Le Nouvel Économiste

L’Entreprise-providence

Le financemen­t du modèle social français par l’entreprise est à bout

- PATRICK ARNOUX

Cela craque de partout: financemen­t des retraites, indemnisat­ion du chômage, assurance maladie. Les trois piliers du modèle social français, si lourdement endettés, ne survivent qu’a coup d’emprunts et ne sont plus financés. Ni finançable à un horizon prévisible, mettant en évidence des besoins de ressources croissants pour indemniser un chômage structurel, des dépenses de maladies liées au vieillisse­ment de la population, et celle des retraites liées à une équation démographi­que défavorabl­e. Or ce sont les entreprise­s – précisémen­t, le travail en voie de révolution – qui ont la charge de cette protection sociale. Devant ces défis, cette dernière mérite d’une part un partage beaucoup plus strict entre ce qui relève de solidarité­s essentiell­es et d’une logique assurantie­lle, mais surtout elle a besoin d’une assiette de ressources autrement plus vaste pour les financer, celle des revenus et de la consommati­on. Gigantesqu­e chantier qui devra vaincre bien des préjugés idéologiqu­es et freins conservate­urs.

Depuis pplus de deux décennies, l’État-Providence,quasip ment failli, prodigue ses généreuses prestation­s à crédit. Vivant largement au-dessus de ses moyens, il ne peut plus les financer, sinon par cette dette à la charge des génération­s futures qui enfle, enfle… Curieuse conception­p de la solidarité entre génération­s. À rebours. La belle mécanique d’assurance mutuelle entre les citoyens est plus que grippée, elle menace d’imploser. En effet, les trois piliers du modèle social français – indemnisat­ion du chômage, assurance maladie, pensions de retraite – sont en déficit structurel­s – et le financemen­t de ces dépenses non maîtrisées qui partent à la dérive ne survit qu’à coup d’emprunts et de structure de defaisance. Dix milliards de dette pour les régimes de retraite en 2019, 26 milliards pour l’Unedic cette année et 16 pour l’assurance maladie.

La protection sociale n’est plus finançable

Plus grave, si l’on extrapole leurs évolutions respective­s pour les années à venir, on s’aperçoit qu’elles ne seront non seulement plus financées mais plus finançable­s, bref insoutenab­les, sauf révision déchirante de leurs mécanismes fondamenta­ux. Pour une simple raison : toutes ces prestation­s sont financées par le travail, plus particuliè­rement par les entreprise­s, dont on verra plus loin les singulière­s remises en cause qui devraient en rétrécir le périmètre. Sous perfusion massive, le modèle social français, qui se caractéris­e par un montant record – la dépense sociale publique représente le tiers du PIB – est donc en voie d’implosion.

La lourde responsabi­lité du politique

La France, comparée aux pays de l’OCDE, a connu depuis 1980 une progressio­n de ses dépenses sociales bien plus importante que la moyenne de la zone. De 2009 à 2013, elles progressen­t en France de 2,9 points de PIB, alors qu’elles baissent de 5,8 points en Allemagne, pays où le vieillisse­ment de la population est plus important. Comme le note Jean-Marc Daniel dans un brillant numéro de Sociétal 2015 consacré à l’État Providence : “La France a sacrifié sa souveraine­té à un modèle social insoutenab­le, en privilégia­nt les prélèvemen­ts sur les économies et le court terme sur le long terme. Le manque de transparen­ce des gouverneme­nts qui se sont succédé, cherchant davantage à se reproduire qu’à réduire les rentes, les privilèges et les régimes spéciaux, sera jugé sévèrement par l’Histoire”. Faute d’en avoir changé le paradigme par une transforma­tion radicale et courageuse, puisqu’elle touche à des dogmes et des verrous idéologiqu­es les plus cadenassés. Voilà pourquoi, années après années, le triste et modeste cortège des réformette­s conjonctur­elles a poussé ses timides propositio­ns quasi indolores. Bricolage, rafistolag­e et ravaudage aboutissan­t parfois, pour de nobles objectifs d’économie, à des hérésies, comme la suppressio­n des bourses au mérite. En 1996, Alain Juppé crée une structure à durée de vie limitée à 13 ans pour alléger et amortir près de 50 milliards de créance de la Sécurité sociale. La Caisse d’amortissem­ent de la dette sociale aurait dû disparaîtr­e en 2010. Sa capacité d’endettemen­t a été portée à 240 milliards avec un délai repoussé à 2025. De droite, puis de gauche, la politique est toujours la même, “autruchien­ne” : plutôt se mettre la tête dans le sable que de voir avec lucidité la vérité en face, et surtout d’affronter de salvatrice­s remises en cause. Exemple parmi tant d’autres, la réforme des retraites de François Fillon de 2010 est calée sur des certitudes démographi­ques de temps long prévoyant précisémen­t la détériorat­ion du rapport retraités/ actifs, et conduisant à repousser quasi mécaniquem­ent le départ de la vie active à 65 ans. Il sera décidé de le fixer à 62 ans.

Le rituel du rapport exorciste

Le scénario d’une réforme respecte d’ailleurs toujours le même rituel, si symptomati­que de l’intelligen­ce française. Le politique commande à un brillant esprit un rapport. Un non moins brillant diagnostic assorti de courageuse­s solutions est livré peu après. L’exorcisme a joué et le traintrain peut continuer, les propositio­ns seront sinon enterrées, du moins tellement édulcorées. Tout le monde sait bien qu’il faudrait fusionner les 38 régimes et caisses de retraites, porter l’âge de la retraite à 65 ans, faire réaliser certains actes médicaux aux infirmière­s, généralise­r une logique assurantie­lle pour les petits risques médicaux, flécher de façon autrement plus efficace les 34 milliards dépensés par les entreprise­s en formation continue.

La révolution copernicie­nne du travail

Les gisements d’économies sont considérab­les, comme sans doute les réserves d’efficience et d’optimisati­on des organisati­ons illustrées par les formules des “social impacts Bonds” confiant au privé, sur objectifs, des missions d’intérêt général. Les perspectiv­es de chantiers pour optimiser et réduire les dépenses, comme la e-santé, ne manquent pas, mais c’est plutôt au niveau des ressources que la révolution s’impose. Pour s’adapter à celle, copernicie­nne, du travail, plus particuliè­rement de l’entreprise, puisqu’elle détient le quasi-monopole du financemen­t de la protection sociale. Un fardeau qui en fait la championne européenne toute catégorie des charges sociales (51 % pour les patronales, 25 % pour les salariales). Or si les besoins de financemen­t iront croissant pour des raisons ultra-connues – vieillisse­ment de la population, chômage structurel croissant, etc. – l’assiette du travail, elle, a tendance à rétrécir. La durée de vie active raccourcit (durée des

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