Le Nouvel Économiste

Comment César est devenu César

En ces temps de primaires et de candidats au poste suprême, p, lisez avant de vous présenter notre série d’été en 12 épisodes : “La vie des douze Césars” par Suétone. Épisode 1 : César, le vrai.

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“On voit donc unis dans notre famille et la majesté des rois, qui sont les maîtres des hommes, et la sainteté des dieux, qui sont les maîtres des rois”

1 Jeunesse de César. Il est proscrit par Sylla

César avait seize ans lorsqu’il perdit son père. L’année suivante, il fut désigné flamine de Jupiter ; et quoiqu’on l’eût fiancé, dès son enfance, à Cossutia, d’une simple famille équestre, mais fort riche, il la répudia, pour épouser Cornélie, fille de Cinna, lequel avait été quatre fois consul. Il en eut bientôt une fille, nommée Julie. Le dictateur Sylla voulut le contraindr­e à la répudier, et, ne pouvant y réussir par aucun moyen, le priva du sacerdoce, de la dot de sa femme, de quelques succession­s de famille, et le regarda dès lors comme son ennemi. César fut même réduit à se cacher, et, quoique atteint de la fièvre quarte, à changer presque toutes les nuits de retraite, et à se racheter, à prix d’argent, des mains de ceux qui le poursuivai­ent. Il fallut que lesVestale­s, et Mamercus Aemilius avec Aurelius Cotta, ses parents et ses alliés se réunissent pour obtenir son pardon. Il est bien établi que Sylla le refusa longtemps aux prières de ses meilleurs amis et des hommes les plus éminents, et que, vaincu par leur persévéran­ce, il s’écria, par une inspiratio­n divine ou par un secret pressentim­ent de l’avenir: “Eh bien, vous l’emportez, soyez satisfaits; mais sachez que celui dont la vie vous est si chère écrasera un jour le parti de la noblesse, que nous avons défendu ensemble ; car il y a dans César plus d’un Marius.”

2 Ses premières campagnes. Son commerce avec Nicomède

César fit ses premières armes en Asie, où l’avait emmené le préteur Marcus Thermus. Chargé par lui d’aller chercher une flotte en Bithynie, il s’arrêta chez le roi Nicomède,à qui on le soupçonna de s’être prostitué. Ce qui confirma ce bruit, c’est qu’on le vit, peu de jours après, retourner en Bithynie, sous prétexte de faire payer une certaine somme, due à un affranchi, son client. Le reste de la campagne fut plus favorable à sa réputation; et, à la prise de Mytilène, il reçut de Thermus une couronne civique.

3 Son retour subit à Rome

Il servit aussi en Cilicie, sous Servilius Isauricus, mais pendant peu de temps ; car, à la nouvelle de la mort de Sylla, et sur les espérances qu’il conçut des nouveaux troubles provoqués par Marcus Lepidus, il se hâta de revenir à Rome. Toutefois, il ne voulut pas entrer dans ses projets, quelques avantages qui lui fussent offerts ; le caractère de Lépide ne lui inspirait pas de confiance, et l’occasion lui semblait moins belle qu’il ne l’avait cru.

4 Son accusation contre Dolabella. Il va étudier à Rhodes. Il est pris par des pirates. Ses succès contre Mithridate

Ces troubles apaisés, il accusa de concussion Cornelius Dolabella, qui avait été honoré du consulat et du triomphe. L’accusé fut absous, et César résolut de se retirer à Rhodes, tant pour se dérober aux ennemis qu’il s’était faits, que pour y consacrer ses loisirs aux leçons d’Apollonius Molon, le plus célèbre rhéteur de ce temps-là. Dans ce trajet, exécuté pendant l’hiver, il fut pris par les pirates, à la hauteur de l’île Pharmacuse ; et, non sans la plus vive indignatio­n, il resta leur

prisonnier l’espace d’environ quarante jours, n’ayant près de lui qu’un médecin et deux esclaves du service de sa chambre ; car il avait dépêché sur le champ ses compagnons et ses autres esclaves, pour lui rapporter l’argent nécessaire à sa rançon. Il la paya cinquante talents, et, à peine débarqué sur le rivage, il poursuivit, à la tête d’une flotte, les pirates qui s’en retournaie­nt, les réduisit en son pouvoir, et les punit du supplice dont il les avait souvent menacés comme en plaisantan­t. Mithridate ravageait alors les pays voisins ; César ne voulut pas paraître indifféren­t au malheur des alliés : de Rhodes, où il s’était rendu, il passa en Asie, leva des troupes auxiliaire­s, chassa de la province le lieutenant de ce roi, et retint dans le devoir les peuples dont la foi était ébranlée et douteuse.

5 Il est fait tribun des soldats

Revenu à Rome, la première magistratu­re qu’il obtint par les suffrages du peuple fut celle de tribun militaire. On le vit alors aider de tout son pouvoir ceux qui voulaient rétablir la puissance tribunitie­nne, dont Sylla avait beaucoup retranché. Il fit aussi servir la propositio­n Plotia au rappel de L. Cinna, frère de sa femme, et de tous ceux qui, dans les troubles civils, s’étaient attachés à Lépide, et qui, après la mort de ce consul, s’étaient réfugiés auprès de Sertorius: il prononça même un discours à ce sujet.

6 Il est nommé questeur. Son origine

Étant questeur, il fit, à la tribune aux harangues et selon l’usage reçu, l’éloge de sa tante Julie et de sa femme Cornélie, qui venaient de mourir. Dans le premier, il établit ainsi la double origine de sa tante et celle de son propre père : “Par sa mère, ma tante Julie est issue des rois ; par son père, elle se rattache aux dieux immortels. En effet, d’Ancus Marcius descendaie­nt les Marcius Rex, dont le nom fut celui de sa mère; deVénus descendent les Jules, dont la race est la nôtre. On voit donc unis dans notre famille et la majesté des rois, qui sont les maîtres des hommes, et la sainteté des dieux, qui sont les maîtres des rois.” Pour remplacer Cornélie, il épousa Pompeia, fille de Q. Pompée et petite-fille de L. Sylla ; mais, dans la suite, il divorça d’avec elle, sur le soupçon d’un commerce adultère avec Publius Clodius, si publiqueme­nt accusé de s’être introduit chez elle sous un costume de femme, pendant une fête religieuse, que le sénat dut ordonner une enquête pour sacrilège.

7 Sa questure en Espagne. La statue d’Alexandre

Pendant sa questure, l’Espagne ultérieure lui échut en partage. En visitant les assemblées de cette province, pour y rendre la justice par délégation du préteur, il alla jusqu’à la ville de Gadès; c’est là que voyant, près d’un temple d’Hercule, la statue du grand Alexandre, il poussa un profond soupir, comme pour déplorer son inaction : et, se reprochant de n’avoir encore rien fait de mémorable à un âge où Alexandre avait déjà conquis l’univers, il demanda incontinen­t son congé, afin de venir à Rome pour saisir le plus tôt possible les occasions de se signaler. (2) Les devins élevèrent encore ses espérances, en interpréta­nt un songe qu’il avait eu la nuit précédente, et qui lui troublait l’esprit ; car il avait rêvé qu’il violait sa mère. Ils déclarèren­t que ce songe lui annonçait l’empire du monde, “cette mère qu’il avait vue soumise à lui n’étant autre que la terre, notre mère commune.” Étant donc parti avant le temps, il visita les colonies latines, qui nourrissai­ent des prétention­s au droit de cité romaine ; et il les aurait poussées à quelque audacieuse entreprise, si, dans cette crainte même, les consuls n’avaient retenu quelque temps les légions destinées pour la Cilicie.

9 Il entre dans plusieurs conjuratio­ns qui avortent

Il n’en médita pas moins bientôt à Rome de plus grands projets. On dit, en effet, que, peu de jours avant de prendre possession de l’édilité, il entra dans une conspirati­on avec le consulaire Marcus Crassus, et avec Publius Sylla et L. Autronius, condamnés tous deux pour brigue, après avoir été désignés consuls. Ils devaient attaquer le sénat au commenceme­nt de l’année, en égorger une partie, donner la dictature à Crassus, qui aurait eu César pour maître de la cavalerie ; et, après s’être ainsi emparés du gouverneme­nt, rendre à Sylla et à Autronius le consulat qu’on leur avait ôté. Tanusius Geminus dans son histoire, Marcus Bibulus dans ses édits, et C. Curion, le père, dans ses discours, parlent de cette conjuratio­n. Cicéron lui-même paraît y faire allusion dans une lettre à Axius, où il dit que “César effectua, pendant son consulat, le projet de domination qu’il avait conçu étant édile.” Tanusius ajoute que Crassus, soit peur, soit repentir, ne se montra pas le jour marqué pour le meurtre, et que, pour cette raison, César ne donna point le signal convenu, qui était, à ce que rapporte Curion, de laisser tomber sa toge de son épaule. Le même Curion et M.Actorius Nason lui imputent encore une autre conspirati­on avec le jeune Gnaeus Pison, et prétendent que c’est sur le soupçon des menées de ce Pison dans Rome, qu’on lui donna, à titre extraordin­aire, le gouverneme­nt de l’Espagne ; que néanmoins ils convinrent de provoquer ensemble une révolution, l’un au dehors, l’autre à Rome, et d’agir au moyen des Ambrones et des peuples qui sont au-delà du Pô; mais que la mort de Pison fit avorter leurs projets.

10 Son édilité. Ses munificenc­es

Édile, César ne se borna pas à orner le comitium, le forum, et les basiliques ; il orna aussi le Capitole, et y fit élever, pour le temps d’une exposition, des portiques provisoire­s où il étala aux yeux du peuple une partie des nombreuses collection­s d’oeuvres d’art qu’il avait rassemblée­s. Il donna des jeux et des combats de bêtes, tantôt avec son collègue et tantôt en son propre nom ; ce qui fit que la popularité ne s’attacha qu’à lui pour des dépenses faites en commun. Aussi son collègue, Marcus Bibulus, disait-il, en se comparant à Pollux, “que comme on avait coutume d’appeler du seul nom de Castor le temple érigé dans le forum aux deux frères, on appelait magnificen­ce de César les prodigalit­és de César et de Bibulus.” César joignit à ces prodigalit­és un combat de gladiateur­s; mais il y en eut quelques couples de moins qu’il ne le voulait ; car il en avait fait venir de toutes parts une si grande multitude, que ses ennemis, épouvantés, firent restreindr­e, par une loi expresse, le nombre des gladiateur­s qui pourraient à l’avenir entrer dans Rome.

11 Il demande un commandeme­nt extraordin­aire et se venge du refus des grands

S’étant concilié la faveur du peuple, il essaya, par le crédit de quelques tribuns, de se faire donner le ggouvernem­ent de l’Égypte, en vertu d’un plébiscite. Cette demande inopinée d’un gouverneme­nt extraordin­aire était fondée sur ce que les habitants d’Alexandrie avaient chassé leur roi, ami et allié du peuple romain, conduite généraleme­nt blâmée à Rome. L’opposition des optimates fit échouer les prétention­s de César, qui, pour affaiblir à son tour leur autorité par tous les moyens possibles, releva les trophées de Gaius Marius sur Jugurtha, sur les Cimbres et sur les Teutons, monuments autrefois renversés par Sylla; et quand on informa contre les sicaires, il fit ranger parmi ces meurtriers, malgré les exceptions de la loi Cornélie, ceux qui, pendant la proscripti­on, avaient reçu de l’argent du trésor public pour prix des têtes des citoyens romains.

12 Il fait accuser Rabirius et le condamne

Il suscita aussi un accusateur, pour haute trahison, contre Gaius Rabirius, qui, quelques années auparavant, avait plus que personne aidé le sénat à comprimer les séditieuse­s entreprise­s du tribun Lucius Saturninus. Désigné par le sort pour être un des juges de l’accusé, il le condamna avec tant de passion, que, devant le peuple, rien ne fut aussi utile à l’appelant que la partialité de son juge.

13 Il est nommé souverain pontife. Ses profusions et ses dettes

Déçu de l’espérance d’un commandeme­nt, César brigua le souverain pontificat, et répandit l’argent avec une telle profusion, qu’effrayé luimême de l’énormité de ses dettes, il dit à sa mère, en l’embrassant avant de se rendre aux comices, qu’il ne rentrerait pas chez lui, sinon comme pontife. Il l’emporta sur deux compétiteu­rs bien redoutable­s, bien supérieurs à lui par l’âge et par la dignité ; et il eut même sur eux cet avantage, de réunir plus de suffrages dans leurs propres tribus, qu’ils n’en eurent ensemble dans toutes les autres.

14 Sa préture. Son opinion dans le jugement des complices de Catalina

César était préteur quand on découvrit la conjuratio­n de Catilina. La mort des coupables avait été résolue dans le sénat, d’une voix unanime : lui seul opina pour qu’ils fussent détenus séparément dans des villes municipale­s, et que leurs biens fussent vendus. Bien plus ; ceux qui avaient proposé une peine plus sévère, il les effraya tellement par la menace réitérée des haines populaires qui, un jour, se déchaînera­ient contre eux, que Décimus Silanus, consul désigné, ne craignit pas d’adoucir, par une interpréta­tion, son avis, dont il ne pouvait changer sans honte, et qu’on avait compris, dit-il alors, dans un sens plus rigoureux qu’il ne l’avait voulu. César allait l’emporter : déjà même un grand nombre de sénateurs étaient passés de son côté, entre autres Cicéron, le frère du consul ; c’en était fait, si le discours de M. Caton n’eût raffermi le sénat intimidé. (4) César, loin de renoncer à son opposition, y mit une telle persistanc­e, qu’une troupe de chevaliers romains, qui gardait armée la salle du sénat,menaça de lui donner la mort : des glaives nus furent même dirigés contre lui, en sorte que ses voisins se reculèrent ; quelques-uns seulement, le tenant dans leurs bras et le couvrant de leurs toges, réussirent, non sans peine, à le sauver. (5) Alors, saisi d’effroi, il céda ; et, de tout le reste de l’année, il ne parut plus au sénat.

15 Il veut enlever à Q. Catulus le droit de faire la dédicace du Capitole

Le premier jour de sa préture, il cita devant le peuple Q. Catulus, aux fins d’enquête sur la reconstruc­tion du Capitole; et il proposa d’en confier le soin à un autre. Mais voyant que les optimates, au lieu d’aller rendre leurs devoirs aux nouveaux consuls, accouraien­t en foule à l’assemblée pour lui opposer une résistance opiniâtre, et jugeant la lutte inégale, il abandonna cette poursuite.

“que comme on avait coutume d’appeler du seul nom de Castor le temple érigé dans le forum aux deux frères, on appelait magnificen­ce de César les prodigalit­és de César et de Bibulus.”

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