NEZ À NEZ AVEC L’HISTOIRE
Les Derniers Jours de Roger Federer, de Geoff Dyer, Éditions du sous-sol, 376 p., 24,90 €. Traduit de l’anglais par Paul Matthieu.
Ce parfum rouge, de Theresa Révay, Stock, 400 p., 21,90 €.
Chassée par les bolcheviks en 1917, Nine Dupré a fui la Russie avec sa famille après la disparition de son père, grand parfumeur français établi à Moscou. Depuis, sa mère se réfugie dans le souvenir des jours heureux et son frère dans la colère. Nine, elle, veut perpétuer le savoir-faire paternel. Un désir sur le point de se réaliser : ingénieur chimiste chez François Coty, elle voit sa fragrance sélectionnée pour représenter la Maison au concours des jeunes parfumeurs de la Foire internationale de Lyon. Elle y croise les plus grands maîtres du monde olfactif : Léon Givaudan, magicien reproduisant (et sublimant !) synthétiquement la moindre essence ; Ernest Beaux, créateur du mythique N° 5 (Chanel) ; Jacques Guerlain, père de L’Heure Bleue. Il y a aussi Pierre Rieux, mystérieux et séduisant commissionnaire, familier du Kremlin, qui accompagne Polina Molotova, épouse du redoutable bras droit de Staline portant un parfum créé par le père de Nine pour Nine. Qui décide de retourner en Russie où mille surprises plus ou moins agréables l’attendent. Qui mieux que l’arrière-petite-nièce de Léon Givaudan en personne pouvait raconter l’univers fascinant de la parfumerie de l’entre-deuxguerres ? Theresa Révay plonge dans ses archives familiales et, avec une grande minutie historique, imagine l’épopée flamboyante d’une jeune femme ballottée entre son ambition, sa famille et ses sentiments. De Paris à Moscou en passant par Lyon, de la Révolution russe aux prémices de la Seconde Guerre mondiale, Ce parfum rouge envoûte, inquiète, séduit.
Les lecteurs attentifs auront remarqué que sur la couverture des Derniers jours de Roger Federer (sous-titré « Et autres manières de finir »), ce n’est pas le tennisman qui pose sur la photo, mais Jack Kerouac. Geoff Dyer a écrit un livre épatant sur la fin de vie
– pour utiliser un terme à la mode – d’artistes et de sportifs. Mais il ne s’agit pas uniquement de leurs derniers jours. Dyer s’intéresse aussi et surtout au moment où ces hommes perdent le talent pour lequel on les a admirés. Tout le passionne : la musique
(de toutes sortes), la littérature, la peinture, la philosophie, et le sport – le tennis en particulier. Cet Anglais installé en Californie, romancier et essayiste, fait preuve d’une intelligence hors norme. Son livre part dans tous les sens, c’est ce qui fait son charme. On peut y picorer au gré de ses humeurs, le lire par à-coups, s’y promener. Dyer évoque, outre Federer et Kerouac, Bob Dylan, Albert Ayler, John Coltrane, Turner, Beethoven, Björn Borg, Martin Amis à qui il consacre des pages formidables, et Nietzsche. Qui lui permet, via sa théorie de l’éternel retour, d’évoquer les come-back des artistes et sportifs généralement ratés, des « auteurs à un livre » qui en font un second sans intérêt. Dyer est malin, très doué – que l’on connaisse ou non les gens dont il parle, il donne envie de les découvrir ou de les redécouvrir –, il est aussi assez drôle lorsqu’il explique pourquoi il trouve Henry Miller nul, comme lorsqu’il évoque sa propre vie, ses admirations, ses déceptions.
En fin de compte, ce dont il parle avec gaieté, c’est ce qui nous obsède tous : la vieillesse.