Frexit qui rit, Frexit qui pleure
La sortie de la France de l’UE reste dissuasive, quoiqu’en pense le Front National
C’est parti. Suite au vote britannique, les médias vont multiplier les sondages pour ou contre la sortie de la France de l’Union européenne. C’est la première victoire de la candidate Marine Le Pen : avec constance, “1 000 sondés” vont installer au coeur du débat public son sujet favori. En revanche, la répétition outreManche, grandeur nature, de ce que veut le FN pour la France n’a pas que des avantages...
C’est parti. Suite au vote britannique, les médias vont multiplier les sondages pour ou contre la sortie de la France de l’Union européenne. C’est la première victoire de la candidate Marine Le Pen : avec constance, “1 000 sondés” vont installer au coeur du débat public son sujet favori. En revanche, la répétition outreManche, grandeur nature, de ce que veut le FN pour la France n’a pas que des avantages. Ça tangue tellement que c’est à ce jour un contre-exemple. Attention toutefois, la préférence européenne n’est pas dispensée d’apporter la preuve de ses vertus. En mai 2017, les électeurs de la présidentielle demanderont à voir !
L’argumentaire du Front National
Le coup de pied des Anglais au système bruxellois conforte en apparence les thèses du Front national. La surprise passée, ses leaders s’en sont donnés à coeur joie avec un vocabulaire digne de la Libération de Paris. Marine Le Pen : “victoire de la liberté ! Comme je le réclame depuis des années, il faut maintenant le même référendum en France et dans le pays de l’UE”. Florian Philippot : “ce qu’on nous présentait hier comme impossible est désormais devenu possible”. Marion Maréchal-Le Pen : “les Français doivent avoir le droit de choisir”. Pourquoi le cacher en effet, les raisons du rejet par le RoyaumeUni de l’Union à vingt-huit pays valident, électoralement parlant, l’argumentaire lancinant du FN. Le pprojetj européenp a été pperçuç comme un tueur d’État-nation qui menace l’identité d’un pays par l’obligation d’accueillir des vagues d’immigrés – en l’occurrence majoritairement des “intra-européens” venant de l’Est. Il est également perçu comme un tueur de démocratie à cause de directives imposées “d’en haut” ppar Bruxelles. À ce double procès s’ajoute la crainte d’un élargissementg continu de l’Union à des États de plus en plus pauvres des Balkans, voire à l’Ukraine ou à la Turquie – lancée dans un processus d’adhésion à très long terme certes. La tendance de fond du vote des peuples européens est bien à ce “non à l’Union politique” que les Britanniques ont spectaculairement brandi. Du coup, ceux-ci font face à une cascade de désordres : on n’ébranle pas un ordre institutionnel sans conséquences. Chacun mesure que l’unité du Royaume est devenue incertaine. Chacun découvre que le bénéfice du libre accès au marché intérieur de l’UE s’accompagne de la libre circulation des personnes – sinon c’est le hors-jeu. Chacun se rend compte que la récession menace. Chacun redoute que la City perde sa prééminence et que les sièges des entreprises quittent l’Angleterre. Conscient de cette contre-publicité dissuasive pour la “sortie”, le FN a aussitôt allumé des contre-feux ppour éviter un troppggrand flou. À l’Élysée, Marine Le Pen engagerait “dans les six mois un référendum” sur la sortie de l’Union et de l’espace Schengen. Ce délai, précise-ton, sera mis à profit pour négocier à Bruxelles – notamment le retour à la maîtrise des frontières et à la souveraineté monétaire. Il ne faut pas brusquer l’électeur ! En toute logique, la suite est à l’abandon de l’euro. Comme l’arrêt de mort de la monnaie unique effraie bon nombre de sympathisants, davantage attirés par le discours sur l’immigration, le stratégiste économique du parti, Bernard Monot, plaide pour l’aménagement de sas de décompression. Le retour au franc s’accompagnerait ainsi “d’un euro commercial” pour les échanges internationaux. Mais une telle complication est-elle rassurante ? Pour sa part, la présidente du FN, prudente, n’ajustera les détails de son pprogrammeg qqu’en début d’année 2017. À cette date, on saura où mène un Brexit mal préparé : ou bien l’Angleterre (“qui n’a jamais autant déraillé”, selon ‘The Economist’) aura récupéré, ou bien elle sera toujours à la dérive. C’est un enjeu majeur pour le FN. Il l’est tout autant pour le système bruxellois qui devra s’attacher à ancrer les Britanniques au continent par tout un réseau de passerelles, en contrepartie d’une ferme exigence de fair-play. L’option “punition” serait une bêtise stratégique que les populistes retourneraient à leur profit.
Les trois leviers des anti-Frexit
En fait, la “solution” du FN se combat d’abord par la conviction politique. Quels sont les leviers des forces anti-sortie de la France de l’Union ? Le premier est d’ordre technique. Cela renvoie, par exemple, au travail de Maël de Calan, un proche d’Alain Juppé, qui démontre pourquoi la politique européenne du FN conduirait tout droit à la guerre commerciale, et comment la sortie de l’euro ruinerait les épargnants et provoquerait la fuite des capitaux. Cela renvoie également à l’analyse de Patrick Artus, économiste à Natixis : “le Brexit est vraiment une mauvaise idée pour le RoyaumeUni”. Entre autres parce que l’immigration a fortement soutenu la croissance potentielle, et parce que le recul des investissements des non-résidents va rendre difficile le financement des déficits extérieurs et budgétaires. Toute ressemblance avec la France ne serait que fortuite… Le deuxième levier relève de la pratique communautaire. Un domaine où, depuis le Brexit, la classe politique française fait preuve d’une imagination débordante. Tel veut un traité, tel autre une Conférence de Messine. Dernière trouvaille, celle d’Emmanuel Macron, le ministre de l’Économie, qui veut un référendum sur l’Europe dans tous les pays de l’Union. Doutant que la simple coordination suffise, il milite pour plus d’intégration fiscale et sociale dans la zone euro (c’était aux Rencontres économiques d’Aix en Provence). Fort bien. Mais changer les institutions ne réglera rien. Le troisième levier prend appui sur la croissance. Mieux le PIB se portera, plus vite la tentation du “Frexit” reculera. Si l’Union apparaît sur ce chemin comme une alliée, c’est gagné. Actuellement, on assiste à tout le contraire : l’image de l’Europe reste associée à l’austérité et à l’absence de protection. C’est ce courant qu’il faut inverser en redonnant du lustre à une régulation modulée selon les pays. L’ouverture des marchés à l’intérieur de l’espace européen doit s’arrêter là où commence le dumping social dévastateur. Difficile à définir certes, mais un magnifique défi… politique à relever.