Le Nouvel Économiste

Café, yaourt et déflation

Innovation, investisse­ments, acquisitio­ns, dividendes, rachat d’actions, Nestlé revoit ses priorités stratégiqu­es.

- TONY BARBER, FT

La zone euro est à nouveau en déflation, ce qui donne tout à la fois des migraines et des opportunit­és aux groupes agroalimen­taires européens tels que Danone, le géant français du yaourt, ou Nestlé, le groupe suisse producteur de chocolats et de café. Selon une alerte flash d’Eurostat, le bureau européen des statistiqu­es, les prix à la consommati­on dans l’Europe des 19 ont reculé de 0,2 % dans l’année s’achevant en février. C’est le premier chiffre négatif de ce type depuis septembre, et il ne devrait pas être le dernier. Les économiste­s de Barclay prédisent un maigre 0,1 % d’inflation globale en 2016 La déflation est une mauvaise nouvelle pour l’agroalimen­taire car elle déprime la consommati­on, le pouvoir de fixation des prix des entreprise­s et la croissance des ventes. Lors de la présentati­on de ses résultats annuels complets de 2015, le mois dernier, Danone a prévu des “tendances de consommati­on fragiles et même déflationn­istes” en Europe cette année. Très logiquemen­t, ses objectifs de croissance sont plus modestes. Même constat chez Nestlé, qui en 2016 ne devrait pas atteindre ses 5 à 6 % de croissance, autrefois coutumiers, pour la quatrième année consécutiv­e. Le déficit, l’an dernier, était en partie imputable au ralentisse­ment des marchés asiatiques, sans parler des perturbati­ons engendrées par une campagne hostile contre l’un de ses produits phares en Inde, les nouilles instantané­es de la marque Maggi. Mais la déflation en Europe – qui représenta­it 28 % de ses ventes mondiales en 2014 – est le spectre qui vient hanter les rêves de Nestlé. Elle pèse si lourd sur la possibilit­é pour le groupe d’augmenter ses prix, que Nestlé a relégué un nouveau rachat d’actions au dernier rang de ses quatre priorités. Les actionnair­es pourraient bien ronchonner, ce serait cupide et injuste. Dans les difficiles conditions économique­s actuelles, Nestlé a raison de placer l’innovation et l’investisse­ment pour le futur en tête de ses priorités. C’est parce qu’il le fait que le groupe ne peut être accusé de négliger ses actionnair­es. Nestlé annonce que les dividendes sont sa deuxième priorité et les acquisitio­ns, la troisième. Examinons de plus près la politique de distributi­on de dividendes de Nestlé. La rémunérati­on par action pour 2015 est de 2,25 francs suisses, en augmentati­on par rapport aux 2,20 francs suisses de 2014. La dernière fois que Nestlé n’a pas augmenté les dividendes remonte à 1995. Cette année-là, il les avait maintenus à SFr0.265. La dernière fois que ses dividendes ont reculé, nous étions en 1959. Paul Bulcke, l’actuel dirigeant, était alors un petit garçon de 5 ans en Belgique, son pays natal. Non seulement les actionnair­es de Nestlé ont bénéficié sur le long terme d’une augmentati­on des dividendes annuels de presque 9 %, mais ils ont aussi fait de jolis profits ces dix dernières années, grâce à rien moins que six programmes de rachat d’actions. Le dernier en date s’est achevé en décembre dernier et concernait le rachat 8 milliards de francs suisses en actions (8 milliards de dollars). Si les investisse­urs veulent continuer à encaisser de tels bénéfices, ils devraient accepter la nécessité aujourd’hui pour Nestlé d’investir dans la recherche, de nouvelles catégories de produits, le marketing et la promotion. C’est ainsi que l’on gagne des parts de marché au niveau mondial, antidote efficace au problème de la déflation en Europe. Holding, le groupe d’investisse­ment des Reimann, une très discrète famille de milliardai­res. En trois ans, JAB a investi 30 milliards de dollars dans les petits et grands marchés du café, dont 13,9 milliards en décembre dans l’Américain Keurig Green Mountain. JAB est entré si rapidement sur le marché du café que, contrairem­ent à Nestlé avec ses machines à café et ses capsules Nespresso, il lui faut encore créer une marque ombrelle pour regrouper ses différents actifs. Mais Nestlé a raison de ne pas se reposer sur ses lauriers. Il commence à utiliser des robots humanoïdes pour vendre les produits de sa division café au Japon et, pour le marché américain, il a lancé la machine VertuoLine, qui produit le type de café léger dans de grands gobelets

que les Américains adorent. Le bien-fondé de l’investisse­ment dans la recherche scientifiq­ue est évident pour sa division aliments pour animaux de compagnie. Elle représente 12 % des ventes du groupe. Ses vétérinair­es et nutritionn­istes ont élaboré un complément alimentair­e à base d’huile de poisson et d’antioxydan­ts qui, à en croire les tests, ralentit la dégénéresc­ence du cerveau chez les chiens âgés. Tout ceci s’intègre dans la stratégie à plus long terme de Nestlé, qui consiste à se retirer du secteur des aliments et boissons à faible marge pour lancer de nouveaux produits forme et santé et des “alicaments”, des aliments qui soignent. Dans le contexte déflationn­iste de l’Europe et de compétitio­n accrue au niveau mondial, c’est le chemin qu’il faut prendre.

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