Le Monde du Camping-Car

Colorado :

Rouges gorges

- Texte et photos : Marcus Leach

Là-bas!”, s’écrit Harrison, très enthousias­te, en pointant du doigt une vaste clairière au milieu du bois très dense qui protégeait l’étroite route de montagnes se profilant derrière. Quelques kilomètres avant, lors d’une pause déjeuner impromptue, un homme vêtu d’une tenue de camouflage, au visage bronzé et patiné, à la barbe négligée, nous avait inopinémen­t prévenu. «Il y a un élan dans le coin, a-t-il dit, et votre camping-car subira beaucoup de dommages si vous le heurtez» , avant de disparaîtr­e entre les arbres. Il nous invitait probableme­nt à conduire prudemment, ce qui, étant donné la façon dont la route serpente à travers la forêt en se dirigeant vers le pied d’un des plus célèbres cols de montagne d’Amérique, était exactement ce que nous avions l’intention de faire… Désormais, chaque ombre, chaque rocher sombre au loin prenait la forme de l’animal que nous espérions voir jaillir du sous-bois. Il y avait déjà eu plusieurs fausses alertes, alors quand Harrison a de nouveau affirmé avoir vu quelque chose, nous sommes restés sceptiques au premier abord. « Il a raison, c’est là-bas » , dit Kim d’un ton excité, désignant l’autre côté d’une clairière. J’ai immédiatem­ent arrêté le camping-car. Nous étions venus dans l’État du Colorado à la recherche d’une aventure à grande échelle dans les grands espaces et malgré tous nos espoirs et nos ambitions de voir et de faire tant de choses, je ne pense pas qu’aucun d’entre nous n’imaginait vraiment voir un animal aussi magnifique en chair et en os.

Un an de rêve avant le départ

Le voyage avait commencé comme un rêve presque un an avant que nous partions finalement pour «le pays de la liberté». Peu de temps après la naissance de notre deuxième enfant, Dorothy, Kim avait plaisanté en disant que nous aurions besoin d’un plus

grand camping-car pour notre prochaine aventure. D’où la question : où serait-ce ? En famille, mais à trois, nous avions déjà fait le tour de l’Espagne pour suivre la Vuelta a Espana (le Tour d’Espagne). Nous avions profité d’un court séjour au Pays de Galles et avions effectué un voyage allerretou­r en Autriche le temps d’une course de vélo. Tout cela a contribué à notre amour pour le road-trip en camping-car. Alors, où ensuite ? Notre idée initiale était de privilégie­r une destinatio­n facile. Voyager avec deux enfants de moins de quatre ans serait déjà assez difficile sans ajouter des vols longs courriers. Cependant, chacune de nos expérience­s en camping-car avait renforcé notre goût de l’aventure. Kim et moi avions maintenant l’ambition de voyager sur une échelle beaucoup plus grande, où des montagnes imposantes s’étendaient dans un immense ciel bleu, les routes n’étaient que de minuscules rubans sur une mosaïque géante de nature, des horizons étendus pour toute éternité et des rêves sans limites. Les Etats-Unis finirent donc par s’imposer. Encore fallait-il choisir l’État ou les Etats. Après des recherches approfondi­es, nous avons convenu que c’est le Colorado, un État plus grand que le Royaume-Uni, qui répondrait le mieux à notre désir de vivre un voyage épique, tout en proposant suffisamme­nt d’activités familiales susceptibl­es d’intéresser Harrison et Dorothy. Après des mois de préparatio­n de notre itinéraire, utilement assistés par l’Office du tourisme du Colorado, nous étions prêts à partir, armés d’un programme de trois semaines plein de promesses. Lorsque nous avons fermé la porte de notre maison, nous avions davantage l’impression de déménager que de partir en vacances…

Une boucle de 1 400 km

Assis dans notre chambre d’hôtel au centre-ville de Denver, Harrison et Dorothy paisibleme­nt endormis, Kim et moi avons

ressenti un étrange mélange d’appréhensi­on et d’excitation. C’était en somme le voyage de notre vie, et pourtant nous étions obnubilés par la crainte d’avoir oublié quelque chose. Nos précédents voyages en camping-car avaient commencé sur le seuil de notre maison, nous offrant le luxe de transférer la plus grande partie du contenu de la maison dans le camping-car en ayant en tête qu’il « vaut mieux l’avoir et ne pas en avoir besoin ». De fait nous n’aurions pas dû nous inquiéter car tout ce que nous n’avons pas pu emporter dans nos bagages – et ce malgré les efforts de Kim en matière d’emballage ! – nous a été fourni par Cruise America dans un camping-car parfaiteme­nt équipé. Il s’agissait d’un véhicule assez grand et assez spacieux, mais pour l’Amérique c’était finalement un petit camping-car. Un point qui a rapidement été confirmé sur notre premier camping, à Manitou Springs, alors que nous étions entourés de plusieurs autocars de cinquante pieds (environ 15 mètres) ! Notre itinéraire circulaire, qui totalisera­it 1 400 km, a été pensé sur la base de trois critères principaux, mis à part le désir collectif de plonger dans les grands espaces et la nature. Il s’agissait d’un trajet très attendu sur le Durango et le Silverton Narrow Gauge Railroad pour Harrison, des visites du Parc national de Great Sand Dunes et de certaines sources chaudes célèbres du Colorado pour Kim, ainsi que la possibilit­é pour moi de parcourir à vélo les deux plus hautes routes pavées d’Amérique du Nord, Pikes Peak et Mount Evans.

Un peu d’oxygène… au bar

C’est dans cet esprit que notre premier port d’escale, après Denver, a été Manitou Springs, point de départ d’une route longue et sinueuse – il y a 156 virages sur 25 kilomètres ! – menant au sommet de Pikes Peak. Avant ce voyage, je n’avais jamais dépassé les 3 000 m d’altitude à vélo et la perspectiv­e de dépasser 4 300 m était plutôt découragea­nte. Un sentiment qui ne m’a pas aidé quand après seulement cinq miles (environ 8 km) de montée, je suis passé devant un bar servant de l’oxygène pur… La course au sommet était l’une des plus difficiles, voire la plus difficile de toutes celles que j’avais faites auparavant, avec une combinaiso­n de pentes toujours prononcées et d’air de plus en plus rare, me donnant la sensation que mes poumons étaient écrasés chaque fois que je prenais ma respiratio­n. Chaque kilomètre est signalé par un repère complet indiquant l’altitude correspond­ante mais également quels animaux on peut rencontrer dans de telles conditions. Comme si la montée n’était pas assez dure sans savoir que je pourrais rencontrer des élans, des ours et des lions de montagne en cours de route... Malgré la menace des animaux sauvages et le malaise physique, il est impossible de ne pas être impression­né par la beauté du paysage alors que la route se dirige de plus en plus haut, jusqu’à ce que vous ayez l’impression de vous retrouver sur une autre planète. Arrivé au sommet, soulagé d’avoir survécu à la fois à la montée et aux menaces de la faune, j’ai été accueilli par les visages souriants et les accolades de Kim, Harrison et Dorothy, qui, eux avaient profité d’une promenade plus tranquille vers le sommet en 4x4, avec Adventures Out West. La suite de notre voyage nous emmènerait des montagnes rocheuses à des montagnes de sable tout aussi impression­nantes, alors que nous nous dirigions vers le sud-ouest, jusqu’au Parc national et la réserve de Great Sand Dunes. De loin, ces vastes dunes ne sont plus qu’un voile marron clair au pied des montagnes du Sangre de Cristo, mais

au fur à mesure que vous vous rapprochez, leur vraie grandeur s’impose. Se dresse alors au-dessus de vous un réseau complexe, tissé au fil de centaines d’années grâce aux vents uniques de la vallée de San Luis. Nous avons eu la chance d’arriver à un moment où le ruisseau Medano, saisonnier, continuait de couler au pied des dunes, créant ainsi le sentiment d’être à la plage, avec suffisamme­nt de sable pour construire « le plus grand château de sable du monde » , selon Harrison. Kim et Dorothy ont joué dans les eaux fraîches de la crique, tandis que Harrison et moi nous sommes dirigés vers les hauteurs afin de vivre une expérience de luge, bien différente de celle sur neige. Au fil des ans, nous avons séjourné dans des endroits merveilleu­x, mais rien ne fut plus fort que notre séjour au camping familial Great Sand Dunes Oasis, où la grand-mère prépare toujours une tarte aux cerises comme seule peut la faire une grand-mère. Tous ceux qui s’y arrêtent la nuit peuvent être témoins de la vraie beauté des dunes lorsque le soleil commence à se coucher et à descendre lentement de son perchoir, révélant ainsi la plus belle teinte dorée sur la face des dunes, avant de fixer enfin l’horizon avec une flamme orange et rouge qui brûle longtemps dans la nuit.

Une source pour apaiser corps et esprit

Après avoir parcouru une centaine de kilomètres au sud-ouest de notre camping idyllique dans les dunes, nous nous sommes retrouvés sur les rives du fleuve San Juan, dans la paisible et pittoresqu­e ville de Pagosa Springs, célèbre, comme son nom l’indique, pour ses sources chaudes. Entourée par les montagnes escarpées de San Juan et de vastes étendues de forêts, elle possède un charme certain qui imprègne toute la ville, la rendant bien plus intéressan­te qu’une simple étape pour profiter des sources chaudes et ce, même si ces dernières constituen­t la principale attraction de la ville. Les eaux riches en minéraux proviennen­t de la source thermale géothermiq­ue la plus profonde du monde, réputée pour aider à apaiser le corps et l’esprit. Pas étonnant qu’elles furent une des priorités de Kim. En tant que maman à temps plein de deux enfants, toute opportunit­é de détente est grandement appréciée, même dans les bassins chauds dégageant une odeur distincte d’oeuf dur pas très frais… Malgré la légère odeur de soufre, les diverses piscines que l’on peut trouver au Springs Resort and Spa étaient aussi relaxantes et apaisantes que Kim l’espérait, même avec deux enfants à la traîne. En fait, Harrison a passé de si bons moments que même s’il avait l’air d’un pruneau à la fin de la journée, seule l’offre alléchante de la plus grande glace de son existence parvînt à le tenter de sortir. Depuis aussi longtemps que je me souvienne, Harrison est fasciné par les trains. Ainsi, lorsque nous lui avons montré les différente­s activités que nous pouvions pratiquer dans le Colorado, il a insisté pour

que nous prenions en compte un arrêt à Durango pour emprunter le chemin de fer à voie étroite. Datant des années 1880, le train à charbon est utilisé de façon continue depuis plus de cent ans. Utilisé à l’origine par les mineurs, les cow-boys et les pionniers du vieux ouest, il offre maintenant aux passagers un voyage unique dans une série de canyons à couper le souffle à travers une nature sauvage et reculée de la forêt nationale de San Juan, dont une grande partie ne peut être vue qu’en train puisque il n’y a pas de routes là-bas. Partant de Durango et se dirigeant vers Silverton pour un voyage dans le passé de 45 km, le train longe les rives de la rivière Animas, cernées de falaises abruptes et d’immenses sommets enneigés. Nous l’avions réservé pour Harrison, mais à la fin du voyage, ce fut Kim et moi qui avons été les plus émerveillé­s par cette expérience. À ce stade du voyage, nous nous sommes demandés comment la suite pourrait être encore mieux, puis nous avons rencontré

The Moose. Pendant un court instant, alors que nous observions cet animal majestueux, le monde semblait s’être arrêté, puis, avec une grâce qui défia sa taille, il se glissa dans les bois et nous laissa tous nous demander si nous l’avions vraiment vu.

La route la plus dangereuse d’Amérique

Au cours de nos voyages en famille, nous nous sommes rendus compte que chacun d’entre eux contenait un joyau inattendu. Dans le cas du Colorado, il s’agissait sans aucun doute de la petite ville de montagne d’Ouray. Mais avant de pouvoir profiter de cette vieille ville pittoresqu­e, vous devez d’abord traverser la magnifique route de Silverton sur un tronçon de route tout aussi époustoufl­ant, connu sous le nom de « The Million Dollar Highway » . Avec ses virages très compacts, son étroitesse et ses chutes sans protection dans la gorge Uncompahgr­e, il n’est pas étonnant qu’elle soit considérée comme l’une des routes les plus dangereuse­s d’Amérique. Il ne faut pas pour autant l’éviter. Abordé avec soin et attention, il s’agit également de l’un des plus spectacula­ires circuits que vous puissiez imaginer. Il se termine dans la ville d’Ouray, véritable porte ouverte sur un labyrinthe de pistes en terre qui disparaiss­ent au plus profond des montagnes environnan­tes.

La route la plus dangereuse du monde est aussi un des plus spectacula­ires circuits imaginable­s

Avec une route principale sans feux de circulatio­n, il serait facile de passer par Ouray sans s’en rendre compte. Mais la ville elle-même est un savant mélange d’antan et de modernité, avec ses bâtiments victoriens à façades en bois bordant la rue principale et de nombreuses Jeep Rubicon occupant des places de stationnem­ent sur lesquelles autrefois des chevaux auraient été attachés. Désireux d’en explorer davantage, nous sommes partis avec Switzerlan­d of America Jeep Tours pour un voyage qui nous a menés dans le coeur des montagnes et pour le plus grand plaisir de Harrison : un immense glacier offrant un terrain de jeu idéal pour la matinée. Assis près d’une rivière en cascades et entourés dans toutes les directions d’imposantes montagnes enneigées, il était difficile de ne pas se sentir petit. Si nous n’avions pas eu à continuer notre voyage, nous serions bien restés à Ouray plusieurs jours. Mais je devais faire une course à vélo, sans laquelle aucun voyage en camping-car n’aurait été imaginable. Seulement celle-ci était légèrement différente de mes courses habituelle­s sur grande distance, avec son parcours de seulement 28 miles (environ 45 km). La difficulté n’était cependant pas liée au nombre de kilomètres, mais aux 2 000 m de dénivelé positif et à l’arrivée qui se termine au sommet du mont Evans, la plus haute route goudronnée en Amérique du Nord, à 4 308 m… Peu importe la façon dont vous arrivez au sommet, que ce soit à pied, à vélo, en véhicule ou par tout autre moyen possible, cette montagne est l’une des choses à faire absolument. Une fois au-dessus de la limite des arbres, sa vraie beauté se dévoile. Chaque coin arrondi offre une vue plus impression­nante sur le sommet des Rocheuses, à perte de vue. Plus haut encore, et niché dans un cirque glaciaire, se trouve Summit Lake, dont le nom est trompeur puisqu’il se trouve en fait à cinq miles du sommet, mais n’en est pas moins impression­nant avec ses eaux bleu roi scintillan­tes. Si notre voyage s’était terminé ici, aucun d’entre nous n’aurait eu à se plaindre, et cela aurait été une fin parfaite. Cependant, après avoir fait l’effort de venir jusqu’ici nous voulions en tirer meilleur parti et envisagion­s donc un vrai moment de détente avant de terminer notre boucle de retour à Denver. Les derniers jours de notre voyage se sont déroulés dans les montagnes de Snowmass et de Breckenrid­ge, deux parcs d’aventures dont Harrison et moi-même n’aurions jamais rêvé avant ce voyage. Ce n’est pas tous les jours que vous jouez au sommet d’une montagne en regardant le monde qui vous entoure. Mais ce n’est pas tous les jours non plus que vous venez au Colorado.

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Un arrêt, le temps d’admirer la vue sur le Parc national de Great Sand Dunes.
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Probableme­nt la station-service avec la meilleure vue du monde.
1. Une promenade dans les bois avec une rencontre impression­ante, Isak le Troll. 2. Le pont suspendu le plus haut d’Amérique, le Royal gorge Bridge, au-dessus de l’Arkansas. 3. Kim atteint de nouveaux sommets dans la forêt perdue, Snowmass. Probableme­nt la station-service avec la meilleure vue du monde.

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