Saône-et-Loire : la route des premiers crus
La côte chalonnaise égraine des noms qui font rêver les amateurs ; Bouzeron, Mercurey, Rully, Givry et Montagny. C’est là qu’au fil des saisons, s’exprime le savoirfaire pluri-millénaire des vignerons. C’est aussi une campagne vallonnée, bocagère et boisée, peuplée de rustiques boeufs charolais et ponctuée de richesses architecturales et de bonnes tables : itinéraire du nord au sud.
L a côte chalonnaise s’étend sur 25 km de long et 7 km de large. Le vignoble occupe 4 000 ha de sols argilo-calcaires entre Chagny, au nord, et Saint-Gengoux-leNational, au sud. Si les cinq villages sont dépourvus de grands crus, ils comptent de nombreux premiers crus. On y dénombre 140 climats, inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2015. Le climat est l’expression du terroir, parcelle de terre précisément délimitée aux conditions géologiques et climatiques spécifiques. Chaque climat est empreint d’une personnalité organoleptique unique. Il y en a plus de 600 en Bourgogne. La région prend naissance à l’époque gallo-romaine, il y a plus de 2 000 ans. Un écrit de 312 atteste de l’existence du vignoble de Bourgogne. Plus tard, les moines de Cluny et de Citeaux formalisent le travail de la
vigne et l’organisation du vignoble, avant que les ducs de Bourgogne ne fassent rayonner leurs vins en France et en Europe. C’est d’ailleurs Philippe le Hardi qui fit arracher les plants de Gamay, dans le Chalonnais, pour qu’ils soient remplacés par du pinot noir. Celui-ci sert dans l’élaboration des rouges alors que le chardonnay est utilisé pour les blancs.
De villages en châteaux
Le cépage aligoté a longtemps été utilisé pour fournir, via le canal du Centre, la capitale. Il ne représente plus aujourd’hui que 6 % de l’encépagement (41 % pour le pinot noir et 50 % pour le chardonnay). Ce cépage rustique et fertile doit en partie sa renommée au chanoine Félix Kir, auquel aujourd’hui encore nombre de Bourguignons attribuent à tort l’invention du mélange. C’est en fait le député-maire de Dijon Henri Barbarant qui fit remplacer, en 1904, lors des réceptions à la mairie le champagne, jugé trop coûteux, par de l’aligoté. Celui-ci, planté alors dans le bas des coteaux, réservant ainsi aux cépages les plus nobles les meilleures expositions, n’était pas des plus fameux même s’il offrait de forts rendements. De la crème de cassis lui fut adjointe pour l’adoucir et il fut servi à la mairie de Dijon en apéritif – on l’appelait alors « une pucelle ». Ce n’est qu’en 1945 que le chanoine Félix Kir, figure populaire de l’époque, élu maire à son tour, donnera son nom actuel à l’apéritif. En 1952, l’entreprise Lejay Lagoute reçoit du chanoine Kir l’autorisation d’utiliser son nom pour la commercialisation. Mais cet aligoté doré, surnommé le muscadet de Bourgogne, vin blanc de table râpeux en 1900, AOC « Bourgogne aligoté » en 1937, est devenu au fil du temps, grâce au travail des vignerons, un vin blanc à la typicité unique.
À Bouzeron, il a acquis ses lettres de noblesse en 1997. Bouzeron est la seule appellation « bourgogne villages » (sur les 44 que compte la Bourgogne), issue du cépage aligoté doré. C’est la plus petite des cinq appellations de la côte chalonnaise (55 ha sur deux communes et seulement une vingtaine de producteurs). Ouvert tous les jours, le Domaine de Chanzy, au coeur d’un petit village bourguignon typique, accueille le public à la découverte de ses vins dans ses caves. Le bouzeron monopole « La Fortune » qui y est produit est remarquable. À moins de 3 km au sud, l’AOC Rully produit des rouges et des blancs sur 350 ha et ne compte pas moins de 23 premiers crus. Il fait bon parcourir les vignes à vélo. Le château de Rully est une forteresse médié
vale édifiée à partir du donjon carré du
XIIe siècle. Il domine fièrement le vignoble du haut de son éperon rocheux depuis le
XIIIe siècle. Il appartient à la même famille depuis plus de 800 ans et présente une intéressante architecture militaire, chemin de ronde, créneaux et archères. Les corps de logis datent de la Renaissance. L’extérieur se visite librement. À l’intérieur, la visite est guidée, passionnante et familiale. La cuisine voûtée du donjon possède une cheminée monumentale, dans laquelle on imagine aisément rôtir cerfs et sangliers. La toiture en pierre des communs du XVIIIe est la plus grande de Bourgogne.
À 10 minutes par la D981, le château de Germolles est un trésor historique, il est habité et appartient à la même famille depuis 150 ans. C’est le seul palais d’agrément des ducs de Bourgogne aussi bien conservé. Philippe le Hardi l’offrit à Marguerite de Flandre, son épouse, en 1380. Elle en fit une demeure de plaisance dans laquelle elle convia tous les arts, dans une sorte de pré-Renaissance à la française. À l’époque, c’est le plus grand vignoble des ducs de Bourgogne avec 17 ha. Marguerite crée une roseraie, une bergerie, croise des vaches pour améliorer la race. Bâti à l’origine en
U autour d’une cour intérieure, le temps a malmené le château et des ailes ont disparu. Les tours d’entrée défensives, le cellier voûté et la chapelle sont du XIIIe siècle. Le corps de logis gothique est du XIVe. Il subsiste quelques fortifications du XVe siècle que l’on doit à Charles le Téméraire. Les appartements de Marguerite de Flandre abritent d’impressionnantes peintures murales du XIVe siècle de Jean de Beaumetz, succession de « M » et de « P », initiales de Philippe et de Marguerite. Protégées du temps et de l’usure par des tapisseries, longtemps oubliées, elles furent redécouvertes bien après, lors d’une restauration. Si les M sont tous identiques, les P sont tous différents et agrémentés de fioritures, honneur rendu par sa dame au duc. L’AOC Mercurey (85 % de rouge) s’étend sur 650 ha et compte 32 premiers crus. C’est la plus grande et la plus réputée de la côte chalonnaise. Une anecdote rapporte que Napoléon, de retour de l’île d’Elbe, passant par là, y croisa un vigneron qui lui tendit un verre de mercurey. L’empereur déclara : « Que ce mercurey est excellent, sa robe me rappelle le ruban de la légion d’honneur ; quant à son bouquet, il est comme l’odeur enivrante de la victoire. » Le vigneron lui dit alors : « Sire, j’en ai eu de bien meilleur encore dans ma cave ». « Pourquoi ne l’as-tu pas apporté ? » , lui dit l’empereur. « C’est que celui-là, je le réserve pour les grandes occasions » .
Au château de Chamirey, la vigne est dans la famille depuis cinq générations. Amaury Devillard et sa soeur Aurore font découvrir leur domaine avec passion. 37 ha dont 15 ha répartis en six premiers crus rouges et blancs. La cuverie historique, devenue espace de dégustation et table d’hôte, possède un point de vue unique en terrasse à 180° sur le vignoble. Aux plus chanceux, les portes de la vinothèque privée du domaine s’ouvriront. La plus vieille bouteille conservée est un mercurey 1er cru 1934. Les vendanges ont eu lieu il y a quelques semaines (elles ont été exceptionnellement précoces en 2020) et dans les vignes, le verjus de pinot noir (petites grappes issues d’une seconde floraison) est une invitation à la gourmandise ; s’ensuit un mâchon vigneron au coeur de Mercurey, au coucher du soleil, ô temps suspends ton vol ! L’AOC Givry doit beaucoup à Cluny et aux cisterciens. Se rapprochant du chablis, les moines en disaient qu’il gardait « la bouche fraîche et la tête libre. » Le rouge parfois