Il y a 50 ans, Peter Hill traversait Elbeuf en tête
Le 2 juillet 1967, Peter Hill, Anglais de naissance et Caudebécais d’adoption, traverse Elbeuf en tête, emmenant l’échappée décisive qu’il vient de lancer, lors de l’étape Caen-amiens, où il prendra la 5e place. C’était il y a cinquante ans. Flash-back…
Petit, Peter Hill, né le 4 juin 1945 à Doncaster, une région minière du nord de l’angleterre, rêvait, comme beaucoup d’enfants de son âge, de devenir footballeur professionnel. Il ne savait pas encore que c’est dans le vélo qu’il allait s’illustrer et réussir à prendre part dès sa première saison professionnelle à la plus grande épreuve du monde, le Tour de France…
« N’ayant pas réussi à me faire remarquer par un club de foot professionnel, j’ai décidé, à quatorze ans, d’acheter un vélo à crédit afin de distribuer les journaux le matin. C’est comme ça que tout a commencé. Je roulais toujours seul, me rendais régulièrement au bord de la mer, ce qui faisait 160 km aller-retour » . À 16 ans, il rejoint un club de cyclotourisme et effectue de longues sorties. C’est ainsi qu’il se rend en Norvège ! Ayant le fond nécessaire, il se retrouve engagé par son club dans un contre-lamontre (quasiment les seules épreuves du calendrier anglais, les courses en ligne étant rares alors) et l’emporte « sans préparation spéciale » . Visiblement le jeune Hill est doué. En 1963, il décide donc d’acheter un vélo neuf et se donne à fond dans le vélo. Cela lui réussit puisqu’il devient champion d’angleterre du contre-la-montre. Spécialiste du contre-la-montre
En 1964, il récidive : « Je voulais prouver que mon titre de 1963 n’était pas un hasard ». Jusqu’alors, il n’avait toujours pas participé à des courses en ligne. C’est alors qu’il a l’opportunité d’entrer dans un club français, l’auto Cycle Sottevillais, « celui de Jacques Anquetil, mon idole, je n’ai pas hésité une seconde » . Et en février 1965, à 20 ans à peine, il débarque en Normandie, ne parlant pas un traître mot de français. Par l’intermédiaire de notre regretté confrère de Paris-normandie, Pierre Lardière, il trouve une famille d’accueil… à Caudebec, chez les Mamier, dont le fils Pierre (notre ancien collaborateur au Journal d’elbeuf) est cycliste lui aussi et futur professeur d’anglais. Peter devient donc Caudebécais… et il l’est toujours, ayant épousé Françoise, la soeur de Pierre, avec qui il a eu trois fils.
La rencontre avec Maître Jacques
Mais revenons à 1965 : « Dès ma première sortie d’entraînement, j’ai rencontré Anquetil, j’étais très impressionné de me retrouver en face de lui. C’était vraiment un super
mais en même temps, c’était quelqu’un de très simple » . Au contact d’andré Boucher,
apprend alors à courir : « J’avais une totale confiance en lui, il m’a tout appris ».
Dès sa première année, ce sujet de sa très gracieuse majesté britannique enlève le Maillot des Jeunes, et au passage la finale contre la montre puis, en fin de saison le Grand Prix de France (clm) devant Ocana et termine deuxième du Grand Prix des Nations. Peter apprend alors la tactique et découvre la course d’équipe.
En 1966, il passe la vitesse supérieure et participe au Tour de l’avenir, portant le maillot de leader durant trois jours. Il décide alors de passer pro : « Je n’avais plus rien à prouver en Normandie et je pensais qu’il fallait franchir le pas jeune pour apprendre le métier. André Boucher n’était pas très chaud mais il m’a trouvé un contrat chez Peugeot ».
Pro chez Peugeot avec Merckx et Pingeon
Il fait connaissance avec ses équipiers, notamment Merckx, Pingeon, Simpson ou Bracke, lors du stage d’avant- saison sur la Côte d’azur. Pour ses débuts, au Grand Prix d’antibes, il se classe 5e : « Je marchais bien ». Puis, son directeur sportif, Gaston Plaud, l’envoie faire la campagne des classiques en Belgique : Tour des Flandres, Fléche Wallone, Paris-roubaix, etc. avec en prime Tour de Belgique et les Quatre jours de Dunkerque ! Excusez du peu ! « Ce n’était pas un programme pour un jeune pro mais je n’ai pas eu le choix. Il y avait une différence de rythme énorme avec les amateurs. Sur les pavés, je me retrouvais souvent dans la troisième bordure… avec les Français ! ». À la sortie, il était fatigué et n’avait plus trop le moral et pour couronner le tout, Plaud décide de l’envoyer sur le
Giro « ça te fera une bonne expérience pour le Tour m’a-til dit » . Dans la quatrième étape,
il abandonne. Le Tour avec Simpson
Puis vient le Tour. L’épreuve se court par équipes nationales et Peter Hill est retenu dans l’équipe de Grande- Bretagne aux côtés de Tom Simpson, Barry Hoban et Mickael Wright
notamment. « Le Tour, c’est magique, c’était mon rêve. C’est la plus grande course du monde, celle que tout coureur veut disputer. J’ai donc pris un peu de repos et je me suis bien préparé dans l’idée de faire quelque chose ».
La Grande Boucle part d’an-
gers. Peter Hill ( dossard 43) prend le départ avec des espoirs
plein la tête : « Le prologue, c’est l’un des moments les plus forts. C’est le début du Tour, les spectateurs voient les coureurs de près, un par un. Et puis, il y a la présentation des équipes, les hymnes nationaux, le public… On se dit on y est ! ».
Les deux premiers jours se
passent bien : « Je suivais sans problème et j’avais prévu de faire quelque chose lors de la troisième étape qui passait à Elbeuf, me considérant comme Elbeuvien ». Il démarre donc à Saint-ouendu-tilleul, emmenant dans son sillage onze coureurs et traverse sa ville d’adoption en tête, de la rue Boucher-de-perthes (encore pavée à cette époque) à la rue Jean-jaurès en passant par la rue des Martyrs, noire de monde, avant de gagner la rive droite de la Seine. Les douze compères ne seront jamais revus, Peter venait de lancer l’échappée décisive. À Amiens, l’italien Marino Basso l’emporte, lui se classe cinquième. « Mais après l’arrivée, ni Simpson, ni Hoban, ni aucun autre de mes coéquipiers ne m’a demandé combien j’avais terminé. Ils n’ont même pas eu un mot gentil pour moi. Ça m’a gâché mon bonheur ».
Atteint au moral et au physique, il souffre le lendemain sur les pavés du Nord avant de recevoir à l’hôtel la visite… d’eddy Merckx en personne : « Il est venu prendre de mes
nouvelles. Ça m’a ému car je n’étais qu’un petit domestique et lui déjà un grand champion » . Une démarche cependant conforme au person
nage, « quelqu’un à la fois de très pro et très simple ».
À bout de forces, il renonce dans la 8e étape
Peter Hill mettra définitivement pied à terre sur la route de Belfort, dans la huitième
étape, totalement épuisé. « Il faut vraiment être costaud pour récupérer. Quand on est domestique, on est massé en dernier, à 11 h du soir. Il faut ensuite s’endormir dans une ville où bien souvent c’est la fête, où il y a du bruit. Et le lendemain, il faut se lever à 7 h, manger avant de partir à 10 h… Mes seuls moyens naturels ne me permettaient plus de continuer. J’ai préféré renoncer ». La mort de Simpson
Quelques jours plus tard, la mort de Tom Simpson sur les pentes du Ventoux va lui donner raison : « Un tel événement, ça fait réfléchir. Cette annéelà, j’ai vu des gars chargés à fond » . Lui n’est jamais entré dans ce jeu- là, privilégiant sa santé. En fait, il était pro avec un esprit amateur, par amour du vélo.
Peter ne sait pas, alors qu’il n’a que 22 ans, qu’il vient de faire ses adieux définitifs au Tour. En octobre, il reçoit en effet une lettre de licencie-
ment : « Je n’avais pas donné satisfaction, paraît-il. J’avais pourtant un contrat de deux ans. Il était trop tard pour retrouver une équipe, j’ai voulu redescendre amateur mais la fédération anglaise a refusé. J’ai donc fait quelques courses en Angleterre sans grande motivation ».
Présélectionné pour le Tour 1968, il se rend alors en Suisse où il remporte le Tour du NordOuest et figure en bonne place
au Tour national : « J’étais bien préparé lorsque j’ai reçu un télégramme de la fédération anglaise m’informant que je n’étais finalement pas retenu, n’ayant pas disputé les épreuves de sélection en Grande-bretagne ».
C’en est trop, il renonce définitivement au professionnalisme, sans regrets. « J’ai tenté l’aventure. Pour différentes raisons, ça n’a pas marché mais au moins j’ai essayé. Si on ne tente jamais rien, on ne peut savoir ce qu’on vaut réellement. Et puis j’ai eu d’autres satisfactions dans ma vie personnelle ».
À la montagne… pour faire du vélo !
Quand il revient sur son expérience malheureuse, il estime qu’il lui a manqué quelqu’un pour l’entourer, le diriger, « un homme de confiance comme Monsieur Boucher. Sans lui, j’étais perdu, c’était un peu mon père spirituel ».
S’étant marié à Françoise Mamier, il décide de rester en France et entre chez Holden Europe, où il effectuera toute sa carrière. Financièrement, il n’a pas perdu au change. Mais l’argent n’était pas sa motivation première.
Aujourd’hui, il lui reste les souvenirs. Mais il continue de rouler, toujours seul, comme à ses débuts. Ainsi, cette semaine il est en vacances à la montagne… pour faire du vélo ! Il sera de retour le… 2 juillet, pour quelques jours avant de repartir. En 2016, il s’est rendu dans les Pyrénées, où il a notamment grimpé le Tourmalet.
Et puis il suit le football à la télévision et ne manque jamais le Tour de France. Même s’il a gardé son inimitable accent anglais, il se sent définitivement Caudebécais. « En Normandie, j’ai été tout de suite bien accueilli et accepté par le monde sportif et les amoureux de vélo. J’ai toujours été plus estimé ici que dans mon pays. Aujourd’hui encore, les gens de ma génération me reconnaissent et discutent avec moi ». Sa simplicité, sa gentillesse et son esprit sportif ne sont pas étrangers à cette popularité.
Pourtant, l’anglo-normand n’est pas totalement oublié par sa mère patrie. Ainsi, en cette année du cinquantenaire de la mort de Tom Simpson, un journaliste anglais est venu l’interviewer, il y a deux mois. Une reconnaissance, certes tardive, qui a dû lui faire chaud au coeur.