La chasse dans Le viseur des antispécistes
Pour les militants de la cause animale et les antispécistes de tout poil, le chasseur, considéré comme l’ennemi public numéro un de la nature, est devenu une cible à abattre sans aucune autre forme de procès. Que cache cette opposition aussi systématique
Nouvelles lois, rapports sénatoriaux, débats à l’assemblée nationale, recours interminables devant le conseil d’état pour interdire ou autoriser certaines pratiques traditionnelles, commissions d’enquête, pétitions, tribunes et sondages s’enchaînent les uns après les autres à un rythme toujours plus effréné. Jamais la chasse en France n’a fait autant l’objet de réformes, d’attaques et de polémiques. depuis 2013, son encadrement législatif a été remanié à neuf reprises et aucun gouvernement de droite ou de gauche n’a échappé jusqu’ici à l’épineuse question cynégétique. entre les « pro » et les « anti », le dialogue de sourds domine. soustendu depuis une vingtaine d’années par un discours et des actions parfois violentes, le débat est devenu presque impossible et son bruit médiatique assourdissant. « Théorisée dans les pays anglo-saxons et construite aux États-Unis et en Angleterre, l’opposition à la chasse s’est progressivement essentialisée pour se concentrer sur le chasseur occidental et plus particulièrement la chasse à courre, raconte pierre de Boisguilbert, consultant sur les thématiques liées à la relation entre l’homme et l’animal. C’est une vraie rupture sociétale fondée sur un anthropomorphisme militant, radical très structuré. » comment en sommesnous arrivés là ?
« Portée aujourd’hui par des personnalités comme Aymeric Caron ou Hugo Clément, la condamnation de la chasse fait vendre et permet de s’acheter à bas prix et facilement une bonne conscience écologique. Taper sur le chasseur ne coûte rien et peut rapporter gros, assure charles-henri Bachelier, auteur du livre Les Nouveaux Prédateurs (1). Paradoxalement, si anticapitalisme et antispécisme s’accordent, leurs militants acceptent sans hésiter la main tendue d’hommes d’affaires ultracapitalistes comme le milliardaire fondateur de Free Xavier Niel ou par des fonds d’investissement américains comme l’Open Philantropy Project, l’un des principaux financeurs de L214, à hauteur de 1,2 million d’euros, par exemple. Des ambitieux qui, aux côtés de Jeff Bezos (amazon), Bill Gates (ex-Microsoft) ou Richard Branson (virgin), se servent habilement des supplétifs de la cause animale pour faire la promotion des alternatives alimentaires industrielles au lait, aux oeufs et à la viande dans lesquelles ils investissent massivement. Un univers déconnecté de la nature où la technologie permettra de s’affranchir du vivant, où les géants de l’agroalimentaire et de la tech décideront de l’avenir de l’humanité. Je pèse mes mots, continue charles-henri Bachelier, mais dans ce contexte, je considère que les chasseurs respectueux des animaux et des cycles de la nature, comme les agriculteurs, les éleveurs ou les forestiers conscients des problématiques écologiques actuelles, sont des résistants à ce monde sans âme qui nous guette. » notre pays compte aujourd’hui près d’un million de chasseurs, un nombre en baisse chaque année, même si les statistiques de la Fédération nationale des chasseurs (Fnc) montrent que de plus en plus de jeunes, dont de nombreuses jeunes femmes, décident actuellement de passer le permis de chasse. depuis une quarantaine d’années, cervidés, chevreuils, chamois, isards et sangliers ont connu une explosion sans précédent de leurs populations et seules certaines espèces comme les lapins, les perdrix grises et certains oiseaux de montagne, sont actuellement en déclin. une situation provoquée non pas par la chasse, mais par la disparition progressive de leurs habitats menacés, en plaine, par l’agriculture intensive et, en montagne, par la surfréquentation touristique des zones de nidification et le réchauffement climatique.
Des profils très Divers
depuis vingt ans, le nombre d’accidents de chasse n’a cessé de reculer et, pendant la saison 2021-2022, huit accidents mortels, dont deux sur des non-chasseurs, ont malheureusement été recensés. comparaison n’est pas raison, mais à titre d’exemple, selon le système national d’observation de la sécurité en montagne (snOsM), plus d’une centaine de personnes – skieurs, randonneurs, alpinistes ou parapentistes – trouvent en moyenne chaque année la mort en montagne et tout le monde se souvient du décès tragique de l’acteur Gaspard ulliel, percuté par un autre skieur en janvier 2022 à La rosière, en savoie. pourtant, personne n’a jamais demandé l’interdiction du ski ou du parapente…
« Le sentiment antichasse est devenu dominant en France. Pour autant, tout le monde ne va pas militer sur le terrain
contre les chasseurs, tempère Charles Stépanoff, anthropologue, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales et auteur du livre remarqué L’Animal et la Mort (2). Les militants antichasse ont des profils divers : il y a des habitants ruraux qui sont irrités par des conflits d’usage et des problèmes de sécurité et vont s’opposer pacifiquement à la chasse à courre en filmant et en diffusant des vidéos sur les réseaux sociaux. Il y a aussi des activistes animalistes qui franchissent la limite de la légalité en démontant des miradors, en cassant des pièges ou en brûlant des abris de chasse. Souvent issus des milieux intellectuels et artistiques, les animalistes participent également aux mouvements contre l’élevage intensif comme L214. Ils défendent un rapport aux animaux fondé sur l’empathie et la protection plutôt que la prédation. » Et pour ces derniers, puisque le chasseur est « intrinsèquement » mauvais, tous les coups sont permis.
Mieux partager la nature
Pour tenter d’apaiser les tensions et après des mois de débats houleux sur l’interdiction des battues de grand gibier et du tir du petit gibier le dimanche, réclamée à cor et à cri par La France insoumise, une partie du PS et EELV, le gouvernement, par la voix de la secrétaire d’État à la biodiversité Bérangère Couillard, a présenté en début d’année un énième « plan sécurité ». Décliné en 14 mesures, ce document qui enterre l’idée d’un jour sans chasse prévoit, notamment, l’interdiction de chasser sous l’emprise de l’alcool et de stupéfiants, la création d’une application numérique à destination des promeneurs pour mieux informer le grand public sur les zones chassées et le renforcement de la formation des chasseurs à la manipulation des armes. Des mesures de bon sens. Si l’Alliance des sports et loisirs de nature (ASLN), qui rassemble notamment les Fédérations françaises d’équitation (FFE), de la montagne et de l’escalade (FFME) ainsi que les Fédérations nationales de la pêche (FNP) et des chasseurs (FNC), s’est réjouie « de ce premier pas constructif pour une cohabitation intelligente entre usagers de la nature », sans surprise, Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), et Brigitte Bardot ont dénoncé des « mesures ridicules et inutiles » et « un mépris inacceptable à l’égard des 80 % de Français qui attendent un cessez-le-feu ».
Même son de cloche chez les députés EELV qui « s’étonnent d’une telle déconnexion entre les attentes des Français et les mesures annoncées » et condamnent le « laxisme de la majorité face au lobby de la chasse ». « Cela n’a rien d’étonnant assure Thierry Coste, lobbyiste et conseiller politique de la FNC. Ils veulent tout simplement la fin de la chasse. Mais je crois qu’il faut relativiser leur influence. En réalité, les vrais militants sont peu nombreux et leurs structures sont largement groupusculaires, mêmes s’ils savent se faire entendre auprès des journalistes ou de quelques humoristes en quête d’audience facile. La chasse est en pleine mutation et je crois sincèrement à son avenir. Surtout quand je vois les outrances et le radicalisme de ses plus farouches opposants. »
« Il ne faut pas oublier toutefois que l’opposition aux évolutions de la chasse est d’abord interne, manifestée par le fait que les chasseurs ont perdu plus de la moitié de leurs effectifs en trente ans, fait remarquer de son côté Charles Stépanoff. La modernisation de la chasse depuis la Seconde Guerre mondiale a parfois favorisé un modèle sportif, gestionnaire et financiarisé avec des animaux contrôlés, nourris, parqués et souvent produits en élevage. Si la chasse a perdu de nombreux licenciés, c’est largement parce que de telles méthodes ne correspondaient plus à leur vision et à leurs valeurs : chasse familiale vivrière gratuite, confrontation avec un monde sauvage échappant au contrôle de l’homme. Sur le plan écologique, l’élevage du gibier et la chasse en parc ne sont pas des pratiques résilientes, elles ont contribué à dresser les mouvements de protection de la nature contre les institutions de la chasse. Par ailleurs, poursuit le chercheur, le regard largement défavorable que l’opinion publique porte aujourd’hui sur la chasse se comprend dans le contexte de l’évolution de nos rapports à la mort et au sang. Pour nous nourrir, nous n’avons jamais autant tué d’animaux par jour, mais nous le faisons de façon invisible, dans des abattoirs où aucun visiteur ne pénètre, sauf par effraction. L’expérience banale de la vue du sang et de la mort des animaux est devenue une exception en quelques décennies. Les pratiques de chasse sont choquantes pour les sensibilités dominantes car elles exhibent et socialisent la mort, camouflée partout ailleurs dans la société. » Un masque posé sur le vrai visage de la nature dont les chasseurs sont pourtant aujourd’hui les plus fervents défenseurs.
(1) Les Nouveaux Prédateurs, de Charles-Henri Bachelier, Le Cherche Midi, 150 p., 16 €.
(2) L’Animal et la Mort, de Charles Stépanoff, La Découverte, 400 p. 23 €.
Les réseaux sociaux
ont permis aux activistes antichasse de gagner en audience