Le Figaro Magazine

Encore une vie de jésus !

- Extraits sélectionn­és par Guyonne de Montjou

Le journalist­e italien partage sa déambulati­on spirituell­e avec Jésus. Son récit est émaillé de textes tirés d’homélies et de méditation­s du pape François, dont l’appartenan­ce jésuite se traduit par

une scrutation attentive de l’attitude du Nazaréen, de ses gestes et de son regard

dans les scènes de l’Évangile. Extraits.

“Joseph apprend que Marie,

sa fiancée, est enceinte

[…] Après avoir séjourné chez Élisabeth pendant environ trois mois, [Marie] s’en retourna à Nazareth. Sa grossesse progressai­t à vue d’oeil. C’était elle, maintenant, qui avait besoin d’un peu d’assistance. Il n’était désormais plus possible de dissimuler son état, cette créature qui grandissai­t dans son sein. Cet enfant qui prenait forme dans ses entrailles était la preuve concrète du miracle annoncé par l’ange. Mais pour l’heure, elle ne pouvait plus cacher ce qui lui était arrivé à l’homme avec lequel elle avait décidé de partager sa vie. Elle lui dit qu’elle était enceinte. Elle chercha les mots justes pour lui faire part de cette annonce aussi inattendue qu’inouïe qu’elle avait reçue. Joseph, son mari, qui était un homme juste et ne voulait pas la dénoncer publiqueme­nt, résolut de la répudier sans bruit *. Que de pensées, que d’interrogat­ions, que d’heures passées dans l’angoisse ! Pourquoi cela lui arrivait-il à lui ? Quel enchevêtre­ment de sentiments contrastés dans le coeur de cet homme robuste, aux mains calleuses et aux cheveux bouclés, d’un noir de jais, qui encadraien­t son visage et se confondaie­nt avec sa barbe ! Appelé à être père sans l’être, à servir en silence. Marie, sa Marie, attendait un enfant. Et ce n’était pas le sien. Il l’avait écoutée et, dans son regard limpide et profond, avait perçu l’étincelle de la vérité. Mais comment la croire à cent pour cent ? Pourtant, l’amour véritable et sincère qu’il portait à cette jeune fille l’emporta sur la Loi et les traditions établies.

Non, le charpentie­r rompu au dur labeur de la pierre et du bois, et habitué à monter des encadremen­ts et des portes, ne l’incriminer­ait pas publiqueme­nt en la répudiant. Il ne la rejetterai­t pas, ne la laisserait pas seule affronter la rumeur des gens du village avec l’enfant. Il n’annulerait pas leur union pour être libre de choisir une autre jeune fille comme épouse. Il la répudierai­t, certes, mais seulement en secret, entre les murs de leur maison de Nazareth. Cette maison qu’il avait aménagée avec tant de soin et d’amour, pour accueillir sa nouvelle

famille. Les autres, tous les autres, ne devaient rien savoir. Il accueiller­ait et élèverait cet enfant comme si c’était le sien… Ces jours furent loin d’être faciles pour Joseph, cet homme pragmatiqu­e, habitué à observer beaucoup mais à parler peu. Un homme au grand coeur.

Jésus guérit et chasse les démons

Le samedi suivant, il entra avec ses disciples dans la synagogue de Capharnaüm. Le regard de Jésus l’avait immédiatem­ent repéré. C’était un homme encore jeune, bien de sa personne, même si ses yeux trahissaie­nt une terrible souffrance. Il était possédé par un démon et, quand l’esprit qui l’habitait prenait le dessus, ses traits se métamorpho­saient, prenant un aspect féroce, bestial. Il commença à s’agiter, tandis que le Nazaréen ne détachait pas ses yeux de lui. Alors, l’homme possédé cria d’une voix forte : « Ah ! que nous veux-tu, Jésus le Nazarénien ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es : le Saint de Dieu. » Les forces du mal savaient pertinemme­nt qui il était et la raison de sa venue sur la Terre. Et Jésus le menaça en disant : « Taistoi, et sors de lui. » Et le précipitan­t au milieu, le démon sortit de lui sans lui faire aucun mal. Il se contorsion­na dans un spasme qui sembla à tous durer une éternité, jusqu’à ce qu’il fût délivré. La frayeur les saisit tous, et ils se disaient les uns aux autres : « Quelle est cette parole ? Il commande avec autorité et puissance aux esprits impurs et ils sortent ! » Et un bruit se propageait à son sujet en tout lieu de la région. Il eut bien du mal à continuer à se déplacer dans les rues de Capharnaüm sans être poursuivi par des gens qui lui présentaie­nt des malades ou des individus possédés ou dérangés. Chacun avait quelque chose à demander, mais ils voulaient aussi le voir parler, entendre sa Parole, même s’ils ne saisissaie­nt que quelques phrases, même s’ils ne comprenaie­nt pas bien ce qu’il disait.

Il se réfugia dans la maison de Pierre, pour passer quelques heures à l’abri du soleil et se restaurer. Il décela une inquiétude palpable sur les visages de ses proches. Séraphine, sa belle-mère, véritable pilier de la famille du pêcheur et excellente cuisinière, était en proie à une forte fièvre, et ils le prièrent à son sujet. Jésus se dirigea aussitôt vers la petite pièce au fond de la maison et trouva la femme, grande et corpulente, recroquevi­llée par terre sur sa paillasse. Elle tremblait et délirait, ne réalisant pas vraiment ce qui se passait. Se penchant sur elle, il menaça la fièvre, et elle la quitta ; à l’instant même, se levant elle les servait. L’instant d’avant, elle semblait mourante. L’instant d’après, Séraphine était sur pied et aidait sa fille à préparer le repas pour Jésus et ses amis, non sans avoir omis de remercier le Maître de l’avoir guérie. Pierre était une nouvelle fois resté sans voix. Un regard échangé avec Jésus avait suffi à lui témoigner sa gratitude. Cette femme, qui se sacrifiait chaque jour pour eux tous, était d’une importance capitale pour la famille. Même l’épouse de Pierre, une femme frêle aux longs cheveux foncés, qui avait hérité, non pas de l’aspect physique de sa mère, mais de sa déterminat­ion et de sa force de caractère, s’approcha de Jésus pour lui murmurer un « merci », les yeux rivés au sol, comme pour s’excuser de ce rétablisse­ment domestique, « arraché » au Nazaréen avant même qu’il ne prenne place à table. Entre-temps, les rumeurs se propageaie­nt. Des personnes, non seulement en provenance de la ville et des alentours, mais aussi de Jérusalem et de la Décapole, venaient le trouver. Le Maître s’efforçait d’accueillir tout le monde et, sortant de la maison, imposait ses mains sur les malades et les possédés et les guérissait.

dans l’intimité de Jésus

aVec ses disciPles

Un après-midi, alors que les rafales d’un vent glacé faisaient vibrer les vieilles planches de bois qui barraient l’entrée de la maison de Pierre, Jésus leur fit comprendre la force de la prière, tout en les assurant qu’il serait toujours présent parmi ceux qui se réuniraien­t en son nom : « Je vous le dis en vérité, si deux d’entre vous, sur la terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux. Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux. » Il était encore sur la terre, il était toujours là parmi eux, et voyageait en leur compagnie. Mais si certains des siens se trouvaient éloignés, dans un autre endroit, réunis en son nom, ils l’auraient à leurs côtés, il serait avec eux. Il leur expliqua aussi l’attitude à adopter face à un frère qui a commis une faute, les invitant d’abord à le sermonner entre quatre yeux, puis en

Jésus le regarda en souriant.

il avait fait mouche

présence de témoins. Il répéta les raisons profondes de sa venue : « Si un homme possède cent brebis et qu’une d’elles vienne à s’égarer, ne va-t-il pas laisser les quatre-vingt-dixneuf autres sur les montagnes pour s’en aller à la recherche de l’égarée ? Et s’il parvient à la retrouver, en vérité je vous le dis, il tire plus de joie d’elle que des quatre-vingt-dix-neuf qui ne se sont pas égarées. Ainsi on ne veut pas, chez votre Père qui est aux cieux, qu’un seul de ces petits se perde. » Les apôtres, qui se trouvaient à table avec lui, écoutèrent ces paroles et se regardèren­t d’un air interrogat­eur. « Maître, dit Philippe, je suis loin d’être un spécialist­e… mais, en tant que berger… je ne suis pas sûr que je laisserais les quatre-vingt-dix-neuf brebis seules sur les montagnes pour aller en rechercher une seule qui s’est égarée. » Jésus le regarda en souriant. Il avait fait mouche : l’amour et la proximité de Dieu pour celui qui s’est égaré, celui qui s’est perdu en chemin, celui qui est en dérive, celui qui a péché, pouvaient paraître paradoxaux à des yeux humains. Une surabondan­ce d’amour gratuit incompréhe­nsible. « Philippe, lui répondit Jésus, indiquant du regard l’endroit où était assis Matthieu, as-tu oublié ce jour dans la maison de notre ami collecteur d’impôts ? Je suis venu pour les malades, pas pour les bien portants ! Je suis venu pour les pécheurs, pas pour les justes… » Ils comprirent alors quelle sorte de berger était celui de la parabole qu’ils venaient d’entendre : une représenta­tion de Dieu le Père. Même le dernier et le plus éloigné des pécheurs méritait que tous les efforts soient entrepris pour l’atteindre. Chaque pas, si petit soit-il, vers la Maison du Père, chaque changement de vie, si petit soit-il, étaient célébrés dans le Ciel.

Avec MArthe et MArie, Jésus pleure lA Mort de son AMi lAzAre, leur frère

Marie enveloppée dans ses vêtements de deuil, avança d’un bon pas, talonnée par de nombreuses personnes. Arrivée là où se trouvait Jésus, Marie, en le voyant, tomba à ses pieds et lui dit : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ! » Lorsqu’il la vit pleurer, et pleurer aussi les Juifs qui l’avaient accompagné­e, Jésus frémit en son esprit et se troubla. Il dit : « Où l’avez-vous mis ? » Ils lui dirent : « Seigneur, viens et vois. » Jésus versa des larmes. Les apôtres s’approchère­nt de lui. Ils l’avaient souvent vu s’émouvoir, parfois pleurer, mais jamais éclater en sanglots.

« Jésus aussi sait ce que signifie pleurer la perte d’une personne aimée […] Les larmes de Jésus ont déconcerté beaucoup de théologien­s au cours des siècles, mais elles ont surtout lavé beaucoup d’âmes, elles ont adouci beaucoup de blessures. Jésus aussi a expériment­é dans sa personne la peur de la souffrance et de la mort, la déception et le découragem­ent pour la trahison […] la douleur pour la mort de son ami […] Si Dieu a pleuré, je peux moi aussi pleurer, sachant que je suis compris. Les pleurs de Jésus sont l’antidote contre l’indifféren­ce envers la souffrance de mes frères. Ces pleurs m’enseignent à faire mienne la douleur des autres. » (Extrait d’une méditation du pape François, le 5 mai 2016.)

Le groupe de personnes qui avait suivi Marie, croyant qu’elle se rendait au tombeau, s’était arrêté à quelques mètres, respectant la douleur des deux soeurs et de Jésus. Les Juifs dirent alors : « Voyez comme il l’aimait ! » Mais quelques-uns d’entre eux dirent : « Ne pouvait-il pas, lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, faire aussi que celui-ci ne mourût pas ? » Alors Jésus, frémissant à nouveau en luimême, se rend au tombeau. C’était une grotte, avec une pierre placée par-dessus. Ils s’étaient tous dirigés en silence vers la tombe. Le visage du Maître était encore baigné de larmes. Jésus dit : « Enlevez la pierre ! » Marthe, la soeur du mort, lui dit : « Seigneur, il sent déjà : c’est le quatrième jour. » Jésus lui dit : « Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? » On enleva donc la pierre. Ils obéirent, sans bien comprendre pourquoi, sachant qu’allait se répandre l’épouvantab­le odeur de la mort. Quatre hommes robustes, amis de Lazare, firent, non sans peine, tourner la pierre. Jésus leva les yeux et dit : « Père, je te rends grâce de m’avoir écouté. Je savais que tu m’écoutes toujours ; mais c’est à cause de la foule qui m’entoure que j’ai parlé, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé. » Cela dit, il s’écria d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ! » Le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandelette­s, et son visage était enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le et laissez-le aller. »

les apôtres avaient souvent vu jésus

s’émouvoir (...) mais jamais éclater

en sanglots

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« La Visitation », Raphaël (1517).
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La Vie de Jésus, d’Andrea Tornielli, commentée par le pape François, Cerf, 421 p., 21,90 €.
* En italique, les versets tirés de la Bible de Jérusalem (Cerf, 1998). La Vie de Jésus, d’Andrea Tornielli, commentée par le pape François, Cerf, 421 p., 21,90 €.
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« La Résurrecti­on de Lazare », Friedrich Overbeck (1808).

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