UN CONSERVATISME IMPOSSIBLE ?
Qui aurait prédit il y a peu encore que le conservatisme connaîtrait désormais un nouvel engouement littéraire ? Les faits sont là pourtant : une étagère ne suffira bientôt plus pour contenir tous les ouvrages récemment parus qui se consacrent à son étude, parfois pour s’alarmer de sa résurgence – plus souvent pour s’en réjouir. Ainsi, dix ans déjà après l’émergence d’un « printemps conservateur » en France, Armand Rouvier pose ici une question naïve : peut-on encore être conservateur ? Diable, il n’a échappé à personne que oui.
L’essai de l’érudit politiste, doctorant à l’EHESS, se distingue par l’approche et la méthode. Quand d’autres auteurs déplorent la disqualification de la pensée conservatrice au regard de sa fécondité dans l’histoire des idées, Armand Rouvier instaure en guise de préalable l’échec originel du conservatisme – en France du moins. OutreManche, bien sûr, c’est autre chose ; et les digressions de l’auteur sur le conservatisme britannique contribuent grandement à la qualité de l’ouvrage : on se console ainsi de voir combien la furie révolutionnaire à Paris a servi malgré elle à nourrir la pensée conservatrice à Londres. Ainsi, à l’instar des Réflexions d’Edmund Burke sur la Révolution française, les événements de Mai 68 sont à la racine de la pensée de Roger Scruton. Sans doute aussi le conservatisme anglais a-t-il eu moins de comptes à rendre au cours de son histoire : le bipartisme en faisait seulement le pendant naturel du socialisme, quand en France les conservateurs ont longtemps été des ennemis du régime.
Mais pour Armand Rouvier, loin de se résumer à une nostalgie désuète de la monarchie, laquelle fut étouffée peu à peu par une IIIe République triomphante, le conservatisme est d’abord une communion intellectuelle avec quelques-uns des plus grands esprits français : Chateaubriand mais aussi Pascal, Montaigne…
Aussi ne s’étonne-t-on pas de voir renaître aujourd’hui le conservatisme alors même que les choix politiques de l’époque semblent n’en avoir jamais été si éloignés : après tout, au moment où triomphe la république bourgeoise en France, Albert Thibaudet écrivait paradoxalement que « les lettres, la presse, les académies, les salons, Paris en somme, vont à droite ». Toute ressemblance…