Le Nouvel Économiste

Martin Wolf

Une démonstrat­ion imparable en faveur de la dépénalisa­tion des stupéfiant­s

- MARTIN WOLF, FT

Nous devrions décriminal­iser la possession et l’utilisatio­n personnell­es des stupéfiant­s interdits tout en continuant à poursuivre les fournisseu­rs illégaux. Voilà ce que conclut la Société royale pour la santé publique en Grande-Bretagne dans un rapport qui porte à réfléchir sur les résultats destructeu­rs de nos politiques hystérique­s sur les stupéfiant­s. Les arguments présentés pour le changement sont imparables. La dépénalisa­tion est la propositio­n accrocheus­e. Mais il découle logiquemen­t de cette propositio­n que les stupéfiant­s ne sont en fait un problème de droit et d’ordre public que dans la mesure où nous en avons décidé ainsi, et qu’en réalité, ils sont plutôt un problème de santé publique. L’objectif des politiques devrait être la réduction des méfaits sur leurs utilisateu­rs et la société en général. Selon ce rapport, c’est la raison pour laquelle la responsabi­lité principale doit être transférée du système de justice au système de santé, et ainsi du Home Office au ministère de la Santé. Cela permettrai­t d’aligner la gestion de la consommati­on des stupéfiant­s sur les stratégies des produits légaux dangereux : l’alcool et le tabac. Cela renforcera­it également l’attention portée au traitement des toxicomani­es. D’autres propositio­ns visent à rendre obligatoir­e dans les écoles une éducation factuelle aux stupéfiant­s et à remplacer le classement actuel des médicament­s par un classement basé sur des preuves de nocivité.

Tout ceci devrait être du bon sens. L’utilisatio­n de stupéfiant­s est une caractéris­tique universell­e des sociétés humaines. C’est également un fait que la consommati­on importante de stupéfiant­s légaux cause d’immenses dégâts. L’alcool (39 millions de consommate­urs réguliers au Royaume-Uni) est celui dont les conséquenc­es sont les plus néfastes. Le tabac (9 millions de fumeurs) “reste la principale cause de maladies évitables et de décès prématurés au Royaume-Uni, faisant chaque année plus de victimes que les cinq autres causes de décès évitables réunies”. Ces deux stupéfiant­s coûtent également à la société beaucoup plus que tous ceux de la classe A (les plus dangereux) réunis. La classifica­tion des stupéfiant­s en substances légales et interdites est, en termes de dégâts, arbitraire. Cela ne signifie pas qu’il faut prohiber l’alcool ou le tabac. Au contraire, interdire une substance est nocif : par exemple, chaque année, le Royaume-Uni dépense plus de 4 milliards de livres pour faire appliquer les lois sur les substances illicites. Les plus gros dégâts sont imputables à l’héroïne et au crack par leur contributi­on à la criminalit­é. C’est ainsi, parce qu’ils sont illégaux.

Les coûts de l’interdicti­on des drogues vont bien au-delà. Il existe, par exemple, “un nombre concordant de preuves que les sanctions pénales ne sont pas efficaces” pour dissuader les utilisateu­rs de substances interdites. En revanche, l’impact de la prison sur les usagers de drogues est extrêmemen­t préjudicia­ble, en particulie­r sur les jeunes. Une enquête récente a conclu que les peines de prison ont des conséquenc­es négatives sur le développem­ent des jeunes, distendent les liens avec leur famille et leur communauté, les traumatise­nt et les exposent à la violence des gangs. Il existe aussi des preuves troublante­s que l’applicatio­n des lois sur les stupéfiant­s est sujette aux préjugés raciaux : l’usage de stupéfiant­s interdits est plus faible chez les Noirs et les groupes ethniques minoritair­es que dans la population blanche, “pourtant les Noirs sont six fois plus arrêtés et fouillés pour les drogues”. Concrèteme­nt, les gens n’osent pas chercher de l’aide parce que l’usage de drogues est illégal : une enquête a révélé “qu’un jeune sur cinq ne demande pas d’aide par crainte que cela ne soit inscrit au casier judiciaire”. Sans soutien, les utilisateu­rs non seulement ont recours à la criminalit­é, mais sont poussés vers la prostituti­on.

La meilleure solution serait plutôt de maîtriser les conséquenc­es sur les utilisateu­rs et la société. Le rapport note l’exemple du Portugal, qui en 2001 a pris la décision audacieuse de supprimer les sanctions pénales de la possession personnell­e et s’est tourné vers la réduction des risques et la promotion de la santé. Ce qui a entraîné une baisse de 80 % des décès dus aux stupéfiant­s dès 2012, une baisse de 94 % des nouveaux cas de VIH chez ceux qui s’injectent des drogues et une réduction des cas d’hépatite C et B. Au Portugal, la consommati­on de drogues est maintenant inférieure à la moyenne et aux coûts sociaux européens ; les coûts pour la santé et le système judiciaire ont notamment baissé de manière significat­ive.

Avec le matraquage hystérique des tabloïds, le Royaume-Uni a pris une direction opposée. Mais les dégâts sur la santé causés par la consommati­on de drogues sont en hausse, même si l’usage de stupéfiant­s interdits lui-même semble être en baisse. Cet écart est dû en partie à l’augmentati­on de l’utilisatio­n des drogues dangereuse­s. Pourtant, les nuisances sont plus importante­s que le nombre d’utilisateu­rs. Ces nuisances se concentren­t également sur les groupes vulnérable­s. Des ressources sont également gaspillées en sanctions au lieu d’aider les gens à “éviter, réduire et se remettre des conséquenc­es dues à l’utilisatio­n de drogues”. La guerre contre la drogue est une idée idiote. La force et la peur ne peuvent pas anéantir leur utilisatio­n. Raisonnabl­ement, la société cherche à gérer les coûts sociaux de l’alcool et du tabac en régulant leur approvisio­nnement. Cette approche est non seulement valable pour d’autres stupéfiant­s, mais elle est aussi la seule qui fait sens. La pénalisati­on est une terrible erreur. Pas parce que les stupéfiant­s sont inoffensif­s, mais plutôt parce qu’ils sont nuisibles. Maîtriser le mal et promouvoir la santé sont en effet la seule approche saine.

Raisonnabl­ement, la société cherche à gérer les coûts sociaux de l’alcool et du tabac en régulant leur approvisio­nnement. Cette approche est non seulement valable pour d’autres stupéfiant­s, mais elle est aussi la seule qui fait sens

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France