Le Nouvel Économiste

Faute de grives...

Pour sauver l’Union, il reste le chemin escarpé des grands projets

- JEAN-MICHEL LAMY

L’Europe technocrat­ique est morte, vive l’Europe politique. Finie l’excuse, “c’est la faute à Bruxelles” ! Voilà, en théorie, la bonne nouvelle : les gouvernant­s vont être obligés de prendre le contrôle des opérations et d’en assumer en direct la responsabi­lité. D’abord à court terme en cautérisan­t les multiples fractures de l’Union à vingt-sept – un rôle en or pour la stabilisat­rice en chef Angela Merkel. Ensuite en présentant leurs solutions d’avenir pour l’après-Brexit – un registre en or pour les leaders français qui ont un devoir de leadership européen.

Une nouvelle page

Mais peut-on encore croire au sauvetage de l’Union européenne ? Aujourd’hui celle-ci a besoin de dirigeants qui affrontent le réel et énoncent clairement ce qui constitue le fondement du vivreensem­ble européen, à savoir le partage de souveraine­té. Seule voie royale pour démontrer que 2 + 2 peut égalerg 5 ou 6, voire plus.p À cette aune hélas, lespréside­ntip ables français se défilent tous en faisant… silence. Ils préfèrent parler de constructi­ons hors-sol ! Alors, il reste le chemin escarpé que propose le nouveau directoire de l’Europe, le trio constitué de la chancelièr­e Angelag Merkel, du chef de l’État François Hollande, du président du Conseil italien Matteo Renzi. Ces trois dirigeants, le “MHR”, avaient l’air bien emprunté, ce 27 juin à Berlin, pour présenter leur très timide riposte. En résumé, des petits travaux que l’on espère voir grandir. François Hollande s’est contenté du vocable “nouvelle impulsion”. Seul Matteo Renzi a osé lancer : “le moment est propice pour écrire une nouvelle page”. Allons, c’est un début, il faut les encourager. Pour sauver l’Union de la dislocatio­n dans le sillage du Brexit, il faut en effet savoir penser à Vingt-Sept autour de projets concrets, si possible radicaleme­nt nouveaux, et apprendre ainsi à partager pour de vrai le pouvoir de décision. C’est possible sans toucher aux institutio­ns – le dada franco-français.

À chacun son référentie­l idéologiqu­e

De fait, la classe politique hexagonale veille jalousemen­t sur son référentie­l idéologiqu­e. Elle s’accroche à son “mieux-disant électoral habituel” qui consiste à projeter sur l’organisati­on européenne son propre programme. Antiaustér­ité pour les uns, condamnati­on de la bureaucrat­ie bruxellois­e pour les autres… En somme, la répétition de tout ce qui a abouti à l’impasse actuelle. Revue de détail. Le référendum a bien sûr les faveurs des euroscepti­ques. Marine Le Pen a salué “la victoire de la liberté” outre-Manche et réclame le même traitement pour la France pour “récupérer nos quatre souveraine­tés fondamenta­les, monétaires, budgétaire­s, territoria­les et législativ­es”. De son côté, Bruno Le Maire, LR, qui dans un premier temps proposait un référendum pour septembre 2017, a vite changé d’avis au vu de la confusion post-Brexit qui règne au Royaume-Uni. Sans commentair­e. La négociatio­n d’un nouveau traité a également ses adeptes. Nicolas Sarkozy en est. L’ancien Président a une vision très organisée du futur européen. Il entend regrouper les compétence­s autour d’une dizaine de priorités et plaide pour un Schengen 2 assis sur un gouverneme­nt des ministres de l’Intérieur chargé de surveiller une Europe des frontières. Qu’en disent nos partenaire­s ? Personne ne s’en soucie alors qu’un traité se conclut à l’unanimité. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il mettra à l’ordre du jour de sa campagne présidenti­elle “la sortie des traités européens, parce qu’ils rendent impossible toute discussion sérieuse sur la souffrance qu’endurent les peuples”. Soixante ans de vie communauta­ire seraient ainsi rayés de la carte. Du Brexit puissance mille.

La question centrale de l’après-Brexit

Deux anciens Premiers ministres sont plus mesurés. François Fillon admet que l’on peut modifier le fonctionne­ment de l’Union sans nouveau traité et reconnaît que l’on ne change pas le destin du continent européen en 48 heures. Il est le seul à s’engager à aller “dans chacune des capitales pour proposer une nouvelle Europe plus respectueu­se des nations”. Comme en écho, Alain Juppé s’interroge dans une interview au ‘Monde’ : “qui veut vraiment contrôler les frontières et est prêt à contribuer à un corps de gardes-frontières européen ?”. C’est poser la question centrale de l’après-Brexit, celle du pas supplément­aire vers l’intégratio­n qui va à rebours de l’injection, affichée partout, d’un supplément de “nation” dans la machine communauta­ire. Mis à part la référence rituelle au couple franco-allemand, c’est comme si les autres pays n’existaient pas ! Dans nombre d’autres capitales, ce tropisme est encore plus prégnant.

Les deux échappatoi­res

Comment, dans ces conditions, l’Union à vingt-sept va-t-elle maîtriser deux ans de négociatio­n avec un Royaume-Uni qui va faire monter les enchères sur son retrait ? Le risque de crispation puis de blocage est grand. Il y a tout de même deux échappatoi­res. La première s’appelle Europe à plusieurs vitesses. Le renforceme­nt de la zone euro en serait la plus belle illustrati­on. Il ne passe pas par des changement­s des textes mais par du partage de souveraine­té. On y revient ! La seconde échappatoi­re est celle du lancement de grands projets visibles et dispensés de complicati­ons institutio­nnelles. Oui, c’est faisable. C’est bien la voie qu’essaie d’emprunter le directoire “MHR” (Merkel-Hollande-Renzi). Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Schuman, explicite ainsi cette porte de sortie : “c’est surtout cela qui pêche au sein de l’Union, une vraie pratique politique européenne et un engagement­gg quotidien des États à régler en commun des questions très concrètes. Sans coopératio­n spontanée et permanente, les traités et les procédures ne sont que des contrainte­s”. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, qui partage cette approche, se défend de “tomber dans la dépression et l’inaction” et demande des réponses urgentes sur “les réfugiés, les migrations, la crise de l’emploi, la sécurité”. Ce qui rejoint cinq sur cinq la feuille de route du “MHR”. II appartiend­rapp ensuite aux 27 États de montrer leur ferme volonté d’agir ensemble sur ces thèmes. Il appartiend­ra également aux leaders politiques nationaux de laisser tomber, en France notamment, leurs ambitions de reconfigur­ation institutio­nnelle ou leurs envolées sur le rapport de force avec l’Allemagne. C’est sans doute beaucoup demander. Cette option réaliste n’est pourtant pas hors de prix dans la mesure où s’il s’agit d’obtenir de tous l’engagement très clair de résoudre les problèmes communs de l’Europe. Le slogan “Soyez réaliste, demandez l’impossible” redevient d’actualité.

“C’est surtout cela qui pêche au sein de l’Union, une vraie pratique politique européenne et un engagement­gg qquotidien des États à régler en commun des questions

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