Une Ornaise dans l’enfer d’Irma à Saint-Martin
Installée à Saint-Martin depuis 12 ans, Audrey Donal n’avait jusqu’alors connu pire catastrophe climatique que l’ouragan Irma. L’Alençonnaise de 38 ans témoigne du chaos auquel fait face l’île depuis et livre sa volonté de participer à sa reconstruction.
Orne. Dix jours se sont écoulés depuis le passage de l’ouragan Irma quand Audrey Donal livre ce témoignage mais le traumatisme qu’il a engendré est encore bien ancré. « L’île est plongée dans un chaos terrible : il n’y a pas d’eau, pas d’électricité, les connexions téléphoniques et internet ne sont pas possibles partout, les écoles sont détruites… » .
L’Alençonnaise de 38 ans est installée à Saint- Martin avec son époux Erwann depuis février 2006. Les deux enfants du couple sont nés sur l’île. « On voulait vivre au soleil. J’ai décroché un poste d’assistante de direction dans un hôtel de la baie orientale de Saint-Martin et Erwann est venu me rejoindre cinq mois plus tard. Il est prof de sport en collège et lycée. La façon de vivre ici et le soleil toute l’année nous ont conquis et nous y avons construit notre cocon. C’était paradisiaque. Nous avions une maison face à la mer que nous envisagions d’acheter cette année… »
Audrey use désormais de l’imparfait pour dresser ce tableau. Parce que depuis Irma, « c’est le chaos total ! »
Elle avait déjà connu des phénomènes climatiques importants, « mais jamais rien de pire ! » . « Ici, il y a une saison cyclonique. On vit avec les tempêtes et les cyclones du 1er juillet à la fin novembre. On reçoit des informations sur nos portables et on sait s’y préparer.
Ça ne nous met pas en stress parce qu’au-dessus de la catégorie 3, c’est rare et en dessous, ça ne nous fait pas peur ! »
Ils avaient été avertis cinq jours avant le passage d’Irma. « La France ( entendez la métropole) n’en parlait pas encore qu’ici on savait déjà qu’on allait se prendre un gros truc ! C’était d’abord annoncé comme un cyclone de catégorie 4. Les habitants se sont mis en alerte car ils avaient le souvenir douloureux de Luis en 1995 qui avait tout ravagé. Mais Irma a évolué en catégorie 5 donc c’est devenu grave ! »
« Notre quartier a été passé à la machine à laver ! »
La famille a alors décidé d’évacuer sa maison en bord de mer pour s’abriter dans une des 17 villas de l’hôtel « à cette saison », dont Audrey est responsable. Elle a embarqué des couples de voisins avec elle. « On savait qu’on aurait de l’eau dans la maison. On a donc mis les meubles en hauteur, rangé les papiers dans des sacs plastiques qu’on a abrités dans les armoires dont on avait bloqué les portes avec des bâtons pour ne pas qu’elles s’ouvrent. On s’attendait à perdre beaucoup… Mais pas tout ! »
Car la mer a tout dévasté. « Notre quartier a été passé à la machine à laver ! On n’a plus rien. Plus de maisons, plus de papiers, plus de passé ! » , énumère Audrey qui évoque « un choc important » à la vue des dégâts.
À peine ont-ils eu le temps d’intégrer ces images, « qu’on nous a annoncé un autre cyclone de catégorie 4 deux jours plus tard ! Sauf que psychologiquement, nous n’avions plus la force de nous reconfiner ! On se demandait si les maisons allaient tenir une nouvelle fois, sans compter les débris et les tôles partout dans les rues. On a donc décidé d’évacuer et tout le monde s’est rendu à l’aéroport. C’était l’horreur !
Les militaires bloquaient les accès. Il n’y avait que 80 places, les femmes et les enfants étaient prioritaires donc ça générait des scènes de pleurs au moment des séparations. On a décidé de ne pas faire vivre cela à nos enfants et on s’est de nouveau mis en sécurité dans notre villa.
Mais il y avait l’insécurité en plus avec les pillages. C’était le fait d’une minorité mais prête à tout pour pas grand-chose.
Et finalement, les militaires sont venus nous dire que José passait très au large et ne frapperait pas l’île… On n’avait pas fermé l’oeil depuis cinq ou six nuits et du coup, à l’annonce de cette nouvelle, avec nos amis, on a essayé de faire une soirée… »
Comme une pause sur l’échelle des émotions. « Ça a été très intense ces jours qui ont suivi Irma avec des moments de panique, de grande tristesse, de doutes et donc de joie quand on apprend que José ne vient pas » . pendant trois jours. José a dû contribuer à cela parce que les secours ont tardé à venir. Puis 130 légionnaires sont arrivés, le GIGN et ses véhicules blindés, un médecin vétérinaire, pas pour les animaux mais chargé de l’hygiène car on n’a plus d’eau. On doit mettre du chlore dans les citernes d’eau pour éviter les épidémies.
Dès qu’on entend la pluie, on sort les bacs pour se doucher. Nous, à l’hôtel, on a un stock de nourriture et d’eau mais les militaires distribuent régulièrement à boire et à manger aux habitants… »
De nombreux amis d’Audrey ont évacué l’île depuis Irma. « Seuls les papas sont restés pour éviter les pillages de leurs maisons. Nous, on s’est beaucoup posé de questions. On a aussi failli partir. Rentrer définitivement en France. Mais les militaires nous ont fait beaucoup de bien.
Mon travail me plaît énormément ici et je ne peux pas le quitter tout de suite ! Et surtout, Saint-Martin, c’est notre île. Notre vie est ici. Si tout le monde part, ça ne va pas l’aider à se reconstruire. Alors, on s’est dit qu’on allait se rendre acteur de la reconstruction. Ça nous tient à coeur.
On a passé les moments les plus durs, on ne va donc pas baisser les bras maintenant. Il va falloir du temps mais ça redeviendra paradisiaque. On ne se sait pas si nous connaîtrons un ouragan de cette ampleur tous les 150 ans ou si ça recommencera dans 20 ans mais on va tenter le coup !
On a désormais bien pris conscience qu’il y aura un avant et un après Irma, qu’il va falloir repenser les constructions de maison, les doter de blocs de béton anticycloniques mais tout cela est possible. Après l’enfer et le chaos, on va se relever et on sera plus fort. D’autant qu’on n’a perdu personne d’entre nous. On est tous en vie. C’est cela le principal. Le reste n’est que du matériel » .
« À l’aéroport, c’était l’horreur ! »
La saison cyclonique pas terminée
Audrey ne peut prendre contact avec les siens, en métropole, qu’à partir d’une ligne fixe à dix minutes à pied de chez elle. Mais à chaque fois, elle fait le plein d’émotion. « Je n’ai pas encore pu lire tous les messages reçus sur les réseaux sociaux mais ça faut chaud au coeur. On ne se sent pas seul et ça nous aide. C’est vraiment de cela dont on a besoin » .
A fortiori quand elle réalise que la saison cyclonique n’est pas terminée. « On s’est fait la réflexion hier… Mais on ne sait pas ce qui peut arriver de pire qu’Irma ! »