Sologne : un automne royal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’automne sublime la Sologne. Complice, la nature solognote s’apprête pour vous attirer dans son écrin forestier, coloré, giboyeux, mystérieux. Car la Sologne se cache, comme ses rois de la braconne, héros nocturnes d’un temps révolu, « à c’qu’on dit ! ». Et il faut passer les grands axes des bords de Loire ou du Cher, pénétrer par les portes de grands carrefours urbains, Blois, Orléans, Gien, Vierzon, pour enfin se savoir en Sologne. Le rideau se lève alors sur des étangs, forêts, bois et villages qui font cette région, attachante et protégée de la modernité.
La Sologne… Le nom est forestier. Il dégage d’emblée des parfums d’humus, de fougères, de champignons. Des odeurs de gibier, aussi. La Sologne, royaume d’un prince de la braconne libertaire, Raboliot, inventé par Maurice Genevoix au lendemain de 14-18. La Sologne sera aussi source d’inspiration pour Eugène Labiche, Alain Fournier et sa mère spirituelle Marguerite Audoux, la petite bergère du prix Femina.
Quant aux géographes, les uns s’accordent à dire qu’une Sologne a soif, « La Sologne Sèche », et qu’une autre, « La Grande Sologne » trempe ses chevilles au centre d’un pays qui baigne dans l’eau de ses étangs. Viticole, blésoise, caillouteuse, orléanaise voire berrichonne et même pouilleuse, on l’affuble de qualificatifs pour tenter de mieux cerner la seule région naturelle française faisant l’objet d’une délimitation administrative officielle – loi du 27 juin 1941 qui la répartit sur 3 départements : Loiret, Cher et Loir-et-Cher. Pour vous y rendre en camping-car, il vous suffit de décider quel seuil vous allez franchir. Car loin des grands axes, la Sologne cultive la discrétion. Enfin presque : Chambord, pavillon de chasse pour les uns, cité idéale pour les autres, rappelle que la Sologne possède une royale carte de visite. Mais Chambord reste un village, avec sa mairie, son église et ses rues, une commune comme Yvoyle-Marron, Chaumont-sur-Tharonne, Sainte-Montaine, et cette guirlande d’« en Sologne »: Vernou-en-Sologne, La Marolleen-Sologne, Montrieux-en-Sologne, Fontaines-en-Sologne, Mur-de-Sologne, Pruniers-en-Sologne… À croire que dans ce pays-là, on insiste pour bien montrer qu’ici, ce n’est pas là-bas ! Une construction de bois et de métal, symbolise la Sologne : la bonde. Elle permet de stopper l’écoulement des eaux, ou, inversement, en autorise la vidange.
Le château de Thierry la Fronde
Je découvre ma première bonde sur le bord d’un étang, au château du Moulin, le château de… Thierry La Fronde ! Pour le dénicher, direction Lassay-sur-Croisne à 10 km de Romorantin – vous y trouverez une belle aire de camping-car. Caché par la forêt, il est cependant ouvert au public, se révélant au bout d’une allée bordée d’arbres centenaires. Le château du Moulin, surnommé à juste titre «La perle de Sologne» est classé depuis 1926. Il sera un incontournable de votre voyage. Construit dès 1480, il mire ses tours de briques roses, losangées de noir, ses fenêtres ourlées de tuffeau et sa toiture coiffée d’ardoises dans l’eau de ses douves. Mais point de source ou de rivière pour les alimenter : juste l’eau de pluie. Il est également une sorte de mémorial de l’enfance pour celles et ceux qui, gamins, ont eu la chance de posséder un poste de TV en noir et en blanc à la maison, et de suivre les aventures de Thierry. Car à la télévision le château du Moulin – certes propriété des De Marchéville – est celui de Thierry la Fronde, héros incontestable d’une authentique épopée médiévale. Nous connaissions par coeur le générique ! « Tata, tata, ta, tata, tata…». Un épisode a été tourné au château ainsi qu’une partie du générique ! Enfin, gourmands et jardiniers seront ravis : le château abrite un conservatoire de la fraise dont la présence en ces lieux se justifie par l’importante activité fraisicole de la région. Le printemps venu, le visiteur fait la connaissance de dame Manille, Anabelle, Angelina, Matis. La fraise… Elle s’inscrit dans le discours d’un personnage haut en couleur ? Pour tout savoir de la Sologne, rendez-vous à Romo
rantin-Lanthenay au musée de la Sologne, fermé, car en travaux, victime de la terrible crue de juin 2016. Martine Vallon, sa directrice, est une sommité dans son domaine. Et son domaine c’est la Sologne : histoire, géographie, personnages, petites gens, noblesse, maisons, châteaux, traditions, chasse… Martine sait tout de la Sologne, « Sa » région qui, ditelle, « se trouve sous le ventre de la Loire ! » . Elle distingue deux Sologne. « La Sologne viticole et ses petits propriétaires. Elle produit des asperges et… de la fraise, autour de Cheverny » . Cheverny et son château qui l’automne fait son show : jardin automnal, événements… Mais c’est Hergé qui donne à Cheverny un éclairage inespéré en créant Moulinsart, révélé dans l’album « Le secret de la Licorne ». Un copier-coller, à qui le créateur de Tintin ôte les deux ailes extérieures de l’original. Une exposition interactive, réalisée avec la Fondation Hergé, vous plonge dans l’univers des aventures de Tintin. Magnifique ! Cheverny, haut lieu de Vénerie, c’est aussi « le rendez-vous de la soupe ». Celle des chiens de meute à laquelle vous pouvez assister tous les jours vers 11 h 30. « Reste la Sologne cynégétique, celle des grands domaines. Un pays, « Le » pays du seigle et des étangs, en son centre. Mais ces étangs ne sont pas arrivés là par hasard : Quand on défriche, la nappe phréatique remonte en surface. Ce fut le cas de centaines d’étangs dans l’histoire de la Sologne. Et croyez-moi, si vous savez relier ces étangs entre eux, eh bien vous maîtrisez l’hydraulique ! Et je vous parle de cela il y a longtemps, au temps du Moyen Âge, qui faisait une grosse consommation de poissons d’eau douce ». Elle évoque dans les grands lignes, l’histoire de la Sologne : les protestants, petite noblesse, qui tient ce pays mais qui pourchassés va devoir s’exiler vers l’Angleterre, la Hollande.
Célèbres braconniers
La Sologne décline. « Les étangs redeviennent marécageux. Une terrible misère s’installe au XVIIe. Espérance de vie, 20 ans ! L’arrivée du train (XIXe) en provenance de Paris va bouleverser la donne. Sous Napoléon III, on réhabilite par un gros travail d’assèchement. Le loisir de la chasse s’ancre dans le paysage – il s’y prête merveilleusement –, la grande bourgeoisie colonise la région et bâtit près de 400 châteaux » . Ainsi le métier de briquetier prend un essor inespéré. Et Martine Vallon insiste – « La Sologne devient un énorme chantier de construction ! » La chasse sera celle du gros gibier car « Myxo et maïs sonnent le glas du petit gibier ! » On pourchasse les braconniers. « Mon préfèré c’est Julien Carette qui campe Marceau, braconnier magnifique. Il en fait voir de toutes les couleurs au gardechasse Schumacher dans le film de Renoir « La règle du Jeu »» . La braconne qui se joue des codes, des lois, des règles… Mais qui se fait prendre aussi. « Le tribunal de Romorantin a stocké dans ses murs des kilos et des kilos de collets, de pièges, saisis ». La chasse fait partie intégrante de l’histoire de la So
logne. François Ier lui-même était un passionné de chasse. « On peut même dire, un « fou » de chasse. » Et Chambord fut construit pour qu’il puisse pratiquer cette passion. « Sur les 5 440 hectares, 1 000 sont ouverts au public » . Ainsi s’exprime Benjamin Genty. Guide-nature, il encadre des balades en 4x4 dans le domaine. L’objectif de ce matin ? « La ferme de la Guillonnière ». En roulant, il raconte… « Pour vous donner une idée de la dimension de Chambord, sachez qu’un mur de 32 kilomètres l’entoure et ce depuis 500 ans. À 1 000 €, le mètre linéaire de restauration… » . Installé dans le Land Rover, qui déambule – ce que vous pourrez faire en réservant votre place – dans les allées forestières, j’apprends que le domaine est surveillé par 5 agents de l’Office
National des Forêts. Qu’il compte une tourbière sur laquelle on a installé des mouflons de Corse, que 60 à 70 % du domaine de Chambord est couvert de feuillus, 40 % de résineux, et qu’il n’y a eu qu’un seul et véritable incendie important : en 1950. « Mais ce qu’il faut retenir : Chambord est aujourd’hui beaucoup plus boisé qu’à l’époque de François Ier. Seulement 1 000 hectares… ».
De l’eau partout
« Et les animaux ? » « On dénombre 6 à 800 cervidés. Un chiffre régulé chaque année par les chasses à tir, car la chasse à courre y est interdite depuis 1947 ! » 8 ans auparavant, désigné centre de triage des chefs-d’oeuvre nationaux, Chambord reçoit (août 1939) plus de 5 000 caisses dont les collections du Louvre et la Joconde. Les portes du château fermeront à la déclaration de guerre. Un crash de bombardier américain et un incendie plus tard les oeuvres seront épargnées. A la suite du conflit le château est inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco (1981). Enfin sachez que le territoire de la commune de Chambord est la propriété de l’état français. Le village de Chambord possède une mairie, un code postal – 41250 –, une église, une population de 100 habitants, tous locataires, et un maire qui gère ses intérêts. Arrivé à la ferme, Benjamin ouvre les portes d’une vaste pièce transformée en salle des trophées ! Des ramures de bêtes qui, avant de se faire prendre, ont traversé des étangs. On en compte 12 pour 38 hectares d’eau à Chambord. Ce qui caractérise la Sologne, autant que sa forêt, ce sont justement ses étangs. Associés à une myriade de ces plans d’eau, rivières, tourbières, mares, prairies humides ponctuent la carte de Sologne de bleu et de vert. Un plan d’eau permet d’apprécier ce que signifie « étang de Sologne ». Celui de Malzoné (Millançay), propriété de la Fédération Départementale des Chasseurs de Loir-et-Cher, réserve de chasse et de faune sauvage. Pour vous y rendre, facile : suivez la D922, une ligne droite de La Ferté-Saint-Aubin à Romorantin. Pour y stationner, c’est plus compliqué, barre de 2,60 m oblige. Mais vous calerez votre intégral ou profilé bien serré avant l’entrée : l’endroit est idéal pour l’observation animalière. Je le signale, car la quasi
totalité des étangs de Sologne est privée. Or le sentier de «La Tour» (poste d’observation) est ouvert au public toute l’année (environ 1 km). Attention à ne pas vous aventurer plus loin en période de chasse ! Et dissimulé dans votre cabane de bois, canards, hérons, aigrettes, poules d’eau, ragondins s’en donnent à coeur joie.
Une chasse façon ball-trap
Avec le guide-animateur nature Alexandre Roubalay, de l’Association Sologne Nature Environnement, vous apprendrez la nature solognote, ses richesses : oiseaux, orchidées sauvages, brame du cerf, monde des champignons, plantes oubliées… Bref, Alexandre, convivial, fort sympathique et excellent pédagogue, vous mène par monts et par vaux – ici on dira, de plan d’eau en chemins creux – à la découverte d’une Sologne abordable : étang à Nouan-le-Fuzelier, tourbière à Neuvy-sur-Barangeon, mares à Pruniers-en-Sologne, prairies humides à Pierrefitte-sur-Sauldre… Abordable, mais loin d’être réellement ouverte : 90 % des 100 000 km2 de la forêt Solognote est privée, quadrillée de milliers de kilomètres de grillage voulus par une poignée de très riches propriétaires, réduisant la chasse à de simples ball-traps sur des biches, cerfs, chevreuils, sangliers, etc. Et comme dit François Cluzet, « Totoche le braconnier » dans « L’école buissonnière », film épique de Nicolas Vanier : « Avec son mur d’enceinte, vous savez c’que ça veut dire : c’est la mort » . Alexandre, lui, vous dévoile son affection sans borne pour une nature bien vivante ! Une nature que vénère Valérie Lugand qui, telle un cosmonaute au milieu d’un parterre de fougères, déambule, entre ses ruches. Elle est tombée « dans le chaudron de miel » après un stage et l’acquisition de sa première ruche. 15 jours après, elle en possédait dix. D’emblée elle annonce la couleur : « Un bon miel c’est tout l’inverse d’un miel chinois : 1 % de miel et 99 % de sucre. » Beurk ! « Un bon miel est multifloral, réalisé par un producteur et récoltant » . Je lui parle de l’abeille noire d’Ouessant, des Cévennes… « L’abeille noire a un tempérament plus costaud ! Je travaille avec des Buckfast, abeille d’origine anglaise peu agressive et très productive ». Valérie produit quatre sortes de miel, pressés sur cire fraîche de l’année. Un succulent nectar. Vous la trouverez sur les marchés de Lamotte-Beuvron, de Salbris, Aubigny-sur-Nère… Et ses produits, à la boutique de Nathalie Harrault au Moulin de Crouy. Valérie y dépose souvent ses ruches en bordure de forêt. Une forêt qui, l’automne venu, se pare de ses plus beaux atours, tel le soir qui tombe sur « la maison du braco ». S’il est un lieu qui exprime l’âme de la Sologne, c’est bien celui-ci. Il faut remonter aux années 80 pour comprendre la genèse de cette belle « cabane », toute de bois vêtue. Des passionnés jouent le «Raboliot » de Maurice Genevoix à Chaon. L’association de Chaon et du braconnage est née et avec elle l’idée d’une maison ! Elle sera le narthex d’un univers unique, celui du « attrape moi si tu peux », du « chat et de la souris ». Elle raconte ainsi de sombres affûts, les traques, les chiens, les fuites, les nuits de pleine lune, les pièges… Et si le braco en fait voir de toutes les couleurs à la maréchaussée, des hommes et des femmes, têtus, ont su louvoyer entre les embarras et complications administratifs pour qu’en 1997 leur Maison du Braconnage, voit le jour. Une maison où l’automne – tendez bien l’oreille – on entend battre le coeur de la « Vraie » Sologne !