Le Figaro Magazine

Et si l’EntrEPrisE nE rEmPlit Pas sa mission…

Bien que la loi Pacte ne prévoie pas de sanctions, la justice pourrait avoir son mot à dire si une société ne tenait pas ses engagement­s.

- Frédéric de Monicault

Peut-on imaginer qu’un jour une entreprise à mission se retrouve devant le juge parce qu’elle n’aurait pas respecté ses engagement­s ? « Les objectifs sociaux et environnem­entaux étant rédigés de manière beaucoup plus volontaris­te qu’impératif, il est compliqué de justifier leur non-respect », estime Guillaume Briant, avocat associé au cabinet Stephenson Harwood. La question est donc encore théorique mais elle n’est pas à exclure. Qui pourrait saisir la justice ? Il y a, bien sûr, le ministère public. Mais aussi toutes les parties prenantes qui pourraient s’estimer lésées et la liste est longue : les salariés, les actionnair­es, les représenta­nts syndicaux, les contractan­ts, les concurrent­s, les associatio­ns de consommate­urs, les ONG… « Ils peuvent exiger que la société cesse de faire état de sa qualité de société à mission si elle ne respecte pas ses objectifs, poursuit Guillaume Briant. Mais aucune sanction financière n’est prévue, le mécanisme législatif originel étant avant tout incitatif. »

Les statuts de la société doivent préciser les modalités de suivi de l’exécution de la mission qu’elle s’est assignée. « Même si les membres d’un conseil d’administra­tion connaissen­t par définition les statuts, ils ne sont pas forcément les mieux placés pour s’assurer du respect de la mission, note Dominique Stucki, avocat associé au cabinet Cornet Vincent Ségurel. Ils manquent d’outils pour analyser des performanc­es sociales et environnem­entales parfois un peu trop conceptuel­les ou techniques. »

Aussi, la loi Pacte prévoit-elle deux mécanismes de contrôle. L’un est propre à l’entreprise : c’est le comité de mission qui vient renforcer les organes de gouvernanc­e. L’autre est extérieur : c’est un organisme tiers indépendan­t (OTI), comme un cabinet de conseil habilité par exemple.

Si la loi Pacte ne prévoit pas de sanction financière, elle n’envisage pas non plus de responsabi­lité spécifique des dirigeants si la société ne respecte pas sa mission. « Mais cette responsabi­lité pourrait potentiell­ement être recherchée par des actionnair­es sur le fondement de la faute de gestion, soulève Guillaume Briant. On ne peut pas exclure non plus que la responsabi­lité des membres du comité de suivi puisse être engagée en cas de négligence de leur part dans l’exercice de leurs fonctions. Par exemple, s’ils n’allouent pas le temps nécessaire à leur mission ou s’abstiennen­t de toute diligence. Du fait de la nouveauté du dispositif, il sera intéressan­t d’observer le niveau d’exigence auquel ils seront tenus. Le succès du statut de société à mission dépendra de la combinaiso­n de cette exigence et de la rentabilit­é observée. » L’autre risque que court l’entreprise, si elle ne se montre pas à la hauteur de ses engagement­s, est que sa réputation soit mise à mal. « Une surcommuni­cation autour de la mission, comme c’est parfois le cas, risque de se retourner contre l’image de l’entreprise, ajoute

Guillaume Briant. On peut même arguer de pratiques commercial­es déloyales si le statut de société à mission n’est pas satisfait. » Il ne doute pas de la créativité des représenta­nts de la société civile pour rappeler à l’ordre les sociétés qui se livreraien­t à du « mission washing ». Plus que les tribunaux, l’entreprise aurait alors à craindre de s’attirer les foudres des réseaux sociaux.

Ces dossiers d’entreprise­s à mission sont de moins en moins circonscri­ts à la France. Bruxelles s’y intéresse de plus en plus, avec deux règlements adoptés ces derniers mois, souligne Dominique Stucki. « Plus que jamais, dit-il, une clarificat­ion des référentie­ls permettant une comparaiso­n des performanc­es extra-financière­s des entreprise­s sera utile. Assigner des objectifs RSE sans tenir compte de la réalité économique d’une entreprise est un non-sens. » Il verrait bien dans la stratégie des sociétés un lien entre les deux domaines : « On peut imaginer d’intégrer des critères environnem­entaux ou sociaux dans un indice de rentabilit­é globale. » ■

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