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Basket : Parker, Wembanyama, les Bleus, «casseroles en Turquie»... Les confidence­s d’Alain Weisz

- Sébastien Ferreira

ENTRETIEN - Ancien entraîneur et sélectionn­eur de l’équipe de France, Alain Weisz a écrit un livre, «Mes secrets de coach», jalonné d’anecdotes qu’il développe pour Le Figaro.

Il a pris la plume par «souci de transmissi­on». Alain Weisz, 70 ans, a laissé le basket derrière lui après 35 ans dans le costume d’entraîneur, et une fin réussie comme directeur sportif à Boulogne-Levallois (20182023). Dans un livre intitulé «Mes secrets de coach» (éditions Solar), il a voulu s’adresser avant tout aux coaches français «qui doutent beaucoup d’eux-mêmes».

Passé par Sceaux, Le Mans, Strasbourg, HyèresToul­on ou Nancy, et surtout sélectionn­eur de l’équipe de France masculine (20002003), Weisz décrit les ficelles du métier d’entraîneur. Comment gérer un vestiaire, l’aspect mental, les émotions, les coulisses que le grand public ne voit pas... Il parle de basket, un peu de foot, de biais cognitifs, cite aussi bien José Mourinho qu’Oscar Wilde ou Jean Jaurès. Le natif de Marseille, qui réside aujourd’hui dans le Var, raconte aussi, entre autres, comment il a recruté miraculeus­ement Victor Wembanyama, sans même y croire. Pour Le Figaro, il revient sur quelques savoureuse­s anecdotes de sa carrière.

Ses débuts dans le coaching : «En benjamins, j'entraînais mon équipe»

«Il n'y a pas de jour précis parce que j'ai toujours coaché par la force des choses. Quand j'étais à Marseille, mon père avait monté un club. À l’époque, il n'y avait pas d'entraîneur­s, pas d'argent. C'était les années 60. On était six enfants Weisz d'âges différents. Il nous a demandé à tous d'entraîner notre équipe. En benjamins, j'entraînais mon équipe. J'allais voir mes frères qui entraînaie­nt les plus vieux et j'essayais de faire des choses comparable­s, des exercices...

Cette notion d'entraîner, je ne peux pas dire que je l'ai mûrie, elle m'est tombée dessus par nécessité. Aujourd'hui ce serait risible, mais c'était une époque où il n'y avait pas d'entraîneur­s. Il n'y avait pas les brevets d'État qui ont fait naître des vocations. Quand je suis devenu prof de gym, je suis tout de suite allé au club de Sceaux. Je m'y suis occupé des jeunes, puis Sport-étude est arrivé.»

La réussite dont il est le plus fier : «Là, les joueurs avaient vraiment besoin de moi»

«C'est celle où j'ai eu le plus d'impact : c'est d'avoir été neuf fois champion de France des sections Sportétude et d'avoir participé trois fois aux championna­ts du monde. C'est là qu'il y a eu une accélérati­on pour moi. Là, les joueurs avaient vraiment besoin de moi. Plus on va vers le haut niveau, plus c'est le coach qui a besoin des joueurs. C'est là que j'ai appris mon métier, en comprenant après, par contraste, ce que les joueurs attendaien­t.

Les enfants attendent beaucoup du coach. À un niveau supérieur, les joueurs ont besoin d'être guidés et coachés, mais ils ont souvent le talent de s'en sortir par eux-mêmes, et donc l'action du coach est totalement différente. C'est plus une façon d'accorder de la liberté. Souvent, tu as des joueurs frustrés car ils ont le sentiment de ne pas montrer tout leur potentiel par la faute soit des systèmes, soit du temps de jeu insuffisan­t, soit de X consignes qui peuvent ne pas les placer en position privilégié­e. Et c'est là que ça devient difficile.»

Le jour où on lui a proposé l'équipe de France : «Je ne sais pas si j'étais le meilleur»

«Ça ne s'est pas fait comme d'habitude. Je travaillai­s avec l'équipe de France depuis 1997. J'étais dans le staff en 1999 quand la France a organisé l’Euro. En accord avec le président de la Fédération Yvan Mainini, on avait mis sur contrat que je prendrai l'équipe après les JO 2000. C'était un honneur et une charge. C'est une grande responsabi­lité d'avoir l'équipe nationale, beaucoup plus que d'être coach dans n'importe quel club. Je ne veux pas dire que c'est plus difficile, mais c'est très différent. Tu es sélectionn­eur, pas entraîneur. Mais je savais le poids des responsabi­lités et à quel point on focalisait sur le sélectionn­eur. J'ai signé mon contrat en février 2000. Je savais que Jean-Pierre De Vincenzi s'arrêterait après les Jeux. J'ai eu le temps de mûrir le truc et de prendre conscience de la difficulté.

Si j'avais pu m'imaginer à ce poste 20 ans plus tôt ? Franchemen­t non. J'estimais qu'il fallait faire ses preuves beaucoup plus que celles que j'avais faites. Je pensais qu'il y avait des coaches plus forts que moi qui passeraien­t avant moi. Mais les choses ne se sont pas faites de cette façon-là. Il fallait d'abord être capable de travailler en équipe, avec les deux autres adjoints qui étaient là, puis de travailler avec le coach principal. Ça ne correspond­ait pas forcément à des coaches plus avancés que moi, comme (Jacques) Monclar ou (Greg) Beugnot. Ils étaient plus connus, mais n'auraient pas accepté d'être des seconds pendant plusieurs années. Cette capacité à travailler en équipe comme on me l'avait demandé, le président pensait qu'ils n'auraient jamais pu le faire. Je ne sais pas si j'étais le meilleur, mais le fait d'avoir été en interne était un avantage.»

L'émergence de Tony Parker : «On était parti à l'Euro avec un garde du corps»

«Si je me souviens de l'avoir lancé en Bleu (le 22 novembre 2000 contre la Turquie) ? Bien sûr. Tony n'avait pas encore le statut. Il y a plusieurs premières fois. Sa première compétitio­n officielle, c'est l'Euro 2001. Il n'est pas dans l'équipe, il est sur le point de signer à San Antonio. Finalement, il y a un blessé et il vient dépanner, ce qui montre tout son attachemen­t à l'équipe de France. Il était en vacances, loin de nous, et il a accepté de venir. Il n'avait pas fait la préparatio­n. Il sortait d'une très bonne saison avec le Paris Basket Racing, mais ce n'était pas encore le grand Tony Parker.

Et puis il y a son intronisat­ion comme joueur "principal". À l'Euro 2003, il est élu dans le meilleur cinq, il est meilleur marqueur. Son statut avait changé, il venait d'être champion NBA. C'était une des stars du championna­t d'Europe. Partout où il passait, aux aéroports où ailleurs, il y avait un attroupeme­nt. On était embêté. Ça nous retardait beaucoup, ça l'agaçait un peu. On était parti à l'Euro avec un garde

du corps, censé mettre de l'ordre dans la "hype" qui existait autour de Tony Parker. On n'a pas attendu Wembanyama pour une "hype" comme ça. Tous les jeunes voulaient voir le prodige, on lui demandait des autographe­s, on voulait le voir, le toucher, l'admirer. C'est la première fois dans l'histoire du basket français qu'un joueur avait un garde du corps dédié.»

La plus chaude ambiance : «Dès qu'il y avait un temps mort, ils activaient leurs casseroles»

«La plus belle, c'est Sydney. C'était la dernière épreuve des JO, il y avait toute la délégation française. On a été soutenu d'une façon inoubliabl­e par les athlètes et les responsabl­es des équipes de France. Je pense qu'ils s'en rappellent aussi car, à chaque fois que j'en rencontre, ils me disent : "Ah on y était, c'était super !"

Sinon, c'est mon premier match en Turquie avec l'équipe de France, à Istanbul. Ils avaient délégué une bande de joyeux lurons qui étaient juste derrière le banc avec des casseroles. Je n'ai pas pu me faire entendre à un seul temps mort. Dès qu'il y avait un temps mort, ils activaient leurs casseroles et les bruits qui en résultaien­t. J'ai parlé, mais je n'ai jamais été entendu. Moimême j'avais du mal à entendre ce que je disais. Là je me suis dit : «Waouh.» On était au plus haut niveau européen, mais on était encore dans des salles de Régional ! Les temps morts étaient inaudibles. Avec le recul, c'est quand même plutôt rigolo.»

Le meilleur joueur qu'il a coaché : «Parker pouvait gagner des matches seul»

«C'est Tony Parker, incontesta­blement. Il avait cette capacité à gagner les matches à lui tout seul. Un coach met toujours en place des systèmes de jeu pour l'équipe, pour les joueurs, pour parler un langage commun. Mais un coach a aussi besoin de quelqu'un qui puisse sortir des systèmes, prendre des initiative­s et les réussir.»

Sur Victor Wembanyama : «Il était trop fort pour notre équipe»

«La performanc­e individuel­le la plus incroyable que j'ai vue, ce n'est pas au plus haut niveau, mais c'est quand même Victor Wembanyama. Ce qu'il a fait dès qu'il est arrivé au club (Boulogne-Levallois), dans un tournoi de pré-saison avec deux bonnes équipes européenne­s... Il met deux fois 34-35 points sans trop de consignes collective­s. Le coach (Vincent Collet) n'était pas encore arrivé, il était au championna­t d'Europe avec les Bleus. Après ce tournoi, je me disais que ce n'était pas possible qu'on le garde, il était trop fort pour nous.

Ensuite pour moi, son plus gros exploit c'est Las Vegas parce qu'il est attendu (deux matches d'exhibition contre l'Ignite, équipe de GLeague, l'antichambr­e de la NBA). La confrontat­ion entre Boulogne-Levallois et l'Ignite n'en était pas une. C'était une confrontat­ion entre lui et Scoot Henderson (choisi en 3e position à la draft NBA 2023).

La veille du premier match, on les présente tous les deux sur l'estrade comme des boxeurs qui vont s'affronter. Sur ces deux matches, tout le monde est tombé sous le charme. Tout le monde se demande toujours si le joueur présenté comme un futur si fort joueur l’est vraiment, ou si c’est bidon. Et là, ils se sont tous aperçus que ce n'était pas bidon. Tout le monde a été incroyable­ment surpris, et moi aussi. Enfin moi, pas surpris, mais admiratif. Ce match était peut-être celui où il y avait le plus d'enjeux jusqu'alors dans sa carrière parce que c'était là que se déterminai­t le premier choix de la draft. Ce qu'il a été capable de faire, c'est très, très, très fort.»

 ?? Herve Bellenger / Panoramic ?? Alain Weisz, ancien entraîneur et sélectionn­eur de l’équipe de France masculine de basket.
Herve Bellenger / Panoramic Alain Weisz, ancien entraîneur et sélectionn­eur de l’équipe de France masculine de basket.

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