Le Nouvel Économiste

Frexit qui rit, Frexit qui pleure

La sortie de la France de l’UE reste dissuasive, quoiqu’en pense le Front National

- JEAN-MICHEL LAMY

C’est parti. Suite au vote britanniqu­e, les médias vont multiplier les sondages pour ou contre la sortie de la France de l’Union européenne. C’est la première victoire de la candidate Marine Le Pen : avec constance, “1 000 sondés” vont installer au coeur du débat public son sujet favori. En revanche, la répétition outreManch­e, grandeur nature, de ce que veut le FN pour la France n’a pas que des avantages...

C’est parti. Suite au vote britanniqu­e, les médias vont multiplier les sondages pour ou contre la sortie de la France de l’Union européenne. C’est la première victoire de la candidate Marine Le Pen : avec constance, “1 000 sondés” vont installer au coeur du débat public son sujet favori. En revanche, la répétition outreManch­e, grandeur nature, de ce que veut le FN pour la France n’a pas que des avantages. Ça tangue tellement que c’est à ce jour un contre-exemple. Attention toutefois, la préférence européenne n’est pas dispensée d’apporter la preuve de ses vertus. En mai 2017, les électeurs de la présidenti­elle demanderon­t à voir !

L’argumentai­re du Front National

Le coup de pied des Anglais au système bruxellois conforte en apparence les thèses du Front national. La surprise passée, ses leaders s’en sont donnés à coeur joie avec un vocabulair­e digne de la Libération de Paris. Marine Le Pen : “victoire de la liberté ! Comme je le réclame depuis des années, il faut maintenant le même référendum en France et dans le pays de l’UE”. Florian Philippot : “ce qu’on nous présentait hier comme impossible est désormais devenu possible”. Marion Maréchal-Le Pen : “les Français doivent avoir le droit de choisir”. Pourquoi le cacher en effet, les raisons du rejet par le RoyaumeUni de l’Union à vingt-huit pays valident, électorale­ment parlant, l’argumentai­re lancinant du FN. Le pprojetj européenp a été pperçuç comme un tueur d’État-nation qui menace l’identité d’un pays par l’obligation d’accueillir des vagues d’immigrés – en l’occurrence majoritair­ement des “intra-européens” venant de l’Est. Il est également perçu comme un tueur de démocratie à cause de directives imposées “d’en haut” ppar Bruxelles. À ce double procès s’ajoute la crainte d’un élargissem­entg continu de l’Union à des États de plus en plus pauvres des Balkans, voire à l’Ukraine ou à la Turquie – lancée dans un processus d’adhésion à très long terme certes. La tendance de fond du vote des peuples européens est bien à ce “non à l’Union politique” que les Britanniqu­es ont spectacula­irement brandi. Du coup, ceux-ci font face à une cascade de désordres : on n’ébranle pas un ordre institutio­nnel sans conséquenc­es. Chacun mesure que l’unité du Royaume est devenue incertaine. Chacun découvre que le bénéfice du libre accès au marché intérieur de l’UE s’accompagne de la libre circulatio­n des personnes – sinon c’est le hors-jeu. Chacun se rend compte que la récession menace. Chacun redoute que la City perde sa prééminenc­e et que les sièges des entreprise­s quittent l’Angleterre. Conscient de cette contre-publicité dissuasive pour la “sortie”, le FN a aussitôt allumé des contre-feux ppour éviter un troppggran­d flou. À l’Élysée, Marine Le Pen engagerait “dans les six mois un référendum” sur la sortie de l’Union et de l’espace Schengen. Ce délai, précise-ton, sera mis à profit pour négocier à Bruxelles – notamment le retour à la maîtrise des frontières et à la souveraine­té monétaire. Il ne faut pas brusquer l’électeur ! En toute logique, la suite est à l’abandon de l’euro. Comme l’arrêt de mort de la monnaie unique effraie bon nombre de sympathisa­nts, davantage attirés par le discours sur l’immigratio­n, le stratégist­e économique du parti, Bernard Monot, plaide pour l’aménagemen­t de sas de décompress­ion. Le retour au franc s’accompagne­rait ainsi “d’un euro commercial” pour les échanges internatio­naux. Mais une telle complicati­on est-elle rassurante ? Pour sa part, la présidente du FN, prudente, n’ajustera les détails de son pprogramme­g qqu’en début d’année 2017. À cette date, on saura où mène un Brexit mal préparé : ou bien l’Angleterre (“qui n’a jamais autant déraillé”, selon ‘The Economist’) aura récupéré, ou bien elle sera toujours à la dérive. C’est un enjeu majeur pour le FN. Il l’est tout autant pour le système bruxellois qui devra s’attacher à ancrer les Britanniqu­es au continent par tout un réseau de passerelle­s, en contrepart­ie d’une ferme exigence de fair-play. L’option “punition” serait une bêtise stratégiqu­e que les populistes retournera­ient à leur profit.

Les trois leviers des anti-Frexit

En fait, la “solution” du FN se combat d’abord par la conviction politique. Quels sont les leviers des forces anti-sortie de la France de l’Union ? Le premier est d’ordre technique. Cela renvoie, par exemple, au travail de Maël de Calan, un proche d’Alain Juppé, qui démontre pourquoi la politique européenne du FN conduirait tout droit à la guerre commercial­e, et comment la sortie de l’euro ruinerait les épargnants et provoquera­it la fuite des capitaux. Cela renvoie également à l’analyse de Patrick Artus, économiste à Natixis : “le Brexit est vraiment une mauvaise idée pour le RoyaumeUni”. Entre autres parce que l’immigratio­n a fortement soutenu la croissance potentiell­e, et parce que le recul des investisse­ments des non-résidents va rendre difficile le financemen­t des déficits extérieurs et budgétaire­s. Toute ressemblan­ce avec la France ne serait que fortuite… Le deuxième levier relève de la pratique communauta­ire. Un domaine où, depuis le Brexit, la classe politique française fait preuve d’une imaginatio­n débordante. Tel veut un traité, tel autre une Conférence de Messine. Dernière trouvaille, celle d’Emmanuel Macron, le ministre de l’Économie, qui veut un référendum sur l’Europe dans tous les pays de l’Union. Doutant que la simple coordinati­on suffise, il milite pour plus d’intégratio­n fiscale et sociale dans la zone euro (c’était aux Rencontres économique­s d’Aix en Provence). Fort bien. Mais changer les institutio­ns ne réglera rien. Le troisième levier prend appui sur la croissance. Mieux le PIB se portera, plus vite la tentation du “Frexit” reculera. Si l’Union apparaît sur ce chemin comme une alliée, c’est gagné. Actuelleme­nt, on assiste à tout le contraire : l’image de l’Europe reste associée à l’austérité et à l’absence de protection. C’est ce courant qu’il faut inverser en redonnant du lustre à une régulation modulée selon les pays. L’ouverture des marchés à l’intérieur de l’espace européen doit s’arrêter là où commence le dumping social dévastateu­r. Difficile à définir certes, mais un magnifique défi… politique à relever.

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