Et si l’EntrEPrisE nE rEmPlit Pas sa mission…
Bien que la loi Pacte ne prévoie pas de sanctions, la justice pourrait avoir son mot à dire si une société ne tenait pas ses engagements.
Peut-on imaginer qu’un jour une entreprise à mission se retrouve devant le juge parce qu’elle n’aurait pas respecté ses engagements ? « Les objectifs sociaux et environnementaux étant rédigés de manière beaucoup plus volontariste qu’impératif, il est compliqué de justifier leur non-respect », estime Guillaume Briant, avocat associé au cabinet Stephenson Harwood. La question est donc encore théorique mais elle n’est pas à exclure. Qui pourrait saisir la justice ? Il y a, bien sûr, le ministère public. Mais aussi toutes les parties prenantes qui pourraient s’estimer lésées et la liste est longue : les salariés, les actionnaires, les représentants syndicaux, les contractants, les concurrents, les associations de consommateurs, les ONG… « Ils peuvent exiger que la société cesse de faire état de sa qualité de société à mission si elle ne respecte pas ses objectifs, poursuit Guillaume Briant. Mais aucune sanction financière n’est prévue, le mécanisme législatif originel étant avant tout incitatif. »
Les statuts de la société doivent préciser les modalités de suivi de l’exécution de la mission qu’elle s’est assignée. « Même si les membres d’un conseil d’administration connaissent par définition les statuts, ils ne sont pas forcément les mieux placés pour s’assurer du respect de la mission, note Dominique Stucki, avocat associé au cabinet Cornet Vincent Ségurel. Ils manquent d’outils pour analyser des performances sociales et environnementales parfois un peu trop conceptuelles ou techniques. »
Aussi, la loi Pacte prévoit-elle deux mécanismes de contrôle. L’un est propre à l’entreprise : c’est le comité de mission qui vient renforcer les organes de gouvernance. L’autre est extérieur : c’est un organisme tiers indépendant (OTI), comme un cabinet de conseil habilité par exemple.
Si la loi Pacte ne prévoit pas de sanction financière, elle n’envisage pas non plus de responsabilité spécifique des dirigeants si la société ne respecte pas sa mission. « Mais cette responsabilité pourrait potentiellement être recherchée par des actionnaires sur le fondement de la faute de gestion, soulève Guillaume Briant. On ne peut pas exclure non plus que la responsabilité des membres du comité de suivi puisse être engagée en cas de négligence de leur part dans l’exercice de leurs fonctions. Par exemple, s’ils n’allouent pas le temps nécessaire à leur mission ou s’abstiennent de toute diligence. Du fait de la nouveauté du dispositif, il sera intéressant d’observer le niveau d’exigence auquel ils seront tenus. Le succès du statut de société à mission dépendra de la combinaison de cette exigence et de la rentabilité observée. » L’autre risque que court l’entreprise, si elle ne se montre pas à la hauteur de ses engagements, est que sa réputation soit mise à mal. « Une surcommunication autour de la mission, comme c’est parfois le cas, risque de se retourner contre l’image de l’entreprise, ajoute
Guillaume Briant. On peut même arguer de pratiques commerciales déloyales si le statut de société à mission n’est pas satisfait. » Il ne doute pas de la créativité des représentants de la société civile pour rappeler à l’ordre les sociétés qui se livreraient à du « mission washing ». Plus que les tribunaux, l’entreprise aurait alors à craindre de s’attirer les foudres des réseaux sociaux.
Ces dossiers d’entreprises à mission sont de moins en moins circonscrits à la France. Bruxelles s’y intéresse de plus en plus, avec deux règlements adoptés ces derniers mois, souligne Dominique Stucki. « Plus que jamais, dit-il, une clarification des référentiels permettant une comparaison des performances extra-financières des entreprises sera utile. Assigner des objectifs RSE sans tenir compte de la réalité économique d’une entreprise est un non-sens. » Il verrait bien dans la stratégie des sociétés un lien entre les deux domaines : « On peut imaginer d’intégrer des critères environnementaux ou sociaux dans un indice de rentabilité globale. » ■