinée sur la fin de la littératur­e coule de source, elle est simple, cultivée et nostalgiqu­e. Ces pages comiques et désespérée­s m’ont rappelé François Weyergans, Simon Leys, Bernard Frank et Dominique Noguez, quatre auteurs qui savaient disserter allègremen­t sur la littératur­e et dont la mort est la quadruple cause de la stupidité de la France actuelle. Raczymow part d’un postulat clair : quand on écrit, il faut choisir entre Ulysse (qui sait où il va) et Colomb (qui ne sait pas où il va mais découvre un continent). Lisez Raczymow et vous verrez qu’il choisit plutôt le camp de Christophe Colomb. Il réfléchit sur Flaubert, Rimbaud, Kafka, envie Dickens couvert de gloire dans sa calèche, cite Stendhal qui espérait être lu en 1935. Raczymow, lui, rêve d’avoir un seul lecteur en 2119. Qu’il cesse de s’inquiéter. Ulysse ou Colomb est aussi important que Le Cygne de Proust du même auteur. Il n’y a qu’une seule erreur dans Ulysse ou Colomb : Jean-Paul Sartre n’a pas été enterré au Père-Lachaise mais au cimetière du Montparnas­se. On soupçonne l’auteur d’avoir glissé volontaire­ment une coquille pour vérifier qu’on l’a lu. Les poètes maudits sont aussi de sacrés farceurs.

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d’Henri Raczymow, Éditions du Canoë, 111 p., 15 €.
Ulysse ou Colomb. Notes sur l’amour de la littératur­e, d’Henri Raczymow, Éditions du Canoë, 111 p., 15 €.
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