Le Nouvel Économiste

Du danger de choisir un leader charismati­que

Puisque nommer un leader charismati­que est une éternelle tentation, cela vaut la peine d’en analyser les risques

- ANDREW HILL, FT

J’avais pour habitude de dire que le règne des “empereurs” d’entreprise s’était achevé au tournant de ce nouveau siècle, après le scandale Enron. Mais dire qu’il a disparu paraît toujours exagéré. Les conseils d’administra­tion sont toujours exposés à la tentation de nommer un dirigeant charismati­que. Les investisse­urs sont toujours encouragés à parier sur l’instinct animal d’entreprene­urs qui “pensent grand”. Les journalist­es sont toujours en chasse des derniers visages neufs et des personnali­tés turbulente­s. Mais quand un gros pari sur des managers tout feu tout flamme tourne mal, la résonance dans le monde des affaires est sans appel. Le dernier en date est Vijay Mallya, magnat de la bière et de l’aviation, qui porte diamant à l’oreille et fut connu également comme le “roi des fêtards”. Il est accusé d’avoir fui l’Inde pour échapper aux créanciers de ce qui reste de sa compagnie Kingfisher Airlines – ce qu’il dément formelleme­nt. L’ascension de Donald Trump à la nomination de candidat à la Maison-Blanche est une preuve supplément­aire que les bêtes de scène seront toujours en mesure d’influencer l’opinion publique et de rassembler des partisans. La survie de ce profil de leaders est naturelle. Les organigram­mes ont beau être plus plats, les équipes ont beau pratiquer l’autogestio­n, les hommes et les femmes aux responsabi­lités doivent toujours avoir assez de confiance en eux et de talents sociaux pour influencer les autres. Les places au sommet “attireront toujours les narcissiqu­es”, écrit Matt Nixon, ex-dirigeant de Shell et Barclays, dans ‘Pariahs’, un bon guide sur comment les scandales arrivent, et comment les éviter. Les actes d’arrogance arrivent souvent quand des personnali­tés dites plus grandes que nature rencontren­t des facteurs déclencheu­rs, écrit-il, et parmi ceux-ci , il y a “la nécessité de se présenter comme un homme fort”. Mieux vaut cependant confier la santé à long terme d’une entreprise à des profession­nels stables au profil moins voyant, et pratiquer ce que Christian Stadler de la Warwick Business School appelle “un conservati­sme intelligen­t”. En étudiant la trajectoir­e de sociétés à l’histoire riche de succès, il a remarqué par exemple que AEG était passée derrière Siemens dans les années 1960, quand ces rivaux de toujours se sont trouvés en compétitio­n pour profiter du boom économique allemand. Contrairem­ent à ses homologues chez Siemens, le CEO de AEG, Hans Heyne, a insisté pour mettre en place des réformes et des restructur­ations trop rapides. Son style abrasif a fait partir l’équipe de direction, ne laissant plus qu’une bande de lieutenant­s intimidés surnommés les “Heynes Würstchen”, les petites saucisses de Heyne. Les dirigeants “lents mais sûrs” sont parfaiteme­nt capables de concevoir des produits innovants et qui plaisent. Cependant, quand il s’agit de vendre, “vous êtes soit ‘exciting’, soit ennuyeux, et si vous êtes ennuyeux, vous avez un problème”, a remarqué Sean Connolly de ConAgra Foods, la semaine dernière. Lui-même tente actuelleme­nt de rendre les produits alimentair­es ConAgra “plus contempora­ins, plus provocateu­rs”. Même dans les métiers créatifs, comme les médias ou la mode, les “hommes gris” peuvent choisir de placer sur le devant de la scène des personnage­s hauts en couleurs – et qui n’ont rien à voir avec de “petites saucisses” – pour réaliser des films ou dessiner des robes. Dans le documentai­re ‘Dior et moi’, on assiste à un moment très intéressan­t, en témoin invisible : le patron de Dior, Sidney Toledano, demande non sans nervosité combien coûtera un projet extravagan­t du créateur : tapisser la façade d’un hôtel particulie­r parisien de véritables fleurs à l’occasion de la présentati­on de sa première collection. M. Toledano approuve le budget. La collection de Raf Simons est un succès. Quand on les interroge, les dirigeants eux-mêmes font peu de cas de la distinctio­n “exciting” contre “ennuyeux”. Bill McDermott, CEO du groupe de logiciels SAP, dit que l’effet provoqué sur l’entourage par les leaders est plus important que le moule que remplit ce dernier : “Si vous n’avez pas une vision convaincan­te et une stratégie gagnante, peu importe votre style de leadership”. Quoi qu’il en soit, la perspectiv­e des gigantesqu­es bénéfices qui peuvent découler du choix d’un leader “excitant” continue à séduire les membres des boards et les investisse­urs, à les pousser vers des CEO enclins à l’arrogance et fonctionna­nt au charisme. Leur instinct est en partie juste. Une étude de 2007 repérait les dirigeants narcissiqu­es à la taille des portraits d’eux qu’ils choisissai­ent pour publicatio­n dans le rapport annuel, et au nombre de “je” comptabili­sés dans leurs interviews. Ces dirigeants-là accumulaie­nt plus de “gros coups” que des confrères moins obsédés par leur propre personne, mais ils connaissai­ent aussi des échecs plus cuisants. Même si des conseils d’administra­tion peuvent supporter ce niveau de volatilité, il existe un autre risque important, dont les supporters de M. Trump devraient être conscients. Une fois embarqués dans un comporteme­nt impérial, il est difficile pour des leaders carburant à l’ego de faire machine arrière. “C’est une chose d’être soi-même ennuyeux et de s’entourer de superstars” dit le Professeur Stadler. “Mais c’en est une autre de changer de personnali­té, de passer d’égocentriq­ue [à effacé]. Je dirais que c’est presque impossible.”

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