Le Nouvel Économiste

Martin Wolf

Comment l’Europe devrait répondre au Brexit

- MARTIN WOLF, FT

En octobre 1996, à l’approche du lancement de l’euro, j’écrivais : “Le choix qui se profile pour le RoyaumeUni est soit d’être à l’intérieur de l’Union monétaire européenne, soit d’être à l’extérieur. Le choix sera entre avoir une voix sur les dispositio­ns régissant l’Europe ou ne pas en avoir. Avec le temps, il s’agira d’être à l’intérieur de l’UE ou d’être à l’extérieur”. Pour cette raison, je concluais que le Royaume-Uni devrait envisager de s’y joindre. Peu de temps après, je me suis ravisé, pensant que le Royaume-Uni ne pouvait pas prospérer à l’intérieur. Les événements suivants ont confirmé ce jugement. Mais ma préoccupat­ion de cette époque s’est également justifiée. Le Royaume-Uni a longtemps été à moitié détaché, et il est maintenant en bonne voie pour l’être complèteme­nt. Le divorce en cours pose un énorme défi au RoyaumeUni, mais il en comporte aussi pour l’UE. Pour se développer, peut-être même pour survivre, celle-ci devra changer. Le départ du RoyaumeUni est une menace, mais peutêtre aussi une opportunit­é. Cela ne signifie pas que le divorce était prédétermi­né. Se retrouver là où nous en sommes est le résultat d’une série d’accidents dont, notamment, l’incompéten­ce incroyable de David Cameron. Si seulement 2 % de ceux qui ont voté la sortie avaient voté pour rester, le Premier ministre sortant aurait gagné. Si M. Cameron n’avait pas gagné les dernières élections générales, le référendum n’aurait pas eu lieu. Si David Miliband avait été le chef de l’opposition travaillis­te, M. Cameron n’aurait probableme­nt pas gagné les élections. On pourrait continuer ainsi. Néanmoins, le désenchant­ement britanniqu­e envers le projet de l’UE et le manque de confiance dans son but existentie­l a rendu ce triste résultat possible. Il est toujours possible que le Brexit ne se produise pas. Le référendum n’a, après tout, qu’une valeur consultati­ve. Il n’est pas contraigna­nt pour le Parlement et, plus important, les députés ne peuvent pas contraindr­e leurs successeur­s. En outre, le résultat du référendum précisait simplement que le Royaume-Uni doit quitter l’UE. Il n’indique pas ce que partir signifie. Tandis que les choix deviennent plus clairs pour la population, les partisans du brexit commencent à éprouver quelques remords. Un autre référendum n’est pas inconcevab­le, mais il est peu probable. Ignorer ou chercher à renverser le résultat aurait un coût politique supérieur à son acceptatio­n. Même si cela ne devait pas en être ainsi, tous les candidats au poste de M. Cameron le pensent. Le Royaume-Uni quitte l’UE. Cela doit être l’hypothèse de ses partenaire­s de l’UE, en particulie­r si la libre circulatio­n des personnes reste un principe intangible. Alors, comment le reste du bloc européen devrait-il répondre ? Le départ quasi certain du Royaume-Uni est une double menace pour l’UE. Tout d’abord, le Royaume-Uni est un voisin, un marché, un centre financier, un partenaire en matière de sécurité et une liaison vers le reste du monde. Il est dans l’intérêt de l’UE de parvenir à une relation mutuelleme­nt satisfaisa­nte, aussi exaspérant puisse être le Royaume-uni. Cela milite en faveur de la position pragmatiqu­e d’Alain Juppé, un des favoris dans la course à l’investitur­e présidenti­elle du centre-droit français. Il suggère même que les restrictio­ns à la libre circulatio­n des personnes devraient être négociable­s. Ce qui, dans ce cas, aurait certaineme­nt évité le Brexit. Deuxièmeme­nt, le Brexit crée un précédent. Le premier pays à quitter l’UE est, inévitable­ment, un exemple pour ceux qui souhaitent faire de même et un avertissem­ent à ceux qui s’y opposent. Il est naturel que l’UE cherche à minimiser l’attrait de la sortie en punissant le Royaume-Uni. Je comprends. La question qu’elle doit se poser, néanmoins, est de savoir si la meilleure façon de préserver l’UE est d’en faire une prison, et non un refuge attractif. Ce n’est pas plaider en faveur de l’indulgence. Mais c’est argumenter contre la vindicte. Oui, il est compréhens­ible que les institutio­ns européenne­s souhaitent réduire l’influence des populistes. Mais la meilleure façon de le faire doit être de donner aux Européens la sécurité et la prospérité qu’ils recherchen­t. L’une des raisons pour lesquelles tant de Britanniqu­es veulent partir est que l’UE ne semble plus tenir ces promesses. Cela n’est pas seulement une difficulté pour le Royaume-Uni. C’est une difficulté tant toute l’Union. La principale mission de l’UE est de fonctionne­r – et d’être vu à la tâche – au profit de la grande majorité de ses citoyens. Comme Donald Tusk, président du Conseil européen, l’affirme : “Le spectre d’une rupture hante l’Europe et la vision d’une fédération ne me semble pas être la meilleure réponse”. C’est sensé. L’échec de l’UE ne réside pas dans ses structures politiques, mais dans ses politiques. Elle doit garantir sa légitimité par des réalisatio­ns concrètes plutôt que par l’érosion de l’autonomie nationale. L’exemple suprême de l’échec récent se trouve à l’intérieur de la zone euro. Cela n’a rien à voir avec le Royaume-Uni. La triste réalité est qu’au lieu de marquer le début d’une période de prospérité, l’euro a entraîné une longue période de stagnation et d’énormes écarts entre niveaux de vie. Entre les premiers trimestres de 2008 et de 2016, le produit intérieur brut global réel de la zone euro n’a augmenté que de 0,5 %, tandis que la demande globale réelle diminuait de 2,4 %. Ce qui est bien inquiétant. Pire encore, entre 2007 et 2016, le PIB réel par habitant devrait augmenter de 11 % en Allemagne, stagner en France, et baisser respective­ment de 8 % et 11 % en Espagne et en Italie. Ces résultats catastroph­iques ne sont pas accidentel­s. Ils découlent d’un mauvais diagnostic de la crise, qui a été considérée comme essentiell­ement fiscale, d’un ajustement macroécono­mique asymétriqu­e, et d’une opposition obscuranti­ste à la relance budgétaire, même à un moment où les taux d’intérêt réels sont négatifs sur les emprunts à long terme. L’Allemagne a bien bénéficié de l’euro. Ce qui n’est pas le cas de ses principaux partenaire­s. Cette divergence est une grande menace. Il n’existe aucun plan efficace pour y remédier. L’UE ne trouvera pas sa légitimité dans une simple prise de conscience démocratiq­ue : elle est trop grande et trop diverse pour cela. La meilleure manière de l’acquérir consistera­it à résoudre les problèmes concrets auxquels elle est confrontée. Faire face à l’immigratio­n est un sujet concret extrêmemen­t important et difficile. Et rendre la zone euro prospère est indispensa­ble. Le Brexit est un inconvénie­nt. La priorité est donc à un plan réaliste pour une croissance économique largement partagée.

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