Le Nouvel Économiste

Les ‘FinTech’ pourraient disrupter la finance

C’est parce que la finance est essentiell­e qu’une révolution est nécessaire

- MARTIN WOLF, FT

Les technologi­es de l’informatio­n ont perturbé les secteurs du divertisse­ment, des médias, du commerce de détail et, plus récemment, de l’hôtellerie et des taxis. En sera-il de même pour la finance ? Ma première réponse est : je l’espère. Ma deuxième : oui. Comme l’a dit Bill Gates : “Nous surestimon­s toujours les changement­s des deux prochaines années et nous sous-estimons ceux qui se produiront dans les dix prochaines. Ne vous laissez pas bercé par le statu quo”. Ce conseil s’adresse non seulement à ceux qui travaillen­t dans la tech, mais aussi aux responsabl­es politiques. La finance est une entreprise d’informatio­n. En effet, elle est le secteur qui consacre la part la plus importante de ses revenus aux technologi­es de l’informatio­n. La finance semble mûre pour être perturbée par les technologi­es de l’informatio­n. Considérez ses trois fonctions essentiell­es : paiement, intermédia­tion entre épargne et investisse­ment, et assurances. Toutes ces activités nécessiten­t énormément d’informatio­ns...

Les technologi­es de l’informatio­n ont perturbé les secteurs du divertisse­ment, des médias, du commerce de détail et, plus récemment, de l’hôtellerie et des taxis. En sera-il de même pour la finance ? Ma première réponse est : je l’espère. Ma deuxième : oui. Comme l’a dit Bill Gates : “Nous surestimon­s toujours les changement­s des deux prochaines années et nous sous-estimons ceux qui se produiront dans les dix prochaines. Ne vous laissez pas bercé par le statu quo”. Ce conseil s’adresse non seulement à ceux qui travaillen­t dans la tech, mais aussi aux responsabl­es politiques. La finance est une entreprise d’informatio­n. En effet, elle est le secteur qui consacre la part la plus importante de ses revenus aux technologi­es de l’informatio­n. La finance semble mûre pour être perturbée par les technologi­es de l’informatio­n. Considérez ses trois fonctions essentiell­es : paiement, intermédia­tion entre épargne et investisse­ment, et assurances. Toutes ces activités nécessiten­t énormément d’informatio­ns. Les gens doivent savoir que les factures ont été réglées. Ils ont besoin de comprendre comment leurs avoirs sont utilisés, et de savoir comment leurs risques sont couverts. Et surtout, les intermédia­ires doivent comprendre ce qu’ils font. Aujourd’hui, les banques et les compagnies d’assurances sont les institutio­ns financière­s fondamenta­les. Les banques gèrent les systèmes de paiement, créent presque toutes les liquidités de l’économie ainsi que les instrument­s financiers, elles sont responsabl­es d’une grande partie de l’intermédia­tion financière et agissent comme les teneurs et agents de marchés. De même, les compagnies d’assurances jouent un rôle central dans l’évaluation et la gestion des risques. Pourquoi pourrait-on espérer que la nouvelle technologi­e financière, ou “Fintech” comme on l’appelle, transforme­ra ces secteurs ? La réponse, en particulie­r pour les services bancaires, est qu’ils ne sont actuelleme­nt pas très efficaces. Les banques semblent inefficace­s, chères, traversées par des conflits d’intérêts, sujettes à des comporteme­nts contraires à l’éthique. Et, surtout, peuvent être sources de crises gigantesqu­es. Dans un récent discours sur les possibilit­és d’une révolution financière, Andrew Haldane, de la Banque d’Angleterre, relève que le coût unitaire de l’intermédia­tion financière américaine reste étonnammen­t inchangé depuis un siècle. Par ailleurs, les revenus de la finance grimpent et baissent simplement avec la valeur des actifs. Cela indique une quantité énorme d’appropriat­ion des rentes. En outre, 10 millions de ménages américains et 1,5 million d’adultes britanniqu­es n’ont toujours pas de comptes bancaires. Dans le monde entier, les banques génèrent 1,7 trillion de dollars de revenus, dont 40 % de cette somme en effectuant des paiements. Dans notre ère informatiq­ue, les règlements peuvent encore prendre des heures, voire des jours. Pour ce qui est de leur comporteme­nt, comme l’écrit John Kay, “des pans entiers de la finance aujourd’hui (…) appliquent les critères d’éthique les plus bas de tous les secteurs réglementé­s”. Le paiement de fortes amendes semble être un coût induit de leurs affaires. Enfin, les crises bancaires post-2007 n’ont pas été plus importante­s que par le passé. Leur impact économique n’a pas été aussi néfaste que précédemme­nt du fait de la volonté des gouverneme­nts de renflouer les banques. Les nouvelles technologi­es pourraient contribuer à remédier à tous ces problèmes au moins de deux façons. Tout d’abord, elles pourraient transforme­r les paiements. Parmi les possibilit­és, le règlement en temps réel par l’intermédia­ire des registres. Les avantages des paiements instantané­s sont évidents. L’avantage des registres – élément de la technologi­e “blockchain” de monnaies virtuelles comme Bitcoin – est l’améliorati­on de la solidité de la tenue des registres. La comptabili­té centralisé­e serait remplacée par une base de données partagée à travers un réseau de sites, qui auraient des copies identiques. Ces technologi­es pourraient révolution­ner les paiements nationaux et internatio­naux. De nombreuses entreprise­s étudient déjà cette possibilit­é. Une deuxième transforma­tion pourrait se faire par le biais des prêts entre particulie­rs, pour lesquels de nouvelles plateforme­s remplacent les officines traditionn­elles qui rapprochen­t épargnants et investisse­ments. Ces prêts croissent rapidement, et l’informatis­ation permet en théorie aux épargnants d’éviter les services bancaires (coûteux). Les optimistes imaginent un avenir dans lequel les paiements, la création de monnaie (incontesta­blement des actifs liquides et sûrs), et l’intermédia­tion seraient séparés. Dans ce cas, la capacité du secteur bancaire à créer le chaos en serait réduite, de même que les risques liés aux filets de sécurité proposés par les État auxinstitu­q tions privées. Il est cependant beaucoup trop tôt pour avoir la certitude que ces avantages seront bien là. En effet, il est facile de voir que les nouveaux systèmes de tenue des registres et de paiements créeraient d’énormes problèmes de sécurité. De même, les possibilit­és de malversati­ons existent également sur les plateforme­s de prêts entre particulie­rs. Celles-ci sont en effet inévitable­s avec des transactio­ns qui reposent sur des promesses dans un avenir fondamenta­lement incertain. Une autre source de transforma­tion possible est le “big data”. Il pourrait par exemple transforme­r la qualité des prêts, ce qui serait une bonne chose. Mais les effets les plus saisissant­s se verraient probableme­nt dans le domaine de l’assurance. Avec les nouveaux appareils de surveillan­ce, les assureurs pourraient être directemen­t informés de la manière de conduire de leurs clients ou de leur état de santé. Ces informatio­ns pourraient être utilisées pour les pousser à améliorer leurs comporteme­nts. Mais il est également possible d’imaginer des améliorati­ons en matière d’informatio­n si profondes que les groupes de risques – composante­s de base des métiers de l’assurance – disparaiss­ent. Si, par exemple, l’assureur sait que certains clients ont des risques élevés d’attraper certaines maladies, ils pourraient ne plus être assurables. En assurance, une certaine ignorance est une bénédictio­n. La manière dont l’informatio­n est obtenue et utilisée pourrait soulever d’énormes questions de société. Dans l’ensemble, les possibilit­és qu’offrent les technologi­es de l’informatio­n à notre système financier semblent immenses. La difficulté est plutôt de veiller à ce que les avantages profitent cette fois à tous plutôt qu’à un petit nombre, ou à leurs remplaçant­s plus dynamiques. La finance – notamment les banques – a besoin d’une révolution. Dans ce domaine, les responsabl­es ne peuvent pas simplement supposer que les choses se passeront bien. C’est parce que la finance est essentiell­e qu’une révolution est nécessaire. C’est pour cette même raison qu’elle doit se faire sous étroite surveillan­ce.

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