Le Figaro Magazine

EN VUE Dante Alighieri

L’humaine comédie

- Jean-Marc Gonin

Le « poète suprême », père de la langue italienne, est mort il y a sept cents ans. La biographie de ce génie de la littératur­e éclaire une vie intellectu­elle, guerrière et politique au coeur des batailles de son temps. Au point d’avoir passé ses dernières années banni de sa Florence natale.

Un adjectif a gravé son empreinte dans le vocabulair­e français : dantesque. Accolée à un nom, l’épithète lui donne un caractère sombre, ténébreux, infernal. Dans La Divine Comédie, Dante Alighieri a peint un tableau de l’enfer qui fait encore référence sept siècles après sa mort, en 1321, à Ravenne. En Italie, rares sont les villes, bourgades ou villages qui n’ont pas une piazza, un viale ou une via qui porte le nom du génie. Chaque enfant italien a étudié au moins un cantique de La Divine Comédie. Appelé le « poète suprême » ou tout simplement le suprême – Il Sommo –, Dante, représenté couronné de lauriers, est considéré comme le père de la langue italienne. Dans l’exceptionn­elle biographie qu’il lui consacre, l’historien turinois Alessandro Barbero s’attaque à l’icône, trop souvent décrit comme un parfait moraliste, pour l’humaniser. En nous replongean­t dans la Florence du XIIIe siècle, il rappelle ce qu’était cette cité-État, toute dédiée à la banque et gouvernée sans seigneur. C’est là, au printemps 1265, que Dante Alighieri voit le jour à la fois pour son bonheur et, des années plus tard, pour son plus grand malheur. D’entrée, Barbero prend le lecteur à contre-pied. On s’attend à découvrir l’enfance sur les bords de l’Arno. On le découvre chevalier portant cotte de mailles et heaume à la bataille de Campaldino. Dante a 24 ans, il est « feditore » dans l’armée de Florence, c’est-à-dire qu’il chevauche dans les premières lignes – celles qui subissent l’assaut des troupes d’Arezzo, la cité rivale. Les souvenirs du féroce affronteme­nt entre Guelfes florentins – le parti du pape – et Gibelins arétins – celui de l’empereur d’Allemagne –, qui vit les premiers triompher, inspireron­t des pages de La Divine Comédie. Selon son biographe, Dante combattit vaillammen­t dans l’espoir d’être adoubé, donc admis parmi les plus puissantes familles. Ce ne fut pas le cas.

Cet épisode jette les bases de la biographie d’un homme ambitieux et brillant. Les Alighieri sont usuriers. À Florence, prêter est l’activité la plus en vue. Sa famille est donc de condition élevée. Cela lui permet d’apprendre à lire et à écrire, puis de se jeter dans les études – il bénéficie d’une solide rente l’exonérant de pratiquer un métier. Outre les auteurs latins, c’est la politique qui le passionne. Né d’une famille de Guelfes « blancs », riches bourgeois, opposés aux « noirs », représenta­nts de l’élite, il se plonge dès 30 ans, dans les affaires de la Commune. À l’époque, la cité est régie par un ensemble de conseils dominés par le monde entreprene­urial et artisanal. Dante appartient à ces conseils et s’applique à y défendre le pouvoir du peuple face à la violence des nobles et des puissants banquiers. Cet activisme le propulsera jusqu’au sommet du gouverneme­nt : en 1300, il devient l’un des six prieurs de la Commune. Cette année-là, le destin de Dante Alighieri bascule. Irrité par les querelles entre Guelfes, le pape Boniface VIII intervient. Dante s’oppose à cette ingérence. Alors qu’il se rend à Rome en conciliati­on, les Guelfes noirs s’emparent du pouvoir à Florence. Des procès s’ouvrent contre les blancs. Dante est condamné pour corruption. La justice confisque ses biens et l’envoie en exil.

Le poète suprême ne reverra jamais sa ville natale. Il rêvera longtemps de la reprendre avec une faction armée. En vain : les vingt ans qui suivent sont une errance de ville en ville. L’homme libre de la Commune de Florence devient courtisan à Forlì, Vérone, Sienne et Arezzo. Il passera même par Paris pour terminer sa vie à Ravenne. Dans cet exil désargenté, le Florentin banni écrira son chef-d’oeuvre, La Divine Comédie.

Sur le flanc droit de la nef de l’église de Santa Croce à Florence, un cénotaphe de marbre blanc est dédié à Dante. Le sarcophage est vide. Ravenne, où il est mort de la malaria, n’a jamais accepté d’y transférer les restes du poète suprême. Un destin dantesque.

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Dante tenant la « Divine Comédie » par Domenico di Michelino (1465).
 ??  ?? Dante, d’Alessandro Barbero, Flammarion, 480 p., 28 €.
Dante. Les vies nouvelles,
d’Elisa Brilli et Giuliano Milani, Fayard, 400 p., 24 €.
Dante, d’Alessandro Barbero, Flammarion, 480 p., 28 €. Dante. Les vies nouvelles, d’Elisa Brilli et Giuliano Milani, Fayard, 400 p., 24 €.

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