L’Entreprise-providence
Le financement du modèle social français par l’entreprise est à bout
Cela craque de partout: financement des retraites, indemnisation du chômage, assurance maladie. Les trois piliers du modèle social français, si lourdement endettés, ne survivent qu’a coup d’emprunts et ne sont plus financés. Ni finançable à un horizon prévisible, mettant en évidence des besoins de ressources croissants pour indemniser un chômage structurel, des dépenses de maladies liées au vieillissement de la population, et celle des retraites liées à une équation démographique défavorable. Or ce sont les entreprises – précisément, le travail en voie de révolution – qui ont la charge de cette protection sociale. Devant ces défis, cette dernière mérite d’une part un partage beaucoup plus strict entre ce qui relève de solidarités essentielles et d’une logique assurantielle, mais surtout elle a besoin d’une assiette de ressources autrement plus vaste pour les financer, celle des revenus et de la consommation. Gigantesque chantier qui devra vaincre bien des préjugés idéologiques et freins conservateurs.
Depuis pplus de deux décennies, l’État-Providence,quasip ment failli, prodigue ses généreuses prestations à crédit. Vivant largement au-dessus de ses moyens, il ne peut plus les financer, sinon par cette dette à la charge des générations futures qui enfle, enfle… Curieuse conceptionp de la solidarité entre générations. À rebours. La belle mécanique d’assurance mutuelle entre les citoyens est plus que grippée, elle menace d’imploser. En effet, les trois piliers du modèle social français – indemnisation du chômage, assurance maladie, pensions de retraite – sont en déficit structurels – et le financement de ces dépenses non maîtrisées qui partent à la dérive ne survit qu’à coup d’emprunts et de structure de defaisance. Dix milliards de dette pour les régimes de retraite en 2019, 26 milliards pour l’Unedic cette année et 16 pour l’assurance maladie.
La protection sociale n’est plus finançable
Plus grave, si l’on extrapole leurs évolutions respectives pour les années à venir, on s’aperçoit qu’elles ne seront non seulement plus financées mais plus finançables, bref insoutenables, sauf révision déchirante de leurs mécanismes fondamentaux. Pour une simple raison : toutes ces prestations sont financées par le travail, plus particulièrement par les entreprises, dont on verra plus loin les singulières remises en cause qui devraient en rétrécir le périmètre. Sous perfusion massive, le modèle social français, qui se caractérise par un montant record – la dépense sociale publique représente le tiers du PIB – est donc en voie d’implosion.
La lourde responsabilité du politique
La France, comparée aux pays de l’OCDE, a connu depuis 1980 une progression de ses dépenses sociales bien plus importante que la moyenne de la zone. De 2009 à 2013, elles progressent en France de 2,9 points de PIB, alors qu’elles baissent de 5,8 points en Allemagne, pays où le vieillissement de la population est plus important. Comme le note Jean-Marc Daniel dans un brillant numéro de Sociétal 2015 consacré à l’État Providence : “La France a sacrifié sa souveraineté à un modèle social insoutenable, en privilégiant les prélèvements sur les économies et le court terme sur le long terme. Le manque de transparence des gouvernements qui se sont succédé, cherchant davantage à se reproduire qu’à réduire les rentes, les privilèges et les régimes spéciaux, sera jugé sévèrement par l’Histoire”. Faute d’en avoir changé le paradigme par une transformation radicale et courageuse, puisqu’elle touche à des dogmes et des verrous idéologiques les plus cadenassés. Voilà pourquoi, années après années, le triste et modeste cortège des réformettes conjoncturelles a poussé ses timides propositions quasi indolores. Bricolage, rafistolage et ravaudage aboutissant parfois, pour de nobles objectifs d’économie, à des hérésies, comme la suppression des bourses au mérite. En 1996, Alain Juppé crée une structure à durée de vie limitée à 13 ans pour alléger et amortir près de 50 milliards de créance de la Sécurité sociale. La Caisse d’amortissement de la dette sociale aurait dû disparaître en 2010. Sa capacité d’endettement a été portée à 240 milliards avec un délai repoussé à 2025. De droite, puis de gauche, la politique est toujours la même, “autruchienne” : plutôt se mettre la tête dans le sable que de voir avec lucidité la vérité en face, et surtout d’affronter de salvatrices remises en cause. Exemple parmi tant d’autres, la réforme des retraites de François Fillon de 2010 est calée sur des certitudes démographiques de temps long prévoyant précisément la détérioration du rapport retraités/ actifs, et conduisant à repousser quasi mécaniquement le départ de la vie active à 65 ans. Il sera décidé de le fixer à 62 ans.
Le rituel du rapport exorciste
Le scénario d’une réforme respecte d’ailleurs toujours le même rituel, si symptomatique de l’intelligence française. Le politique commande à un brillant esprit un rapport. Un non moins brillant diagnostic assorti de courageuses solutions est livré peu après. L’exorcisme a joué et le traintrain peut continuer, les propositions seront sinon enterrées, du moins tellement édulcorées. Tout le monde sait bien qu’il faudrait fusionner les 38 régimes et caisses de retraites, porter l’âge de la retraite à 65 ans, faire réaliser certains actes médicaux aux infirmières, généraliser une logique assurantielle pour les petits risques médicaux, flécher de façon autrement plus efficace les 34 milliards dépensés par les entreprises en formation continue.
La révolution copernicienne du travail
Les gisements d’économies sont considérables, comme sans doute les réserves d’efficience et d’optimisation des organisations illustrées par les formules des “social impacts Bonds” confiant au privé, sur objectifs, des missions d’intérêt général. Les perspectives de chantiers pour optimiser et réduire les dépenses, comme la e-santé, ne manquent pas, mais c’est plutôt au niveau des ressources que la révolution s’impose. Pour s’adapter à celle, copernicienne, du travail, plus particulièrement de l’entreprise, puisqu’elle détient le quasi-monopole du financement de la protection sociale. Un fardeau qui en fait la championne européenne toute catégorie des charges sociales (51 % pour les patronales, 25 % pour les salariales). Or si les besoins de financement iront croissant pour des raisons ultra-connues – vieillissement de la population, chômage structurel croissant, etc. – l’assiette du travail, elle, a tendance à rétrécir. La durée de vie active raccourcit (durée des