Le Nouvel Économiste

Maison blanche 2016

Le Brexit, un cadeau aux conservate­urs américains

- EDWARD LUCE, FT

Écoutez. Entendez-vous rugir le lion britanniqu­e ? Les gens vivant de ce côté de l’Atlantique peuvent avoir du mal à supporter le vacarme produit par le résultat choc de jeudi 23 jjuin. Mais dans certaines zones desÉtatsj Unis, il a été clairement entendu. Surtout chez les conservate­urs, le Royaume-Uni est devenu le roi instantané de la jungle. Aussi bien pour les partisans que pour les détracteur­s de Donald Trump, le Brexit est cet événement rare qui réveille le même instinct. Ce qui se passe à Bruxelles n’a pas besoin de rester à Bruxelles. Cela peut arriver à Washington aussi. Voilà pour l’effet de la démonstrat­ion britanniqu­e. Qu’en est-il de la réalité américaine ? Les parallèles entre la pprochaine élection aux États-Unis et le référendum au Royaume-Uni sont réels, surtout si vous êtes du côté donné perdant. Tout comme les tenants du Leave britanniqu­e, les républicai­ns sont en proie à des divisions, craignent de se faire voler leur campagne par des groupes extrémiste­s. Les organismes de paris misent très peu sur eux, et ils affrontent un adversaire de taille bénéfician­t d’une machinerie bien huilée. Le sort de M. Trump – et celui de nombreux républicai­ns en perte de vitesse – semble scellé. Seuls des imbéciles parieraien­t sur la présidence d’une telle personne. Pourquoi risquer autant pour une brève libération émotionnel­le ? La réponse n’est plus aussi assurée après le Brexit. Il était normal que, le vendredi suivant, M. Trump interrompe sa campagne pour aller visiter ses terrains de ggolf en Écosse et félicite les Britanniqu­es d’avoir “repris leur pays”. C’est, après tout, ce qu’il promet aux Américains. Mais il était un peu étrangeg de le voir observer sur Twitter que l’Écosse “était devenue ffolle (de jjoie)”) alors qque ppratiquem­ent deux tiers des Écossais se sont opposés au Brexit. Mais M. Trump a un talent pour voir les choses que d’autres ne voient pas. Par exemple sa base imaginaire d’électeurs hispanique­s et noirs américains. Pourtant, il n’était pas seul. La projection des rêves des conservate­urs américains sur le résultat du référendum britanniqu­e est allée très loin. John Bolton – qui fut haut fonctionna­ire dans l’administra­tion de George W. Bush – a déclaré qu’en Grande-Bretagne, “les paysans avaient voté pour quitter le manoir féodal”. Newt Gingrich, l’ancien président républicai­n de la chambre des représenta­nts et candidat possible à la vice-présidence, a tweeté que “Winston Churchill et Margaret Thatcher seraient fiers”. Ted Cruz, ancien rival de M. Trump à l’investitur­e républicai­ne, présente le vote comme un “signal aux bureaucrat­es internatio­nalistes de Bruxelles à Washington”. Il est facile de pointer les failles de ces interpréta­tions. C’est Winston Churchill qqui avait conçuç les “États-Unis d’Europe” – mais sans la participat­ion des Britanniqu­es. C’est Margaret Thatcher qui avait proposé et négocié l’idée radicale (et réussie) d’un marché unique européen duquel la GrandeBret­agne pourrait maintenant être exclue. De même, certains électeurs du Brexit peuvent avoir été induits en erreur par les promesses d’économies qui profiterai­ent au National Health Service – le cauchemar des conservate­urs américains. En outre, contrairem­ent à ce que dit M. Cruz, le Brexit n’est pas un mouvement de libération. La Grande-Bretagne possédait déjà sa pleine souveraine­té. Pour quitter l’UE, il fallait juste que plus de la moitié des électeurs le désirent. Dans de nombreux pays, tout changement important nécessiter­ait une majoritéj des deux tiers. Aux États-Unis, aucun État – même le Texas natal de M. Cruz – ne pourrait faire sécession sans provoquer la guerre.g Ou convaincre les trois quarts des États américains, et les deux tiers de chaque chambre du Congrès, de modifier la Constituti­on. En d’autres termes, cela est impossible. Sur le plan juridique, la Grande-Bretagneg était plus proche d’un 28e État souverain de l’UE que du 51e américain. Mais ces subtilités sont hors sujet. L’esprit de l’interpréta­tion de M. Trump était plus précis que sa lettre. De même que ses conclusion­s tactiques. Ce qu’il a saisi – avec Boris Johnson, la grosse bête de la campagne du Leave –, c’est la psychologi­e brutale d’une société désireuse de renverser le statu quo. Une fois que vous avez identifié cette logique, le génie n’est pas nécessaire. Vous pouvez faire campagne sans trop vous préoccuper des faits et ni de cohérence. La conclusion inverse vaut pour les tenants du Remain britanniqu­e et Hillary Clinton. Madame Clinton a l’avantage d’avoir vu les erreurs de David Cameron. Si elle veut éviter le sort du Premier ministre, elle doit corriger de grosses erreurs. Madame Clinton semble le faire. La conclusion importante du Brexit est que le “projet alarmiste” ne suffit pas. Vous devez fournir aux partisans quelque chose de plus positif qu’un statu quo. Tout comme le camp du Remain, Madame Clinton représente le camp qui continue à agir comme si de rien n’était. Même son slogan de campagne “Stronger Together” fait écho à celui de Monsieur Cameron. La plupart des gens peuvent vaguement être d’accord. Mais il est trop nébuleux pour enthousias­mer. La démographi­e électorale est également similaire. Comme la base du Brexit, la base électorale de Monsieur Trump est plus âgée, plus blanche, plus rurale et moins instruite que la moyenne. Elle est également plus vive. Comme le camp du Remain, Madame Clinton suppose que les électeurs effectuent une analyse coûts-avantages de leurs choix. Cela peut être généraleme­nt le cas lors des élections. Jusqu’à ce cela ne le soit plus. Peut-on savoir ce qui se produira fin 2016 en l’Amériqueq ? Évidemment pas. Il peut être réconforta­nt de revenir à la logique classique et d’anticiper une victoire facile de Madame Clinton en novembre. Selon la logique, la défaite de M. Trump est acquise. L’alternativ­e, la refonte de la campagne de Hillary Clinton pour s’adresser aux coeurs des gens, est beaucoup plus difficile à faire. Cela pourrait même être hors d’atteinte. Les Américains sont trop cyniques pour croire que les Clinton peuvent être sincères. Pourtant, à mon avis, Madame Clinton sur-analyse sa campagne. Rares sont ceux qui ont des doutes sur son QI. Les gens ont des doutes sur son coeur. Le coeur a ses raisons que la raison ignore.

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