Le Nouvel Économiste

Linkedin/Microsoft

Les effets pervers de certains incentives

- JONATHAN FORD, FT

Vous possédez une belle entreprise – même si elle est en perte de vitesse –, un business model basé sur la vente de licences, et un bilan lamentable en matière de méga-acquisitio­ns. Que faitesvous si vous voulez maximiser vos retours sur investisse­ments ? Vous pourriez songer à réduire la voilure, vous consacrer à votre coeur de métier pour essayer d’en tirer le plus possible. Ce que vous ne devez pas faire, c’est trouver une entreprise en difficulté mais avec une évaluation boursière stratosphé­rique dans un secteur qui n’a à peu près rien à voir avec le vôtre, puis consacrer des dizaines de milliards de dollars pour l’acquérir, sans que l’on puisse comprendre immédiatem­ent le retour sur investisse­ment de tout ce cash. Auquel cas, vous n’êtes certaineme­nt pas Satya Nadella, car c’est cette dernière solution qui a été choisie par le CEO de Microsoft. La semaine dernière, il a lancé la troisième plus grosse acquisitio­n de l’histoire du secteur tech, en consacrant plus de 26 milliards de dollars à l’achat de LinkedIn, un réseau social profession­nel non profitable et qui tire le plus gros de ses revenus des annonces de recrutemen­t. C’est une décision étrange de la part de l’éditeur de logiciels le plus productif au monde. LinkedIn possède peut-être un réseau colossal, avec 430 millions d’utilisateu­rs enregistré­s. Mais on ne voit pas bien comment ce business va fusionner avec celui de Microsoft. Et encore moins comment M. Nadela peut l’utiliser pour garantir la croissance de son groupe à l’avenir. C’est vrai, on dit ici et là que les spécialist­es de la data de LinkedIn feront entrer leur nouveau propriétai­re dans des secteurs ‘hot’ comme l’apprentiss­age des machines et l’intelligen­ce artificiel­le. Le trésor de données que possède LinkedIn peut aider Microsoft à concevoir des produits qui aideront ses clients à gérer leur relation-client. Mais il est difficile d’entrevoir beaucoup de bénéfices tangibles en termes de revenus supplément­aires. C’est important car LinkedIn, en dépit de ses trois milliards de chiffre d’affaires, perd toujours plus de 150 millions de dollars par an. Alors, pourquoi M. Nadella a-t-il choisi de se lancer dans une aventure à l’issue aussi incertaine ? Certaineme­nt pas parce qu’il ignore les risques qu’entraînent les méga-acquisitio­ns. Après tout, c’est l’échec de Microsoft dans le rachat de la téléphonie mobile de Nokia, pour 7,2 milliards de dollars, qui a décidé les actionnair­es à se débarrasse­r de Steve Ballmer et à donner sa chance à M. Nadella. Il ne peut pas non plus ne pas avoir vu la nécessité de s’occuper des licences Microsoft, son métier de base parvenu à maturité, toujours très profitable, et comment faire pour qu’il le reste. Pour se faire une idée de l’importance de cette activité, il faut simplement noter que durant les seules deux dernières années, sa marge opérationn­elle a augmenté de 3,7 milliards de dollars – beaucoup plus que le chiffre d’affaires total de LinkedIn en 2015. M. Nadella est conscient de tout cela, mais d’autres tentations l’emmènent aussi dans la direction opposée. En l’occurrence, le très confortabl­e bonus en actions que les investisse­urs lui ont accordé. Le package de M. Nadella pourrait lui permettre in fine de disposer d’un magot compris entre 1,3 et 4 millions d’actions durant ces cinq prochaines années. Ce qu’il touchera au bout du compte dépend en partie des résultats opérationn­els, mais surtout de la valeur des actions de Microsoft, si elles dépassent certains objectifs alignés sur l’indice S&P 500 entre 2016 et 2021. Si tel est le cas, il pourrait partir avec un paquet d’actions qui valent plus de 200 millions de dollars au cours actuel de l’action. En principe, naturellem­ent, ces incentives ne doivent pas empêcher M. Nadella de maximiser de la branche des licences Microsoft. En pratique, cependant, ils vont le pousser à trouver une stratégie d’investisse­ment à court terme qui poussera les investisse­urs à faire grimper le cours des actions de Microsoft. Ce qui signifie détourner une partie des cash-flows au profit d’acquisitio­ns spectacula­ires comme LinkedIn, ou dans des aventures excitantes mais très incertaine­s, comme le projet de réalité augmenté Hololens. M. Nadella n’est pas le seul patron d’un groupe tech à céder à ce genre de tentation. Prenez Yahoo, par exemple. Sous Marissa Mayer, le portail Internet a dépensé des milliards en acquisitio­ns et innovation­s, dans le but de faire exploser le cours de son action. Yahoo s’en serait pourtant mieux tiré en s’épargnant ces dépenses et en augmentant les revenus de son moteur de recherche, qui même s’il n’était plus en croissance, produisait toujours quatre milliards de dollars de revenus chaque année. Les investisse­urs devraient davantage réfléchir aux messages qu’envoient les “packages d’incentives” aux dirigeants. Dans le cas de Microsoft, ils semblent faits tout exprès pour pousser M. Nadella à se comporter comme s’il dirigeait un Apple ou un Facebook, des groupes à la pointe de l’innovation pour la tech grand public. Alors que Microsoft a davantage de points communs avec HJ Heinz, propriétai­re d’un portefeuil­le de vieilles marques familières et extrêmemen­t rentables. Trouver le bon incentive pour l’opérationn­el sera peut-être le prochain défi des investisse­urs dans le secteur tech, qui devient rapidement mature. Ce qui pourrait signifier choisir des patrons qui raisonnent plus comme Warren Buffett, et moins comme Steve Jobs.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France