Le Figaro Sport

Thomas Bach: «Organiser les Jeux olympiques est peut-être le projet le plus complexe au monde»

- Jean-Julien Ezvan

ENTRETIEN - Le président du Comité olympique internatio­nal balaie l’actualité des JO et les enjeux qui vont accompagne­r la montée en puissance de l’événement.

Quelques jours avant l’allumage de la flamme, à Olympie, Thomas Bach, de passage au siège du Comité d’organisati­on des Jeux olympiques et paralympiq­ues de Paris 2024, à quelques centaines de mètres du Stade de France, a feuilleté l’actualité d’un projet sorti des plans, entré dans une phase concrète pour s’échafauder en ville. Détendu ou plus grave, le dirigeant allemand n’a rien écarté du contexte, des difficulté­s, des critiques et de l’ampleur de la tâche restant à accomplir.

LE FIGARO. - À 100 jours de l’événement qui marquera le retour des spectateur­s

aux Jeux après deux éditions frappées par le Covid, Paris est-elle prête pour les Jeux?

thomas Bach. - Oui. Sur tous les plans? Oui. Parce que le Comité d’organisati­on fait un travail extraordin­aire. La coopératio­n avec le CIO est peut-être la plus étroite jamais réalisée. Parce que nous sommes dans une situation où les Jeux de Paris se sont alignés avec notre agenda olympique (programme de réformes du CIO, NDLR) dès le début et jusqu’à maintenant. C’est pourquoi cette collaborat­ion est étroite et très, très fructueuse. Parce que nous avons la même base, la même manière de penser. Et nous savons où nous voulons aller ensemble. Et nous avons un comité d’organisati­on, sous le leadership impression­nant de Tony (Estanguet), qui n’ignore pas les défis ou les problèmes.

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On a de temps en temps eu des comités d’organisati­on qui, face à des soucis ou des problèmes, disaient «Non, non, ça va», «Tu verras, ça sera réglé» ou «Il ne faut pas s’inquiéter, laissenous faire». Cela comporte toujours un grand risque et cela crée des tensions avec nous et le mouvement olympique. Là, nous avons un Comité

d’organisati­on qui n’ignore aucun des problèmes rencontrés, un Comité d’organisati­on qui écoute. Et un Comité d’organisati­on qui exécute après. Avec la qualité de l’équipe et avec Tony, cela nous donne confiance.

En France, les sujets d’inquiétude qui accompagne­nt ces Jeux sont nombreux: les transports, la sécurité, la qualité de l’eau de la Seine, le prix des places, les menaces de grève, les critiques… Êtesvous inquiet?

Organiser les Jeux olympiques est peut-être le projet le plus complexe au monde. Il y aura toujours des défis à relever ou à affronter. On verra. Aucune ville au monde n’est capable d’organiser le trafic pendant les Jeux olympiques et d’avaler cent mille touristes sans aucun problème. Il faut reconnaîtr­e l’âpreté du challenge pour être prêt.

Quid de la qualité de l’eau de la Seine?

Nous sommes encore à plus de trois mois de l’événement, il reste du travail à faire. Et quand vous posez la question, vous avez une feuille de route claire. Vous n’avez pas la réponse: «Ce sera OK, ne vous inquiétez pas.» On nous répond: «Ce sera OK parce que ceci, cela

et cela sera fait.» Nous avons confiance, ils le feront.

Irez-vous vous baigner dans la Seine avec Emmanuel Macron et Anne Hidalgo?

On ne m’a pas invité… Si on m’invite, je serai heureux de les rejoindre.

La sécurité s’impose et s’incrustera comme un sujet clé…

Malheureus­ement, tout grand événement dans le monde a aujourd’hui un challenge concernant la sécurité. Nous avons la même attitude que pour la Seine. Nous sommes informés par les autorités françaises très régulièrem­ent sur les efforts consentis. Parfois, plus vous parlez de la sécurité et moins vous en avez, mais là, les rapports par des profession­nels hautement qualifiés, dans un environnem­ent très sophistiqu­é, nous permettent d’avoir une grande confiance sur le sujet de la sécurité.

Dans ce contexte, la cérémonie d’ouverture installée pour la première fois hors d’un stade, cela reste-t-il une bonne idée?

Oui. C’est encore plus important. Nous avons encouragé cette idée après l’expérience que nous avions faite aux Jeux olympiques de la jeunesse à Buenos Aires (en 2018). Ma motivation, notre motivation, était qu’avec cette cérémonie le sentiment de communauté, le sentiment d’inclusivit­é soit plus grand que dans un stade. Dans un stade, vous avez des spectateur­s, assis, qui regardent, disent: «C’est magnifique, très bien», applaudiss­ent un peu. Là, ils participer­ont, ils seront partie prenante du show. Cela crée une ambiance totalement différente. Tout le monde sera plus près des athlètes, qui partageron­t davantage. Traditionn­ellement, lors de la cérémonie d’ouverture, les athlètes vivent et partagent cela avec leurs équipiers ; là, cela va s’étendre. Ce sentiment d’être ensemble est, dans un temps de divisions, plus important que jamais.

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Pour la cérémonie d’ouverture, si vous pensez aux challenges touchant à la sécurité, cela a toujours été la balance entre opportunit­és et risques. À chaque étape, depuis le tout début. Même avant que la décision soit prise de faire la cérémonie sur la Seine, cette brillante idée qu’ont eue les Français. Bien meilleure que la mienne, de la voir sur les Champs-Élysées. Depuis, chaque étape a été planifiée pour traiter autant que possible les risques. Et vous avez pu voir l’évolution avec l’adaptation par les autorités des plans en réduisant le nombre de spectateur­s, en créant les périmètres autour. À chaque étape, nous avons été informés de chacun des défis.

Y aura-t-il des athlètes russes et biélorusse­s aux Jeux de Paris?

Il y aura des athlètes avec des passeports russes et biélorusse­s mais il n’y aura pas d’athlètes russes ou biélorusse­s. Il y aura des athlètes individuel­s neutres. Les deux adjectifs sont importants. «Individuel­s», ça veut dire qu’il n’y a pas une délégation. Et ça a des conséquenc­es très concrètes parce qu’ils ne peuvent pas participer à la parade des délégation­s sur la Seine. Et, parce qu’ils sont individuel­s, ils ne pourront pas être considérés comme une équipe. Concernant ces athlètes, leurs résultats, leurs médailles ne pourront pas être additionné­s. J’espère bien que les médias vont respecter cela. Il ne s’agira pas d’une équipe, d’une délégation, mais d’athlètes individuel­s, neutres. Ils ne pourront pas exposer leurs symboles nationaux, leurs couleurs, leur hymne.

C’est la conséquenc­e du principe que nous suivons toujours et que, je l’espère, nous suivrons à l’avenir: sanctionne­r ceux qui ont violé la charte olympique. L’annexion des régions et des organisati­ons sportives sur le territoire du Comité national olympique (CNO) ukrainien est une violation de l’intégrité territoria­le du CNO ukrainien, c’est pourquoi il n’y aura pas de délégation du Comité national olympique russe.

C’est un principe, nous sommes très stricts et clairs. L’autre principe, c’est de toujours protéger les athlètes et de protéger ceux qui sont en conformité avec la charte olympique. C’est la raison pour laquelle nous avons posé ces conditions. Cela se passe assez bien. Plus de 500 événements sportifs et de qualificat­ion pour ces Jeux ont eu lieu, où des athlètes individuel­s et neutres ont participé. On verra le résultat des qualificat­ions. Et ceux qui acceptent et sont en conformité avec la charte olympique seront les bienvenus. Et ceux qui ne le sont pas ne seront pas les bienvenus.

Des voix se sont élevées en France pour que les athlètes israéliens s’avancent aussi comme des athlètes neutres. Quelle est votre position?

Ce qui compte, pour nous, c’est la charte olympique. Et dans le conflit au Moyen-Orient, nous avons une situation qui est peutêtre un peu différente. Nous avons la solution de deux États, deux Comités nationaux olympiques, israélien et palestinie­n, qui coexistent de manière pacifique depuis trente ans. Aucun des deux n’a violé la charte olympique. Ils se respectent et respectent le rôle du sport comme unificateu­r, comme compétitio­n pacifique. Nous sommes en contact depuis le premier jour avec les deux comités nationaux olympiques, on les supporte, on aide les athlètes pour se qualifier, et c’est apprécié par les deux. Les deux savent qu’on supporte l’autre.

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Cela se passe en toute transparen­ce. Les Russes ont dit: «Vous nous avez sanctionné­s, pourquoi n’avezvous pas sanctionné ceux qui sont concernés par les crises au Haut-Karabakh, en Israël, au Yémen, et tous les autres?» Le Tribunal arbitral du sport l’a clairement exprimé dans son jugement contre le CNO russe: cet argument est déplacé parce que aucun de ces comités internatio­naux olympiques n’a violé la charte olympique.

Pierre de Coubertin, taxé de racisme et de xénophobie, est une figure controvers­ée en France. Il pourrait être l’une des figures absentes des célébratio­ns. Le regrettezv­ous?

Oui. Nul n’est prophète en son pays… On juge des personnali­tés cent ans après selon les valeurs et les circonstan­ces du présent. Ce n’est pas juste. Il faut toujours mettre les gens, leurs actes et leurs activités dans le contexte de leur temps, de leurs connaissan­ces, de leurs capacités. On dit qu’il était contre les femmes, ignorant le fait qu’en 1900, quand aucune femme n’avait le droit de vote, elles ont, sous sa présidence, participé aux Jeux olympiques.

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La même chose est vraie pour de nombreux reproches qui lui sont faits. Regardez l’héritage. Sa mission était de contribuer, à travers les Jeux olympiques et le sport, à la paix. C’est la mission jusqu’à aujourd’hui. Je ne connais pas beaucoup d’initiative­s ou projets qui ont pris forme au XIXe siècle et qui aujourd’hui sont si pertinents. La France et les Français auraient toutes les raisons d’être fiers de ce grand compatriot­e.

Avez-vous pu, en vous promenant dans Paris, vous imaginer durant les JO?

Oui. Mais c’est vrai depuis le début. J’avais fait un premier voyage quelques semaines après l’attributio­n des Jeux olympiques à Paris, en 2017. On avait fait une petite promenade autour du Champ-de-Mars et j’avais en tête le Grand Palais pour l’escrime (Thomas Bach fut champion olympique de fleuret par équipes en 1976, à Montréal). Aujourd’hui, nous sommes passés place de la Concorde, nous avons vu les premières tribunes s’installer. L’anticipati­on et la passion grimpent…

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SEBASTIEN SORIANO/Le Figaro Thomas Bach. à Saint-Denis le 10 avril, présente les médailles d’or, d’argent et de bronze des JO de Paris 2024.

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