L’ÉDITORIAL
de Guillaume Roquette
Achaque jour ou presque son nouveau record boursier. le CAC 40 est à son plus haut niveau depuis 2007 (juste avant la crise financière), tandis que son équivalent américain, le S & P 500, atteint des sommets inédits depuis sa création en 1957. Et c’est la même chose en allemagne comme sur les autres places financières. Boostés par les océans de liquidités déversés sur l’économie mondiale par des Banques centrales soucieuses d’éviter la récession du siècle, les marchés boursiers sont euphoriques, ignorant superbement la crise dramatique dans laquelle nous a plongés la pandémie de Covid-19. Cette indifférence aux malheurs du temps pose question. Nul besoin d’être prix Nobel d’économie pour pressentir ce que cet optimisme béat peut avoir d’artificiel : l’argent public, au prix d’une hausse sans précédent de l’endettement, alimente une bulle financière qui n’a pas grandchose à voir avec les perspectives de l’économie réelle. Cette spirale spéculative rappelle celle qui avait profité aux valeurs internet à la fin des années 1990, avant leur effondrement, ou celle qui a provoqué le krach de 2008. Comme à l’époque, les opérateurs maximisent leurs gains grâce aux effets de levier. Ce qui n’est pas sans risque : le fonds spéculatif américain Archegos vient ainsi de faire perdre la bagatelle de 4 milliards d’euros au Crédit suisse à cause de positions trop hasardeuses.
Et alors ? répondront certains. les investisseurs sont des grandes personnes, personne ne les force à aller en Bourse, libre à eux de faire ce qu’ils veulent de leur argent. d’autant que beaucoup sont convaincus qu’un formidable boom économique se profile après la crise sanitaire, et que les marchés ne font qu’anticiper les choses. Mais le problème est que si la bulle qui se forme sous nos yeux venait à exploser, les conséquences seraient plus que fâcheuses pour le financement de l’économie réelle. on se souvient que la crise financière de 2008 s’était payée d’une récession qui avait atteint tous les pays occidentaux : nous n’avons vraiment pas besoin de cela en ce moment. Peut-être est-il temps que les autorités de régulation et les Banques centrales viennent calmer un peu le jeu.
Et puis, sans vouloir jouer au père la morale, ces records sont un peu indécents quand des millions de salariés sont au chômage partiel, des centaines de milliers de commerçants et de restaurateurs empêchés de travailler. les chiffres ont de quoi donner le tournis : selon l’agence Bloomberg, les 15 meilleurs gestionnaires de fonds spéculatifs ont empoché à eux seuls 23 milliards de dollars l’année dernière. Soit l’équivalent du PIB du Sénégal ! rien de tel pour nourrir le ressentiment contre le système capitaliste et alimenter le vote populiste. Bref, sans nier aucunement l’utilité des marchés financiers, on aimerait bien qu’ils redeviennent un peu raisonnables : ce serait leur intérêt et celui de l’économie mondiale tout entière.