Le Nouvel Économiste

De Super-Mario à Draghi-le-laxiste

Pour un “autre mandat” de la BCE à base d’une progressio­n raisonnabl­e de la liquidité

- JEAN-MICHEL LAMY

Il y a le feu à Francfort, siège de la BCE : la politique monétaire n’a plus de prise sur l’économie réelle ! Du coup, pour doper le crédit, Mario Draghi a choisi la distributi­on gratuite de billets de banque aux… banques qui empruntent auprès de son institutio­n. En réalité, le président de la BCE commet le péché d’orgueil. Pour ranimer une inflation prévue à 0,1 % cette année et la hisser à 2 % – le mandat principal de la BCE – Mario Draghi ouvre en grand les vannes de la liquidité. Trop, c’est trop. D’autant que cette politique ne marche pas. Il est temps que Francfort adapte son mandat à un nouveau monde fait de croissance faible et d’inflation très basse. Cela aidera la banque centrale à retrouver le chemin de la sérénité.

Les méfaits – et l’impuissanc­e – de la politique de l’“open bar” de la BCE

La BCE a certes eu raison, suite à la Grande contractio­n de 2008, de changer du tout au tout de stratégie en pratiquant une politique monétaire très expansionn­iste. Le danger vient de ce qu’elle ne sait plus s’arrêter, comme le montre la panoplie, une fois encore “sans précédent”, annoncée le 10 mars dernier. “L’ensemble exhaustif des décisions adoptées aujourd’hui fournit une relance monétaire substantie­lle pour contrecarr­er les risques accrus pesant sur l’objectif de stabilité des prix de la BCE”, a expliqué Mario Draghi. De quoi s’agit-il ? Le taux directeur, déjà à 0,05 %, passe à 0,00 %. L’assoupliss­ement quantitati­f (dit QE ou Quantitati­ve Easing), ou rachat d’actifs, vit sous le signe du toujours plus. Depuis mars 2015, la BCE ramasse chaque mois sur les marchés de la dette 60 milliards d’euros, essentiell­ement de la dette souveraine – ce qqui en fait baisser le coût pour les États emprunteur­s.p À partir de juin, ce seront 80milp liards par mois, dont une tranche de 20 milliards pour acquérir des obligation­s émises par les entreprise­s. Ces produits financiers vont donc bénéficier d’une garantie maximum. Enfin, c’est “open bar” à taux zéro pour le financemen­t à long terme des banques. Elles pourront même emprunter à taux négatif si leur distributi­on de crédit aux agents économique­s est très active – en clair c’est être payé pour recevoir de l’argent que l’on… prête. Pourquoi un dispositif si mirifique n’a-t-il pas fonctionné et vraisembla­blement ne fonctionne­ra pas ? Jusqu’à présent, les différents leviers utilisés – taux, QE, “open bar” – ont certes accru la liquidité disponible de centaines de milliards d’euros. Mais ce pactole n’est pas allé alimenter la croissance de l’investisse­ment : il est resté prisonnier du système financier sans faire de petits. Les banques font leur placement à la BCE ! Comme l’a dit Warren Buffett : “en Europe, je préférerai­s mettre mon argent sous un matelas”. Le manque de bons projets et le manque de confiance sont patents. Ce que le classique “On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif” illustre parfaiteme­nt. C’est un fait : en zone euro, les émissions d’actions et d’obligation­s par les entreprise­sp n’augmentent­g ppas. Malgré des emprunts d’État qui ne rapportent quasiment plus rien, grâce il est vrai au “ramassage” de la BCE, il n’y a pas de report significat­if du marché vers des actifs risqués plus rémunérate­urs – ceux qui musclent à terme le PIB. Le dispositif “Draghi” du 10 mars va-t-il créer la surprise ? A priori, les conditions de financemen­t vont devenir beaucoup plus séduisante­s pour les levées de dette d’entreprise­s : les primes de risque demandées aux sociétés émettrices par rapport aux emprunts d’État devraient encore baisser. Pourtant, les analystes restent sceptiques. En zone euro, la donne géopolitiq­ue incertaine et la faiblesse structurel­le de la croissance pèsent plus lourd que les incitation­s de Francfort.

Gagnants et perdants des toboggans boursiers

Non seulement la BCE échoue, mais ses leviers sont contre-productifs et préparent les crises de demain. C’est le plus grave. L’économiste de Natixis, Patrick Artus, parle carrément de “La folie des banques centrales”. En intervenan­t sur les marchés, la BCE rend les acteurs dépendant de ses annonces, ce qui accroît fortement la volatilité et la possibilit­é des bulles. Les toboggans boursiers deviennent la norme. Au point que les boursicote­urs attendent sans cesse, selon leur langage, la prochaine dose de “dope” de QE pour se ressaisir. En faisant ses courses, le banquier central fait également apparaître des distorsion­s sur le prix des actifs qui entraîne une mauvaise allocation de l’épargne. Les critères de sélection de Francfort pour les “emplettes” de telle obligation de telle entreprise plutôt que de telle autre peuvent devenir discrimina­nts et sans réel fondement. Mais il y a des gagnants à cette politique monétaire. On les trouve chez les détenteurs de patrimoine­s boursiers. Ce qui accroît les inégalités, puisque ce sont les seuls à tirer profit de l’action de la BCE sur les marchés. Mais hélas pour la croissance économique, on n’observe pas de diffusion de l’effet richesse via la bourse. L’autre ggrand bénéficiai­re, ce sont les États eux-mêmes. “Réduisent-ils leur niveau d’endettemen­t ou bien tirent-ils parti au contraire de taux d’intérêt faible pour le laisser galoper ?” interroge Patrick Artus. La réponse, sauf pour l’Allemagne, ne fait pas de doute. François Hollande ne remerciera jamais assez son exadversai­re, la finance, pour pouvoir endetter le pays à 0,469 % (taux de l’OAT France à dix ans le 18 mars 2016).

Un moratoire contre la fuite droit dans le mur

Quelles sont les alternativ­es à cette situation de blocage ? Il y en a deux. La première, celle de la sainte alliance “court-termiste” des leaders politiques et des financiers, conduit à demander toujours plus de facilités à Francfort. Chaque groupe de pression veut son tuyau de libre accès à la liquidité. Les écolos veulent un QE vert pour financer la transition énergétiqu­e. Les populistes imaginent déjà le “QE for people” ou opération “monnaie hélicoptèr­e”, qui consiste à distribuer directemen­t des liasses de billets à tous les ménages. Les universita­ires plaident pour le financemen­t des prêts BEI (Banque européenne d’investisse­ment) par la BCE. Etc. Tout cela n’est que fuite droit dans le mur. La seconde branche de l’alternativ­e est d’exiger un moratoire sur la créativité tous azimuts de Mario Draghi. “Super-Mario” a gagné ses galons en tant que “prêteur en dernier ressort” pour les pays périphériq­ues de la zone euro. Il a alors stoppé la débandade. Aujourd’hui, il est “acheteur en dernier ressort” pour les actifs financiers de son choix. Un pas de plus vers des QE sans limites, et il deviendra “Draghi le laxiste” – ce qui est déjà le cas vu de Berlin. La défiance vis-à-vis de l’euro sera tôt ou tard au bout de ce chemin. Où trouver une solution durable ? La globalisat­ion a exacerbé une concurrenc­e qui comprime l’indice des prix sur les différents marchés, alors que la crise des matières premières accentue la tendance. Dans ce nouveau modèle économique où pointe le péril déflationn­iste, la politique monétaire à l’ancienne est impuissant­e. Il faut donc changer de paradigme en abandonnan­t le totem des “2 % d’inflation d’équilibre” qui sert de justificat­ion ultime à toute la stratégie de la BCE. C’est pourquoi Mario Draghi doit écouter Patrick Artus qui recommande pour les banques centrales un “autre mandat” à base de contrôle des taux d’endettemen­t, de progressio­n raisonnabl­e de la liquidité, de stabilité de la croissance nominale et de surveillan­ce du prix des actifs. Voilà un bel objectif de révolution tranquille ppour Francfort. À consommer bien sûr encompaq gnie des autres banques centrales et d’une zone euro revitalisé­e politiquem­ent.

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