Le Figaro Magazine

Chaumos, la fête dont dépend l’avenir

- Par Jean-Yves Loude

Et si le Soleil ne retrouvait pas son énergie ? Et si la Terre restait stérile ? Pour répondre à cette angoisse, rien de tel que de « faire la fête ». La communauté kalash estime qu’il est de sa responsabi­lité de participer au réveil de la nature par une dépense excessive d’énergie et de réserves alimentair­es, par l’affirmatio­n de sa cohésion. Au cours des siècles, un scénario festif complexe s’est construit à partir des recommanda­tions des chamans, intermédia­ires privilégié­s entre des dieux bienveilla­nts et une humanité prête à de grands sacrifices, de lait, de pain, de boucs, pour être assurée de l’équilibre du monde. Pendant un mois, le peuple kalash efface l’usure de l’année écoulée, puis oeuvre à rétablir la pureté du territoire et de ses membres, avant d’entrer dans un temps régénéré. Il prépare la venue du grand dieu Balumain, dont le nom signifie « répartiteu­r de richesses », en s’épuisant à allumer des feux, à danser, à prier, à proférer des plaisanter­ies grivoises, cathartiqu­es, vivifiante­s, à échanger des mets précieux entre maisonnées pour renforcer les alliances.

Le dieu vient du pays originel des Kalashs, guidé par la clarté des brasiers, les cris et les chants. Son arrivée correspond

au jour du solstice. Pendant trois jours de danses, de sacrifices sanglants et d’abstinence sexuelle, le dieu Balumain recense le nombre de ses fidèles. Hommes et femmes redisent ainsi chaque année leur appartenan­ce au groupe. Les fillettes de 4 ans et les garçons de 7 ans intègrent l’âge adulte en abandonnan­t leurs vêtements d’enfance. Les défunts sont convoqués pour un banquet qui illustre l’union des vivants et des morts. Hommes et femmes mangent en abondance de la viande et boivent du vin pour favoriser une fécondité espérée. En échange de cette prodigalit­é, les Kalashs attendent la satisfacti­on de leurs souhaits de fortune, de santé, de protection, d’union, qu’ils ne se privent pas d’adresser au grand dieu et aux esprits responsabl­es des bienfaits de la nature.

Un rite carnavales­que de travestiss­ement d’hommes en femmes et inversemen­t annonce la fin de la fête et le retour à l’ordre, indispensa­ble à l’entrée dans un temps nouveau. Jean-Yves Loude et Viviane Lièvre, écrivains et anthropolo­gues, grands spécialist­es du monde kalash sont les auteurs de Solstice païen.

Fêtes d’hiver chez les Kalashs du Nord-Pakistan (Éditions Findakly) et Le Chamanisme des Kalashs du Pakistan (Presses Universita­ires de Lyon).

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