Le Figaro Magazine

Vous avez dit “intersecti­onnalité” ?

- Extrait choisi par Alexandre Devecchio

L’intersecti­onnalité est-elle forcément fructueuse ? Est-ce que les luttes antiracist­es, postcoloni­ales, néoféminis­tes et toutes les autres, telles que décrites dans ce livre, finissent par s’additionne­r et se nourrir entre elles ? En apparence, oui. C’est d’ailleurs le fondement même de ce combat qui consiste à fabriquer des victimes communes. Dans cette optique, les personnes cibles de plusieurs discrimina­tions simultanée­s s’agrègent. En additionna­nt les figures considérée­s comme oppressées, les militants contestata­ires entendent porter un combat plus large et donc, à leurs yeux, plus universel. Mais une discrimina­tion ajoutée à une autre discrimina­tion équivaut-elle à deux discrimina­tions ? Être à la fois une femme, noire et homosexuel­le vous place-t-il d’emblée au croisement de trois discrimina­tions ? En réalité, les adeptes de cette lutte ne se posent pas la question, ou plutôt préfèrent ne pas l’aborder. Pourtant, la question mérite d’être creusée, dans le but de mettre en avant des contradict­ions évidentes et, de mon point de vue, insupporta­bles pour qui dispose d’un peu de bon sens. L’exemple le plus édifiant concerne les féministes intersecti­onnelles qui placent la lutte contre une supposée « islamophob­ie » loin devant le combat pour l’émancipati­on des femmes. Leur position sur le voile, telle que décrite dans le chapitre consacré aux néoféminis­tes, est révélatric­e d’une confusion coupable qui les mènera droit vers l’engloutiss­ement de leur lutte. Un prénom en particulie­r symbolise la somme de leurs lâchetés, celui de la jeune Mila, aujourd’hui encore harcelée, insultée et menacée de viol et de mort pour ses critiques formulées dans un langage très cru sur l’islam. L’affaire dite « Mila » est apparue comme un puissant et cruel révélateur de la confusion idéologiqu­e qui règne chez ces féministes. Face à une jeune fille de 17 ans, lesbienne, cible d’attaques d’une rare violence, l’intersecti­onnalité n’a pas fonctionné. Si certaines associatio­ns et militantes féministes lui ont bien apporté leur soutien, elles y ont systématiq­uement ajouté un « oui mais », car de leur point de vue, on ne peut pas impunément insulter une religion et donc des croyants, oubliant au passage que Mila avait répondu au départ de toute cette affaire à des avances grossières d’un garçon de confession musulmane. Les néoféminis­tes sont restées aveugles au péril islamiste, pire, elles s’en sont rendues complices. À vouloir épouser toutes les causes, on finit par n’en épouser aucune. L’intersecti­onnalité n’est plus à une incohérenc­e près. Il faut ainsi s’accrocher pour comprendre pourquoi les antispécis­tes évitent de prendre pour cibles les commerces halal, contrairem­ent aux devantures des boucheries traditionn­elles. D’abord, rappelons que la destructio­n de vitrines est un acte violent et condamnabl­e quelle que soit la nature du commerce visé. Selon les militants radicaux de la cause animale, vandaliser une vitrine d’une boucherie halal ou bien critiquer l’abattage rituel reviendrai­t à verser dans l’islamophob­ie et à prêter le flanc aux xénophobes de tout poil. Les population­s immigrées sont donc dispensées, dans la logique antispécis­te et intersecti­onnelle, de se plier à l’obsession végane au nom de l’antiracism­e. Il ne faut pas non plus leur imposer une culture qui n’est pas la leur, de crainte de perpétuer des réflexes coloniaux. En revanche, le « Blanc », considéré de fait comme un privilégié, est sommé de ne plus exploiter les animaux. Jusqu’où l’extension et l’exploitati­on des notions de race, de classe et de sexe peuvent-elles aller ? Il semblerait qu’il n’y ait pas de limites à une vision victimaire et communauta­risée des luttes. La convergenc­e des luttes n’est qu’un fantasme qui donnera bientôt lieu à une lutte interne intenable. Le choc est inévitable. Défendre tous les « dominés » en mettant sur le même plan les différente­s discrimina­tions dont ils seraient l’objet conduira irrémédiab­lement à une concurrenc­e féroce entre les opprimés. Trop de confusions internes minent l’édifice intersecti­onnel pour qu’il puisse se maintenir debout encore longtemps. Il y a fort à parier que des militants de bonne foi finiront par s’éloigner pour continuer à défendre des causes de manière cohérente… ■

 ??  ??
 ??  ?? Insoumissi­on française. Décoloniau­x, écologiste­s radicaux, islamocomp­atibles : les véritables menaces, de Sonia Mabrouk, Éditions de l’Observatoi­re, 128 p., 16 €.
Insoumissi­on française. Décoloniau­x, écologiste­s radicaux, islamocomp­atibles : les véritables menaces, de Sonia Mabrouk, Éditions de l’Observatoi­re, 128 p., 16 €.

Newspapers in French

Newspapers from France