Bretagne magique
Des confins du Trégor à la Pointe Saint-Mathieu, de la Ceinture Dorée de Saint-Pol aux enclos paroissiaux, de la Côte des Légendes à celle des Abers, le Finistère Nord s’offre aux amoureux de bouts du monde. Entre balades culturelles et gourmandes, notre
Àla limite du département, Locquirec se blottit sur une minuscule péninsule et abrite le “Grand hôtel des Bains”, qui servit de décor au film “Hôtel de la plage”. On s’y promène sur le GR34 ou sur une de ses neuf plages, avec une vue unique sur la baie de Lannion. Un peu plus dans les terres à Guimaëc, au Domaine de Kerveguen, Éric Baron produit un cidre bio sélectionné par le caviste de l’Élysée depuis 1997. Il produit en deux jours ce qu’une cidrerie indus-
trielle produit en deux heures, son cidre a le goût du temps qu’il lui consacre et fait penser à celui que l’on buvait dans les fermes autrefois. Ce savoir-faire, il l’a hérité de son père et de son grand-père et il le restitue aujourd’hui avec passion. “Le jour où j’ai mis les mains dans le marc de pommes, ça a été une vraie rencontre”, dit-il. Côté mer, la route de la Corniche longe la Côte des Bruyères de Locquirec à la sauvage pointe de Beg-an-Fry. À 1,5 km de Guimaëc, un café-librairie fait face à la mer. Léo Ferré y passait du temps lorsque ce n’était encore qu’un bar de pêcheurs à pied. Il en a gardé l’esprit. La journée on y grignote une assiette froide ou on y fait une partie de boule bretonne, tandis que le vent bruisse dans la bruyère, entre les ajoncs, les chardons et les mûriers. Le soir, on y assiste à des concerts. La devise de Morlaix fut adoptée en 1522 après une cuisante attaque anglaise qui dévasta la ville pour moitié. Un nommé Latrigle, lieutenant du capitaine de Morlaix, en l’absence duquel il commandait, laissa surprendre et saccager la ville par les Anglais débarqués de la flotte de Thomas Howard, duc de Norfolk, grand amiral d’Angleterre, qui ravagea les côtes de Normandie et de Bretagne sur ordre du roi Henri VIII. Morlaix fut brûlée en grande partie ; plusieurs de ses riches habitants furent emmenés par les Anglais et rançonnés. La vengeance des Morlaisiens qui assommèrent l’arrièregarde anglaise ne les dédommagea pas de cette perte énorme. La ville en fut marquée durablement. Morlaix est protégée par une rade profonde et dominée d’un impressionnant viaduc ferroviaire. Il fut bâti en 1863 pour le Paris-Brest. Avec ses 58 mètres de haut et 292 mètres de long, c’est un symbole de cette petite ville dynamique. Serré
à ses pieds, un petit port de plaisance jouxte d’imposants bâtiments, dont l’ancienne Manufacture Royale des Tabacs, restaurée en 2010. Le coeur historique de la ville, niché derrière le viaduc, se découvre par le circuit des venelles et ses maisons à pondalez, spécificité architecturale de la ville. Ces riches demeures à colombages et encorbellement de trois étages, aux façades de bois ornées de sculptures peintes de saints protecteurs, s’ouvrent sur une salle manoriale d’un seul volume du rez-de-chaussée à la charpente. Elles sont les vestiges de l’habitat urbain des commerçants du lin des XVe et XVIe siècles, dont l’échoppe donnait sur la rue. Il en reste cinq sur les 127 recensées, nombre d’entre elles ayant été détruites par les incendies et remplacées par des constructions de granit. La pièce maîtresse en est l’escalier en bois sculpté à pondalez (qui en breton signifie corridor, palier), reliant ent re elles les pièces d’habitation, glorifiant le pouvoir des nobles propriétaires autorisés à faire commerce de la toile. Les deux plus remarquables sont la Maison dite de la Duchesse Anne et celle de la Grand-Rue. La route de la corniche mène vers Carantec et l’île Callot. À marée basse, obiones et salicornes donnent une touche verte aux reflets bleutés du ciel sur l’estran sablo-vaseux de la rivière Le Dourduff. À Terenez, la rade et la baie de Morlaix sont parsemées d’îlots : Blanche, Noire, Kuro, Louët, L’île Ricard, le Château du Taureau, forteresse construite en 1542 pour défendre Morlaix. Carantec, comme Locquirec, est une station balnéaire très prisée. À marée basse, la passe aux moutons permet de rejoindre l’île Callot, deux îlots granitiques de 2 km sur 300 m reliés par un cordon dunaire où vivent 15 habitants, alternant petites criques, dunes, ajoncs, plages de sable blanc et culture maraîchère. Son granit très dur a servi à la construction du Château du Taureau et de la manufacture des Tabacs de Morlaix. Puis la route file vers Saint-Pol-de-Léon, en pleine Ceinture Dorée. L’or est celui du maraîchage. 70 % des artichauts français viennent de là. Le climat est complice et ports de plaisance, plages et criques aux noms évocateurs – Tahiti ou le petit Nice – se succèdent. Saint-Pol possède un patrimoine religieux exceptionnel : la cathédrale Paul Aurélien et la chapelle Notre-Dame-duKreisker, au clocher ajouré de 80 ouvertures pour résister au vent, le plus haut de Bretagne avec ses 78 mètres. Une volée de 196 marches dévoile un panorama vertigineux sur le Pays du Léon.
Johnnies, “petit Jean”
Ancré sur une presqu’île, le port de Roscoff a connu un développement étonnant. La cité corsaire, située à un point stratégique sur la Manche, bénéficie d’un climat idéal pour l’agriculture. Les demeures d’armateurs et négociants des XVIe et XVIIe siècles, avec tourelles, escaliers à vis et sculptures en façade, témoignent de l’activité florissante et séculaire du port. L’église Notre-Damede-Croas Batz, tournée vers la mer, défend symboliquement la ville avec ses canons de granit sculptés dans le clocher. Quatre exvotos de caravelles illustrent la prospérité du commerce maritime. La voûte peinte et ses poutres traversières sculptées figurent une coque de navire inversée. Si la ville s’est depuis longtemps tournée vers le tourisme, la criée et le port de pêche jouxtent le port de
plaisance. Au retour d’une campagne d’une semaine au large, treize tonnes de crustacés sorties des entrailles de L’île de Sieck sont débarquées. À 18 € le kilo de homard et 4 € celui de dor meur, les amateurs se bousculent. Johnnies, c’est ainsi que les jeunes vendeurs d’oignons de Roscoff furent surnommés de l’autre côté de la Manche. Aujourd’hui encore la qualité gustative et la conservation exceptionnelle de ces oignons en font un produit AOC réputé. De Roscoff, on gagne l’île de Batz en 15 minutes de traversée. À 2 milles des côtes, dans le sillage du Gulf Stream, c’est un grand potager sur les 357 hectares duquel s’entrelacent habitations et champs de pommes de terre (très réputées), de choux-fleurs ou d’échalotes réparties en une quinzaine d’exploitations, bios ou non. Les paysages se découvrent à vélo, il y a peu ou pas de voitures, le sable des plages est d’un blanc immaculé, l’eau cristalline invite à la baignade. Située sur la pointe Est au milieu d’étendues de landes, une étonnante oasis de verdure entretenue aujourd’hui par le Conservatoire du Littoral s’est implantée à la fin du XIXe siècle. En 1897, Georges Delaselle, assureur parisien féru de botanique, tombe en amour pour l’île et acquiert quelques par- celles sur la pointe de Penn Batz. C’est ici que Delaselle décide de créer un jardin colonial et d’acclimater des végétaux et plantes exotiques rares pendant quarante années, jusqu’à ce qu’il s’installe définitivement sur l’île. Le jardin d’aujourd’hui conserve son ordonnance initiale : palmeraie, jardin maori, cacteraie, lande fleurie, terrasse méditerranéenne et jardin austral, traversés d’une pelouse centrale agrémentée d’un calvaire, d’un belvédère et d’une nécropole de l’âge de bronze mise à jour par Delaselle lui-même.
La Côte des Légendes
Plus à l’ouest s’ouvre le Pays pagan, autour de Kerlouan et Brignogan-Plages, au-dessus de l’anse de Goulven. Sur cette côte des Légendes se multiplient les récits de pilleurs d’épaves. Les paysans, pêcheurs et goémoniers très pauvres de la région profitaient autrefois du “droit de naufrage”, interdit ensuite par Colbert, pour s’emparer des cargaisons échouées sur le littoral fait d’anses favorables aux promenades à pied et d’écueils propices aux naufrages. On raconte que les Pagans attachaient des torches aux cornes des animaux pour imiter les feux de guidage des bateaux, ou encore illu- minaient leurs églises pour attirer les navires. Pour mettre fin au risque d’échouage fut construit le phare de Pontusval, signalant l’entrée dans la jolie baie de Brignogan, par un amoncellement de gros rochers aux formes douces, comme superposés sur l’eau. De nombreux postes de surveillance furent aussi implantés le long de la côte : la petite tour de guet de Kerlouan, juchée sur un dos rond de granit à côté de la chapelle Pol, ou encore celui de Meneham, encastré au milieu d’un spectaculaire amas granitique. Le très touristique site de Meneham, classé monument historique, fait revivre le hameau par la restauration des chaumières abandonnées dans les années cinquante. On y trouve des ateliers d’artisans d’art, des espaces muséographiques et une auberge. L’accès au village est libre et gratuit tous les jours, toute l’année. Puis on atteint la région des Abers. Ce nom désigne d’anciennes vallées fluviales, ouvertes par un chenal à marée basse. Ces profonds estuaires aux allures de fjords offrent une grande diversité de paysages : prés salés, estrans rocheux et vasières. Y voisinent de nombreux oiseaux de mer (goélands, sternes, mouettes, cormorans), de rivage (chevaliers, courlis, huîtriers), des canards (tadornes, colverts) et des échassiers
(aigrettes, hérons). Les criques abritées sont nombreuses, où s’amarraient autrefois les bateaux goémoniers et dont on peut voir les cales de déchargement des algues, à proximité desquelles subsistent quelques fours à soude. L’Aber Wrac’h, le plus septentrional, étend son bassin-versant sur 30 km jusqu’à Plouguerneau. Le port de Perroz, à l’embouchure, est le point de départ pour l’île Vierge et son phare, le plus haut d’Europe qui, avec le Fort Cézon, avait fonction de sentinelle à l’entrée de l’aber.
Les huîtres ont leur terroir
L’aber Benoît est dominé de futaies sur ses 8 km maritimes. Des moulins ponctuaient autrefois les rivières qui tissent sa partie fluviale. À Prat-Ar-Coum la famille Madec élève des huîtres depuis cinq générations. Les débuts se situent vers 1875, avec Édouard Delamare-Deboutteville, inventeur du moteur à explosion, qui se fit dérober le brevet par Mercedes avant de se reconvertir dans l’ostréiculture. Ce sont 95 hectares d’exploitation qui se répartissent entre l’Aber Benoît et l’Aber Wrac’h (30 ha), la rade de Brest (55 ha) et le site de MorlaixCarantec (25 ha), chacun ayant sa particu- larité : captage des plates et creuses, élevage en poches (tréteaux recouverts par la marée) ou directement au sol dans le fond des abers. Yvon Madec n’hésite pas à parler de terroir pour ses huîtres, réputées pour la finesse de leur goût et leur croquant. On les déguste sur les plus grandes tables de France, ou l’on va directement au vivier chercher son plateau de fruits de mer, que l’on ira savourer au calme, à l’embouchure de l’aber, bordée de grèves de sable blanc qui s’étendent à perte de vue. Il fait bon y stationner une ou deux nuits et passer quelques belles journées à la plage. Saint Pabu mérite la visite en partant de Corn-ar-Gazel pour suivre la corniche au fil de ses “porz”. L’eau y est azur, le sable toujours blanc qui s’agrège en dunes couvertes d’oyats et d’immortelles, le long de la côte vers Lampaul Ploudalmézeau. À Ploudalmézeau, les roches de Portsall devinrent tristement célèbres après l’échouage de l’Amoco Cadiz, le 16 mars 1978. Sur le port, l’espace muséographique, très bien documenté, est une visite incontournable. L’ancre de vingt tonnes du navire, vestige du pétrolier géant duquel se déversèrent les 227 000 tonnes de brut, est posée sur le quai face à la mer. Les enclos paroissiaux sont des exceptions architecturales propres au Léon et à la Cor- nouaille. Ces ensembles religieux, disséminés principalement dans les terres qui s’étendent de Morlaix à Landerneau, sont constitués d’une église, d’une porte triomphale monumentale, d’une chapelle ossuaire ou reliquaire, d’un calvaire et d’un mur d’enceinte qui clôt le tout, parfois d’un cimetière et d’une fontaine. L’entrée principale était condamnée, sauf pour les baptêmes, mariages et décès. L’accès à l’église se faisait par des entrées latérales munies d’un petit muret, l’échalier, à franchir pour bien distinguer le monde profane de l’enclos sacré. Les juloded, notables enrichis par le commerce du lin, firent édifier aux XVe et XVIe siècles les plus impressionnantes constructions, rivalisant entre chaque paroisse à coup de fontaines, de calvaires pouvant comprendre jusqu’à 180 personnages, de chaires à prêcher, de buffets d’orgues et de fonts baptismaux. Le phare de la Pointe Saint-Mathieu n’est pas le plus occidental de France, mais la vue qu’il offre du haut de ses 40 mètres sur ce bout du monde n’en est pas moins saisissante : le goulet de Brest et sa rade, Crozon, Pen Hir et le Cap de la Chèvre, la Pointe du Raz (à 33 km), la balise des vieux moines, le phare de Pierres Noires, Molène, Quéménès et Ouessant : Penn-Ar-Bed !