Laurent Beauvais : « Un axe d’aménagement du territoire »
Dans notre édition du jeudi 19 octobre, Hervé Morin a évoqué, entre autres, la possibilité pour le Paris-Granville, de passer par Caen. Aujourd’hui, l’ancien président de Région Basse-Normandie, Laurent Beauvais, livre sa réflexion.
Arrivée à Montparnasse plutôt qu’à Vaugirard. « L’arrivée à Vaugirard, ce n’est pas moi qui l’ai décidée, c’est René Garrec. Il a dû subir la loi de la SNCF, et je le défends là-dessus.
À l’époque, j’étais à la Région, dans l’opposition : on nous avait expliqué que les habitants autour de la gare Montparnasse ne voulaient plus voir arriver des trains qui arrivaient avec des combustions au fuel. On a donc rapatrié notre Paris-Granville sur Vaugirard, gare sur laquelle des aménagements ont été réalisés depuis. C’est la raison essentielle qui a prévalu.
Du temps de Garrec, comme du mien et même du moment Duron, on a essayé de demander à la SNCF de nous rapatrier vers Montparnasse, petit à petit. En vain.
Moi, j’avais compris que le jour où on aurait des trains électriques, ce qui est le cas avec les Régiolis, puisqu’ils sont bimodes, on pourrait revenir à Montparnasse. Maintenant, ce n’est plus moi qui suis aux affaires. »
Retards et pannes. « C’est une ligne que je commence à bien connaître, parce que je la prends 2 à 3 fois par semaine. Et malgré ce qu’on dit de la ligne Paris-Granville, elle arrive plutôt à l’heure de façon générale ; et il y a beaucoup moins d’incidents qu’avant. Je mets à part les feuilles mortes… »
Coût des Régiolis pour la Région. « J’ai négocié avec la SNCF l’achat de Régiolis, mais pas pour 150 millions d’euros : c’était 150 millions d’euros, moins 20 à 22 millions d’euros de construction du bâtiment d’exploitation de Granville.
Ce bâtiment a été pris en charge à 100 % par la Région et 5 ou 6 postes y ont été créés par la SNCF. Il avait pour vocation à gérer ces matériels thermiques : quand ils les faisaient chauffer à Granville, ça faisait un potin du diable et les riverains s’en plaignaient.
Avec ce bâtiment, outre quelques travaux d’entretien, la préparation des trains fait moins de bruit grâce à des techniques électriques. »
Quels trains pour remplacer les Régiolis. « Hervé Morin trouve que ces trains sont peu confortables. En 2009, on a pris la décision de construire ces Régiolis, conseillés par notre exploitant qu’est la SNCF.
C’était à l’époque où il y avait de gros problèmes sur cette ligne et où j’avais décidé d’arrêter de payer la SNCF.
Moi, je ne suis pas un expert, et je ne sais pas si Hervé Morin est plus expert que moi. Aujourd’hui, est-ce qu’il y a en magasin des trains plus adaptés à cette longueur qu’est ParisGranville ? À ma connaissance, je n’en connais pas d’autres, à part des rames de TGV ; mais je ne pense pas qu’il veuille faire passer des rames de TGV là-dessus, parce qu’il faudra revoir les conditions d’infrastructures.
Son intention est louable, mais je ne vois pas dans un délai rapide quels pourraient être les matériels disponibles. Et il faudra revendre ces 15 rames de Régiolis qui ont été acquises en 2015.
Ce sont certes des rames qui ne sont pas tout confort, mais elles tombent moins en panne que celles qui existaient avant. Et ça, on a tendance à l’oublier. »
« Quand j’ai décidé que la Région allait acheter des rames, j’ai négocié avec la SNCF une contrepartie : évidemment, je n’allais pas signer un chèque en blanc à la SNCF.
La contrepartie était la prise en charge, par la SNCF, jusqu’en 2030, du déficit du coût de fonctionnement de la ligne. À l’époque, on me disait 10 M €. Je vois qu’Hervé Morin donne un chiffre aujourd’hui de 14 M €. C’était une garantie signée par Guillaume Pépy.
C’est un déficit que l’on connaît : il s’agit d’une ligne d’aménagement du territoire. Après Argentan, ils perdent de l’argent jusqu’à Granville. Avec 10 M € par an, sur 15 ans, ça représentait 150 M €. Avec ça, la Région amortissait largement une partie du coût de ce matériel.
Il y avait un deal qui était, je pense, équilibré. Ce que veut faire Hervé Morin aujourd’hui est totalement différent. Il a passé une négociation avec la SNCF en disant qu’il allait reprendre la gestion de touts les Intercités. Outre Paris-Rouen-Le Havre, Paris-Caen-Cherbourg, il y a ParisGranville et Caen-Tours.
Ce qui veut dire que la Région, très vite, va se retrouver avec ce déficit d’exploitation à prendre en charge.
Et, évidemment, Hervé Morin commence à s’apercevoir que ça va coûter cher à la Région. Du coup, il est en train de trouver des solutions pour faire des économies. Je lis qu’il pourrait faire passer l’accès à Granville par Caen. Je n’habite pas Granville, et heureusement. Si j’habite Granville et que je dois passer par Caen, même si la ligne CaenGranville a été aménagée par la Région à l’époque, je ne sais pas si c’est très attractif que de faire ce détour.
Je pense que l’intention d’Hervé Morin est d’inviter les Alençonnais à passer par Le Mans. Et donc de fermer Surdon, dont la seule raison d’exister et de permettre aux Alençonnais d’aller à Paris par le Paris-Granville. »
Une ligne d’aménagement du territoire. « Je pense que la Région est en train de prendre conscience qu’elle a pris une très lourde responsabilité en voulant gérer les Intercités partout. D’un point de vue intellectuel, ça peut être satisfaisant en se disant qu’elle va être la patronne de tous les trains. Ça marche tellement mal à certains endroits qu’elle se dit qu’en étant le patron, ça va aller mieux.
Mais, je pense que de la coupe aux lèvres, il y a plus que ça : on oublie bien souvent que la Région délègue l’exploitation, pour l’instant à la SNCF, et on va quand même retrouver tous les problèmes liés à l’infrastructure.
Au-delà de ça, quand vous arrivez à Versailles, il y a de l’encombrement. Je ne vois pas en quoi la Région, qui reprend l’exploitation en direct, va résoudre ces problèmes d’infrastructures à Versailles ; comment elle va régler les problèmes de trafic entre les trains de banlieue et les trains venant de Normandie.
Évidemment, si la Région veut maîtriser son budget de fonctionnement, il va falloir faire des économies.
Elles vont être faites sur des services qui n’auront peut-être pas le même niveau de qualité, ou tout du moins le même degré de priorité en termes d’aménagement du territoire.
Cette ligne est déficitaire, parce que c’est une ligne d’aménagement du territoire. Or, la raison de la Région, c’est d’être dans l’aménagement du territoire, c’est de mener une politique d’aménagement du territoire et le ferroviaire en est une. »
Trouver un partenaire privé. « Je vais voir ce que la négociation qu’Hervé Morin va mener avec la SNCF donnera à la fois en coût d’exploitation pour la Région et de service rendu à la population et aux territoires. J’appelle les élus de Briouze, Flers, de Vire, de Villedieu-les-Poêles… à regarder les choses précisément. À la limite, je pourrais mettre la tête sous l’oreiller et dire qu’Argentan ou L’Aigle ne sont pas menacées. Mais cette ligne dessert quand même beaucoup d’autres territoires vers l’ouest et le sud de l’Orne.
Sauf si la Région passe à la gestion privée. À partir de 2023, mais à titre expérimental dès 2019, les Régions vont pouvoir passer à la gestion confiée au privé de ces lignes TER.
Hervé Morin supprime les Intercités et les met dans le paquet TER et ça donnera la possibilité pour la Région de confier l’exploitation, par exemple Paris- Granville, à une société privée. C’est un vrai défi. On est souvent persuadé qu’une entreprise privée ferait mieux que la SNCF. Mais, là aussi, entre la coupe et les lèvres, il y a une certaine distance.
Et un partenaire privé aura certaines exigences en termes de rentabilités. Ces exigences seront-elles compatibles avec des préoccupations d’aménagement du territoire, je n’en sais rien.
Il faut faire attention aux déclarations un peu tonitruantes comme celles-là. Je me suis aperçu qu’en matière ferroviaire, il faut être humble. »
« J’ai négocié une contrepartie »