« Je voudrais pouvoir peindre directement sur le mur »
Nouvel épisode des ressentis d’une jeune Argentanaise, Eloïse Auboiron, à Rio. Certains endroits de Rio lui rappellent un Argentanais : André Mare.
André Mare s’est éteint trop prématurément pour donner de la couleur à ses mots. « Faire grand, je voudrais pouvoir peindre directement sur le mur […] », écrivait le décorateur argentanais à sa femme Charlotte.
Près du donjon d’Argentan, son autoportrait rend un brin d’oxygène à une ambition étouffée. Un vent d’espoir à un rêve enterré et un souffle nouveau à ses Carnets de Guerre, maintenant lisibles à ciel ouvert.
Sans intermédiaire. Tantôt honorifique, tantôt polémique. L’art urbain – ou street art – grave dans la pierre des expressions dont les réseaux sociaux ne saisiront jamais l’essence. À l’heure où nos murs virtuels enjolivent et temporisent les émotions, la peinture musèle les rires et sèche les larmes. Elle noie les rides et révèle les âmes. Dans les rues du monde entier, les vrais murs parlent et vivent. Les murs dénoncent et les murs unissent.
Cet appel à l’union, le graf- feur brésilien Kobra l’a imprimé sur un édifice délabré de Rio de Janeiro, moyennant 180 bidons d’acrylique et 2 800 de spray. Imposants, émouvants voire déconcertants, les portraits dessinés par l’artiste à la veille des Jeux Olympiques invitent à la paix et à la tolérance. Ces cinq visages, symbolisant les cinq continents et les cinq anneaux de l’olympisme, scrutent leurs observateurs et les placent face à leur propre indifférence. Se penchent-ils, peut-être, davantage sur l’humain que l’homme ne le fait sur lui-même.
Au cours de mes escapades urbaines en Amérique Latine, j’ai été maintes fois confrontée à des fresques passionnantes. Chacune plus poignantes, plus absorbantes. En l’honneur de mythes et d’anonymes, contre la corruption et la censure, les artistes sortent sprays et palettes pour faire parler la pierre. À São Paulo, Bogota et Buenos Aires, des ateliers de plein air accompagnent les transformations et l’essor des villes. Dans les universités et les ruelles éclipsées, les vrais murs crient et vivent. Les murs célèbrent et les murs s’expriment.
Armés d’un peu de peinture sur les doigts, les rêveurs transforment les murs en passerelles. Ils lient les combats des sociétés au monde des idées. À quelques pas de chez nous, un abbé l’eut bien compris. En baptisant l’église de Ménil-Gondouin de « vivante et parlante », Victor Paysant confessait que, pour partir à la conquête des coeurs et des esprits, les inscriptions et références bibliques devaient déambuler sur la façade de l’édifice.
Car les grands voyageurs le savent. Qu’importe le pays dont nous venons, l’image restera la langue véhiculaire par excellence. Et la pierre ? Une toile en abondance, qui touche les consciences.