Avenir incertain pour la brasserie Le Clem’
Le Clemenceau est en sursis. Le tribunal de commerce a prononcé, en octobre, une liquidation judiciaire avec poursuite d’activité. Des repreneurs pouvaient se faire connaître jusqu’au 28 octobre. Un collectif de salariés s’est créé pour un projet de reprise, mais il a explosé en cours de montage, excluant ses deux porteurs.
Qui aurait pu deviner qu’un paquebot comme la brasserie Le Clemenceau pouvait, un jour, prendre l’eau ? Cette institution, nombreux sont ceux à l’avoir fréquentée pour sa cuisine, son ambiance. Cet esprit, on le pensait éternel. Même après le départ de son créateur, Christian Rivière, après 31 ans de service.
30 % de perte du chiffre d’affaires
La barre est alors confiée, en 2009, à Philippe Villalon, figure de la restauration puisque président de la fédération nationale des restaurateurs. Propriétaire d’une affaire florissante, le nouveau capitaine imagine un avenir crescendo. Il investit beaucoup d’argent dans les murs, remettant la brasserie au goût du jour avec nouvelle déco, nouvelle véranda… Peut-être trop. Car, en parallèle, la rue Clemenceau subit un lifting de choc. Des mois de travaux qui vont pénaliser les commerces locaux. La brasserie n’y échappe pas. Elle doit aussi se farcir la requalification du boulevard Briand. De quoi faire fuir les gourmands en terrasse.
Au printemps 2015, la situation du Clem’ est plus que fragile. Le chiffre d’affaires a perdu 30 %. « M. Villalon est venu me chercher, car il n’avait plus de comptable depuis trois mois », raconte Stéphane Pavageau. Le patron lui signale, après coup, que la brasserie « est en redressement depuis avril ». Le comptable plonge dans les comptes et découvre une situation « très compliquée ». Il s’étonne même que le restaurant n’ait pas été mis en redressement « un an plus tôt. Il y avait un problème d’adéquation entre la masse salariale et le chiffre d’affaires ».
Un redressement trop tardif
Face à la situation, le comptable propose de réduire les effectifs « pour sauver le Clem’». Mais devant l’amplitude horaire atypique de la brasserie, qui tourne sept jours sur sept, et attaché à son personnel et ses compétences, le patron refuse. Le temps passe et les dettes continuent de s’accumuler. « Comme il n’arrivait pas à prendre de décision, il a embauché un directeur d’exploitation ». En mai dernier, Marc Riaudel doit alors s’imposer et prendre les décisions qui fâchent. « L’objectif était de sauver le restaurant, confie le directeur. J’ai entamé une procédure de réduction de la masse salariale ». Des efforts que certains salariés ont du mal à digérer.
Liquidation prononcée
Mais tout ça ne suffira pas. Le tribunal prononce, le 5 octobre, la liquidation judiciaire avec poursuite d’activité, afin de permettre à un repreneur de se positionner. Les jours passent et une seule candidature se profile « qui n’est pas du tout du métier ». Marc Riaudel et Stéphane Pavageau ont alors l’idée de créer un collectif de salariés pour reprendre le Clem’. « On se retrouve à six, tous motivés mais on a du mal à trouver les fonds », explique le comptable. Le collectif ne lâche rien… Et ça paie. Deux soutiens leur apportent 100 000 €. Avec les 60 000 € qu’ils avaient déjà pu réunir, une banque est prête à les suivre. Sur les 440 000 € nécessaires à l’opération, il ne reste que 280 000 € à emprunter.
Conflit de salariés
Malheureusement, « on a torpillé notre projet », regrettent amèrement les deux porteurs. « Ce qui devait être, à la base, un projet collectif est devenu celui de trois salariés qui ont préféré défendre leurs propres intérêts ». Le collectif a, en effet, volé en éclats. Trois des associés, salariés historiques du Clem, ont monté une offre… sans le directeur et le comptable. « Ils nous ont jugés incompétents alors qu’ils se sont appuyés sur notre montage », dénonce Stéphane Pavageau. « La banque s’est montrée réticente au projet parce que M. Riaudel a été embauché comme directeur afin de redresser l’établissement, ce qui n’a pas été le cas, justifie Stéphane Giraudet, un de ces trois salariés.Concernant M. Pavageau, du fait qu’il était comptable de M. Villalon, la banque a émis des réserves concernant son implication dans le projet. La banque ne nous suivait donc plus, ce qui a entraîné l’avortement du projet ».
Stéphane Giraudet a pu monter un autre projet avec les soutiens de la première heure, comme Christophe Chabot, PDG d’Akena Véranda. « Je ne suis pas dans le projet, assure le chef d’entreprise. Je veux juste aider, donner un coup de main à des gens que je connais et que je côtoie à la brasserie depuis plus de trente ans ».
Mercredi 23 novembre, le juge devait sceller l’avenir de la brasserie. Il avait le choix entre un entrepreneur nantais et le projet ficelé in extremis par Stéphane Giraudet. Ou, dans le pire des cas, ordonner une fermeture immédiate. « On s’est préparé à tout, conclut Stéphane Giraudet. Ce sera sans regret si ça ne marche pas, car on sera allé au bout de la démarche ».