Canada : la Gaspésie et les îles de la Madeleine.
La Gaspésie est une terre chargée d’histoire pour les Québécois et les îles de la Madeleine, une pépite de nature sauvage, bordée de dunes de sable blond, posée sur le golfe du Saint-Laurent.
Depuis Québec, la route n°132 longe la rive sud du fleuve Saint-Laurent, qui va s’élarg issant. Passé Rimouski, on arrive à Mont-Joli, la route se sépare alors entre nord et sud. Matane, où l’on observe les saumons remonter la rivière, puis Sainte-Anne-des-Monts et Mont-Saint-Pierre se succèdent. Rapidement, on arrive à l’extrémité de la péninsule gaspésienne. De la région de La Pointe à celle de la baie des Chaleurs, la route n°132, dévoile quelques-uns de ses plus beaux attraits. Terre de pêcheurs depuis longtemps, la côte est émaillée de petites localités tournées vers la mer. On y assiste au ballet coloré des bateaux, qui pêchent le homard, le crabe ou la crevette, selon la saison. Traversée par la chaîne des Appalaches, avec des sommets culminant à plus de mille mètres, dans le Parc national de la Gaspésie, le mont Jacques-Cartier atteint 1 268 m. Un sentier assez difficile de huit kilomètres y mène. Au sommet, dans un paysage grandiose, il n’est pas rare de rencontrer un troupeau de caribous. À La Pointe, le parc Forillon est un lieu privilégié d’observation de la faune. Baleines, phoques, ours et castors évoluent dans des paysages de montagnes plongeant dans la mer. Les eaux riches de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent attirent douze espèces de baleines en saison. Parmi elles, la baleine bleue, le petit rorqual ou le rorqual à bosse, que l’on observe aisément, parfois même depuis la terre ferme. Les bé-
lugas y résident en permanence ainsi que quatre espèces de phoques.
Sur la piste des Micmacs
À Gaspé, le 24 juillet 1534, Jacques Cartier, au nom du roi de France, prend possession de ce qui deviendra le Canada. Il y rencontre les Amérindiens Micmacs de la nation algonquine, surnommés les “Indiens de la mer”, qui vivent ici depuis deux mille cinq cents ans. Nous nous rendons au Centre d’interprétation de la culture micmac à Gespeg, qui signifie “la fin des terres” en micmac et a donné son nom à la ville principale de la région. Situé sur un promontoire de la rive nord de la baie de Gaspé, entre montagne et forêt, on y découvre, en compagnie de deux Mic- macs, un campement d’été reconstitué ressemblant en tout point à ce qu’il était en 1675. Ils nous font découvrir comment fonctionnaient les pièges à animaux, comment, de la racine d’épinette, on tirait une teinture rouge ou d’une dent de castor l’on faisait un ciseau à bois, d’un tibia d’ours une épinette… On entre dans le wigwam en écorce de bouleau, les femmes prennent place à droite, les hommes à gauche de la porte, toujours orientée vers le levant. On y apprend que le bâton de parole permet à celui qui le détient de ne pas être interrompu, jusqu’à ce qu’il change de main, ou comment ce peuple animiste faisait des offrandes aux animaux piégés, connaissait et utilisait trois cents espèces de plantes médicinales… Après une dernière démonstration du cri de l’orignal, à l’aide d’un cornet en écorce de bouleau, puis d’une autre de chant syncopé, accompagné des vibrations sourdes du tambour, on reprend la route. La petite station balnéaire de Percé, comme tous les bouts du monde, aimante les voyageurs : la promesse de son vaisseau de calcaire dans la mer, percé d’une arche, au soleil couchant ne déçoit pas! Le spectacle est grandiose. Jacques Cartier contempla la falaise, qui comptait alors trois arches et était encore reliée à la côte. En 1603, Champlain n’en admire plus que deux. En 1845, la seconde arche s’écroule, il n’en reste donc plus qu’une seule aujourd’hui. Gel, dégel, jeux des marées, le rocher perd trois cents tonnes par an mais conserve toute son aura et l’on comprend qu’il soit devenu le symbole de toute une
région. À 3,5 km de Percé, le Parc national de l’île Bonaventure est un havre insulaire pour deux cent cinquante mille oiseaux marins ; guillemots, pingouins torda, macareux moines, mouettes tridactyles, goélands marins et argentés, cormorans, pétrels fulmars… Tous sont ici chez eux. Ils partagent leur territoire avec une colonie de mille phoques gris, qui regardent passer le bateau amenant les visiteurs, levant à peine une paupière, se prélassant sur un rocher au soleil. On s’y rend en bateau depuis le petit port de Gaspé, passant bien sûr, devant le célèbre Rocher-Percé. L’île de seulement quatre kilomètres carrés compte quatre sentiers de randonnée de moins de dix kilomètres et n’excédant jamais cent mètres de dénivelé. De bien belles balades pour toute la famille en perspective, tantôt en forêt, tantôt en bord de mer. Mais Bonaventure abrite surtout la plus grosse nicherie de fous de Bassan accessible au monde, 51 000 nids, 116 000 individus. Au belvédère d’observation, la pointe à Margault, la proximité avec les oiseaux est telle qu’on est subjugué, comme dans le film d’Hitchcock ! Mais ici, nulle menace, seulement le spectacle de la nature à l’oeuvre. Des guides naturalistes répondent aux questions des petits et des grands. On assiste au ballet majestueux entre le mâle et la femelle, lorsque l’un d’eux rentre au nid, rapportant de la nourriture pour le petit. Ils se lancent alors dans un étonnant tête-à-tête, frottant leurs becs colorés et leurs longs cous, en guise d’identification réciproque. Il faut dire que dans cette gigantesque colonie, l’erreur est possible. D’ailleurs, lorsque cela se produit, le ou la malheureuse qui s’est trompé de nid, se le voit signaler par force coups de becs. L’un rentré, l’autre repart. Le décollage frôle souvent la catastrophe, mais une fois dans les airs, le fou de Bassan est un seigneur. Le mâle et la femelle sont identiques, avec une envergure de 1,80 m à 1,90 m, Ils vivent de vingt à vingt-cinq ans. Les poussins quittent le nid à l’automne et passent trois ans en mer avant de revenir se reproduire à leur tour. L’animal n’est pas fidèle à son compagnon, mais à son nid.
La route de la morue
Retour sur la terre ferme, le long de la n°132, avec un arrêt obligatoire au site historique du Banc-de-Pêche-de-Paspébiac, qui fut la plaque tournante de l’industrie de la pêche dans le golfe du Saint-Laurent aux XVIIIe et XIXe siècles. On y visite la forge, les magasins, la tonnellerie, les ateliers de construction navale, dans lesquels des artisans s’activent expliquant et faisant revivre cette époque. Après la déportation du peuple acadien en 1755 et pendant la conquête de 1760, des immigrants venus d’Irlande, d’Angleterre et des îles anglo-normandes, s’installent dans la région pour la pêche à la morue. Les bancs de poissons semblaient alors inépuisables. Pendant plus d’un siècle les compagnies Charles Robin et Robin LeBoutillier vont se partager la côte, exploitant la population qui trime à extraire la ressource des eaux du golfe. Micmac, Basques et Normands travaillent pour eux, s’endettant toujours plus auprès de ces compagnies jersiaises (de Jersey) qui fixent le prix du poisson en même temps que celui des produits de première nécessité (farine, vêtements, outils, accastillage, matériel de pêche) confortant ainsi la dette de génération en génération. Paspébiac est alors le plus grand site de production de boucaults de morue salée et séchée de l’époque, exportés vers l’Espagne, le Brésil, le Portugal ou encore les Antilles. À Bonaventure, le bioparc de la Gaspésie pré-
sente les cinq écosystèmes de la péninsule : la baie, le barachois, la rivière, la toundra et la forêt. Le mot barachois vient de “barre à échoir”, un mot d’origine basque, qui désigne un banc de sable formant une lagune à l’embouchure d’une rivière, sur lequel les pêcheurs échouaient leurs embarcations. Aujourd’hui, ce sont de véritables garde-manger que les canards, hérons, oies bernaches, sternes et cormorans colonisent. Au bioparc, les enfants découvrent la loutre, l’ours noir, l’orignal ou le porc-épic, une quarantaine d’espèces indigènes. Ils assistent au repas des couguars, manipulent et dégustent des insectes. On peut y passer la nuit sous une “tente prospecteur”, accompagnés de deux naturalistes. On se laisse alors prendre par les mystères d’une nuit de pleine lune, sous un ciel étoilé, à l’écoute des bruits de la forêt, de l’appel des loups et des coyotes et du hululement du grand-duc. Une collation est prise autour du feu et des histoires sont contées, tandis qu’apparaissent les chauves-souris, dans une ambiance propice à l’imaginaire. Tout au sud, la baie des Chaleurs, baptisée ainsi par Jacques Cartier un jour de canicule de juillet 1534, jouit de températures étonnantes et de longues plages de sable fin aux eaux calmes et tempérées. Elle fait partie du club très couru des plus belles baies du monde. La place n’y est pas comptée et il est facile d’y trouver mieux qu’un petit coin pour sa serviette. Les enfants s’égaient dans une eau calme et tiède en toute sécurité, c’est le moment de s’abandonner aux plaisirs de la plage, un beau jour d’été.
L’appel du large
Il est aussi possible d’embarquer vers les îles de la Madeleine, depuis le port de Souris, sur l’île du Prince Édouard, reliée au continent, par le pont de la Confédération, en passant par Campbelton au NouveauBrunswick voisin (520 km-6 heures). De là, le traversier dessert les îles. Ancré au coeur du golfe du Saint-Laurent, l’archipel aux rivages bordés de sable blond et de falaises rouges, attire tel un aimant. La joie de vivre et l’accueil chaleureux des Ma- delinots sont bien réels. Lorsque la brume matinale s’évanouit, le ciel y semble plus bleu que partout ailleurs dans les provinces maritimes, l’herbe plus verte. Les bateaux de pêche au homard s’activent dans les petits ports. Les maisons éclatent de couleurs : turquoise, mauve, bleu, orange, rouge… Ici, on prend le temps de vivre et comme disent les Madelinots, « Aux îles on n’a pas l’heure, on a le temps ! ». Alors pourquoi ne pas profiter des superbes terrains de camping dont elles disposent, pour ralentir, se poser. À noter que le bateau de la CTMA, Le Vacancier, fait escale à Chandler sur la côte de la Gaspésie. La compagnie propose des croisières thématiques, culturelles, gastronomiques ou sportives, d’une semaine depuis Montréal, permettant de découvrir la Gaspésie et les îles à un autre rythme. L’archipel est long et effilé, doté d’une route centrale de quatre-vingt-dix kilomètres, bordée de dunes et par trois cents kilomètres de plages de sable fin et par des falaises ocre et rouge. Au nord-est, Grosse-Île et Grande-Entrée, à l’ouest l’île du Cap-aux-Meules, à l’est
l’île du Havre-aux-Maisons, au sud l’île du Havre-Aubert. L’île d’Entrée, au sudest ponctue sur la carte cette espèce d’idéogramme. Aux îles, on ne s’ennuie pas ! On prendra un cours de cuisine avec Johanne Vigneau, pour apprendre à décortiquer convenablement un homard. On suivra ensuite ses conseils pour préparer un délicieux cappuccino de homard au parfum thaï ou encore de délicieuses bruschettas ou un délicieux risotto, de homard bien sûr. Ensuite, on ira se mettre “À l’abri de la tempête”, une microbrasserie créée par deux amis en 2004. On y produit une vingtaine de bières différentes tous les ans. La Corps Mort est élaborée avec du malt fumé au Saloir d’antan, un voisin producteur de hareng boucané, l’une des activités traditionnelles des îles. Cela lui confère un léger goût de… boucané ! Le boucanage est une longue tradition ici, elle remonte au XIXe siècle. L’activité se développa avec les deux guerres mondiales, la production étant expor tée vers les Antilles, gros consommateur du produit, dont l’approvisionnement depuis l’Europe était devenu impossible. De 1900 à 1970, c’est l’âge d’or. En 1950, mille deux cents Madelinots travaillent dans cette industrie. La production annuelle variant de 150 000 à 200 000 caisses de huit kilos, par an. La surpêche provoque la disparition du hareng et l’activité cesse en 1978. Depuis les années quatre-vingt-dix, les stocks se sont reconstitués et depuis 1996, le Fumoir d’antan fait revivre cette activité, ancrée dans la famille Arseneau depuis trois générations. Le procédé n’a pas changé depuis soixante-dix ans. Les harengs sont salés durant trentesix à quarante-huit heures. Puis ils sont enfilés sur des tiges de bois et suspendus dans le fumoir. On allume alors les bûches d’érable recouvertes de sciure. On entretient ensuite ce feu couvant, de soixante à quatre-vingt-dix jours, entraînant la déshydratation du hareng et lui conférant une couleur dorée et une saveur extraordinaire. Non loin de là, à la fromagerie du PiedDe-Vent, on produit un fromage du même nom. Affiné soixante jours, il a le bon goût des verts pâturages iodés alentour où paissent les vaches canadiennes (mi-nor- mandes, mi-bretonnes !). On peut visiter la ferme, assister à la traite, ainsi qu’à la fabrication des différents fromages. L’expression “pied-de-vent” est utilisée aux îles pour désigner les rayons du soleil perçant à travers les nuages. Et si le ciel n’est pas bleu, la météo change vite aux îles, comme disent les Madelinots : « Inquiète to po ça va beausir ! ». Et quand il fait beau, les après-midi à la plage sont longs et délicieux. Les îles sont connues pour leurs plages et leurs dunes, changeantes au gré des vents et des courants, avec pour seule limite le bleu du ciel et celui de la mer se confondant à l’horizon.