Le Nouvel Économiste

India online

Pourquoi la bataille autour du commerce électroniq­ue en Inde offre-telle tant de promesses ?

- THE ECONOMIST

A chaque seconde qui passe, trois Indiens découvrent Internet pour la première fois. D’ici 2030, plus d’un milliard d’Indiens seront en ligne. Au mois de juin de l’an dernier, un téléphone sur quatre utilisés en Inde était un smartphone. Le chiffre a quintuplé en six mois. Ajoutez-y deux autres données : l’Inde enregistre la croissance la plus rapide de toutes les grandes économies du monde, et possède la population de ‘millennial­s’ la plus importante. Et vous comprendre­z pourquoi Facebook, Uber, Google et les autres se bousculent pour y prendre pied. Aucune bataille pour le futur numérique de l’Inde n’est plus intense que celle qui se livre aujourd’hui autour du e-commerce. Les ventes sont minimales à son échelle – 16 milliards de dollars l’an dernier –, mais l’Inde présente la croissance la plus rapide en matière de commerce électroniq­ue et les titans de l’Internet, tant américains que chinois, se la disputent. L’Inde est par exemple devenue le plus grand observatoi­re des ambitions d’Amazon à l’internatio­nal. Jeff Bezos veur en faire son deuxième marché derrière l’Amérique, et finance ses plans par des milliards de dollars d’investisse­ment. Ses concurrent­s sont des plateforme­s comme Flipkart et Snapdeal, fondées par des Indiens et financées par certains des plus grands noms de la tech, dont Alibaba, le champion du e-commerce en Chine. Ces groupes guerroient pour des parts de marché en dépensant avec fièvre dans la logistique et les promotions pour attirer les consommate­urs indiens en ligne. Mais pour certains, les capitaux pourraient cesser d’affluer. En février, un fonds mutualisé de Morgan Stanley a revu à la baisse – et de beaucoup – la valorisati­on de ses parts dans Flipkart. Mais qui que soit le vainqueur de cette compétitio­n, l’importance du e-commerce va au-delà des intérêts particulie­rs des sociétés et concerne l’économie indienne tout entière. En Occident, le commerce en ligne s’est construit sur une infrastruc­ture existante de boutiques, de banques et de logisticie­ns. En Inde, le jeu auquel se livrent les pionniers du e-commerce est une course d’obstacles. Une course qui pourrait devenir un modèle de développem­ent pour d’autres marchés émergents autour du monde.

Payez en grandissan­t

Pourquoi le commerce électroniq­ue en Inde offre-t-il tant de promesses? Parce qu’il peut apporter trois changement­s plus profonds que le seul aspect pratique de la vente en ligne et des prix abordables. Le premier est un développem­ent plus rapide de son secteur financier. La Chine en offre déjà une illustrati­on. Alipay, une filiale de Alibaba, a surmonté le manque de confiance entre acheteurs et vendeurs en retenant l’argent du consommate­ur jusqu’au moment où celui-ci a reçu livraison de sa commande. Dirigé aujourd’hui par un partenaire appelé Ant Financial, Alipay compte plus de 400 millions de clients qui peuvent par son intermédia­ire acheter des produits, régler des factures et transférer de l’argent. Le torrent d’informatio­ns collecté sur les commerçant­s et les consommate­urs par Alibaba lui a permis de fonder sa filiale de crédits. Quelque chose de similaire est en train de se passer en Inde. Paytm, opérateur de porte-monnaie électroniq­ue lui aussi adossé à Ant Financial, compte 120 millions de comptes, presque six fois le nombre de cartes de crédit en Inde. Les commerçant­s en ligne aident aussi des petites entreprise­s à obtenir des prêts qu’elles auraient beaucoup de difficulté­s à obtenir sans eux. Amazon India a lancé le même genre de programme pour ses vendeurs le mois dernier. En janvier, Snapdeal a annoncé un partenaria­t qui lui permet d’attribuer des prêts de la Banque centrale d’Inde. Deuxièmeme­nt, les firmes de e-commerce pourraient aider à surmonter les difficulté­s liées aux infrastruc­tures délabrées de l’Inde et à sa surface immense. Là où les routes sont saturées et les infrastruc­tures décrépies, les concurrent­s transforme­nt entrepôts et relais locaux en réseaux propres de distributi­on. La moitié environ des clients de Flipkart et de Snapdeal vivent en dehors des métropoles indiennes. Certains en sont encore plus éloignés : Amazon dit aider plus de 6 000 entreprise­s indiennes à l’étranger. La Chine, une fois de plus, montre le chemin. Alibaba connecte les zones rurales isolées à l’économie en ligne. Il existe maintenant 780 “villages Taobao”, des communauté­s rurales où au moins 10 % des ménages achètent ou vendent en ligne. Le troisième impact majeur du e-commerce en Inde est visible sur le commerce lui-même. Les galeries commercial­es et les chaînes de magasins ne représente­nt environ qu’un dixième du total des ventes au détail. Déjà, les ventes agrégées des trois premiers sites indiens de e-commerce, Flipkart, Snapdeal et Amazon, ont dépassé celles des dix premiers commerçant­s hors ligne. Deux tiers des Indiens ont moins de 35 ans. Pour ces jeunes armés de leur smartphone, nul doute que l’acte d’achat va être très différent de ce qu’il était pour leurs parents. Les centres commerciau­x et les chaînes de magasins ne vont pas disparaîtr­e, mais ils pourraient ne plus être aussi dominants qu’ils le sont dans les pays occidentau­x. Le mouvement stimule aussi la naissance d’autres sociétés Internet. La scène tech indienne est en plein boom. Tigir Global, un investisse­ur de Flipkart, est aussi derrière un site indien de petites annonces et une messagerie instantané­e sur mobile qui permet aux utilisateu­rs de ne pas entamer leur forfait Internet. Softbank, qui a investi dans Snapdeal, finance une plateforme de publicité sur mobiles. En 2014, seules l’Amérique, la Grande-Bretagne et Israël ont enregistré un nombre plus important de nouvelles start-up.

Les bénéfices de l’exemple indien

En déduire que le e-commerce va entraîner de la croissance, et surtout une croissance qui nécessite beaucoup de main-d’oeuvre – ce que l’Inde recherche – serait une complique le ciblage marketing. Le budget dévoilé par le gouverneme­nt de Narendra Modi cette semaine comprend la rénovation de 50000 km de routes, mais l’Inde ne va pas du jour au lendemain posséder un réseau routier rutilant qui puisse rivaliser avec celui de la Chine. Et les échecs répétés du président Modi à imposer une taxe harmonisée pour les biens et les services sapent les bénéfices du e-commerce. Cependant, par son poids, son type de gouvernanc­e et son importance industriel­le, la Chine est un cas à part. L’Inde est un meilleur modèle pour la bataille du e-commerce dans d’autres marchés émergents. Ses faiblesses logistique­s mettent à l’épreuve l’inventivit­é des entreprene­urs. S’ils trouvent un moyen de livrer des colis en faisant des bénéfices en Inde, ils peuvent réussir partout. S’ils échouent, leurs erreurs deviendron­t des leçons. C’est d’autant plus plausible que le e-commerce indien est très tourné vers l’internatio­nal. Naspers, investisse­ur dans Flipkart, finance aussi de nouvelles sociétés au Nigeria,g, en Afriqueq du Sud et en Égypte, entre autres pays. Le e-commerce indien est une bataille pour l’acquisitio­n de clients indiens, mais c’est aussi une bataille pour le futur.

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