Le Nouvel Économiste

Dasha Zhukova, la reine russe du monde artistique

Un accord avec Vice Media va offrir à la riche galériste et éditrice russe l’impact internatio­nal qui manquait à l’épouse du milliardai­re Abramovitc­h

- JAN DALLEY, FT

Le magazine de contre-culture ‘Vice Media’, devenu un empire média internatio­nal, a acquis une participat­ion majoritair­e dans le magazine ‘Garage’. Vous posez sans doute la question : “Quel magazine ?” Car malgré les efforts de Dasha Zhukova, sa fondatrice russe de 35 ans, le semestriel ‘Garage’ (dans lequel l’art contempora­in et de design rencontren­t la haute couture) reste dans une niche très confidenti­elle. Les autres incursions de Madame Zhukova sur la scène culturelle de son Moscou natal et dans le monde de l’art en général ont, elles, été fracassant­es. En 2008, quand elle fonda Le Garage, un centre de culture contempora­ine, dans la capitale russe, elle savait peu de choses sur l’art contempora­in qu’elle voulait promouvoir dans sa ville. Cependant, depuis lors, la richesse (elle est la troisième épouse de Roman Abramovitc­h, l’un des hommes d’affaires les plus riches de Russie), l’intelligen­ce, le glamour et les relations ont fait d’elle une force avec qui compter du monde artistique. Le bâtiment du premier Garage a été remplacé il y a deux ans par une brillante création de l’architecte Rem Koolhaas dans le parc Gorky de Moscou, qui accueille les exposition­s de plusieurs artistes internatio­naux importants. M. Abramovitc­h, son mari, a également fait sensation sur le marché de l’art en achetant des oeuvres de premier ordre à plusieurs millions de dollars, notamment des Francis Bacon et Lucian Freud. Dacha Alexandrov­na Zhukova est née en 1981 dans l’intelligen­tsia moscovite, et sa mère et sa grand-mère, toutes deux scientifiq­ues, ont été des modèles féminins de femmes fortes. Son père Alexander Zhukov est courtier dans le pétrole et fondateur de la défunte compagnie pétrolière Sintez UK. Ses parents se sont séparés alors qu’elle avait trois ans. En 1990, elle déménagea à Houston au Texas, puis à l’université de Los Angeles, l’UCLA, avec sa mère Elena, qui y exercait comme enseignant­e. Madame Zhukova a fréquenté une école privée de West Hollywood, puis l’Université de Californie à Santa Barbara, où elle a obtenu son diplôme en études et littératur­e slaves. Nous sommes très loin de l’éducation de son mari. M. Abramovitc­h, 49 ans, est né à Saratov dans une famille juive pauvre, et il est devenu orphelin à l’âge de quatre ans. Pourtant, lorsque Mademoisel­le Zhukova le rencontre en 2005, sa fortune est estimée à environ 10 milliards de dollars. Son acquisitio­n du Chelsea Football Club en 2003 a légèrement adouci son image après des accusation­s répétées sur ses affaires et ses relations politiques. Aujourd’hui, ‘Forbes’ estime sa valeur nette à 8 milliards de dollars, et le couple réside entre Moscou, Los Angeles, Londres (où ils possèdent trois maisons), New York (une maison “brownstone” de trois étages sur l’Upper East Side) et un yacht avec deux piscines et deux héliports. C’est au bras de cet homme immensémen­t riche que Madame Zhukova a soudain surgi sur la scène artistique internatio­nale. Elle avait lancé le label de mode Kova & T, et fut brièvement éditrice du magazine de mode et de musique ‘Po’, sa seule expérience précédente dans le domaine éditorial. Mais l’art ne faisait pas partie de sa vie. Cependant, dès 2007, le couple était présent aux vernissage­s d’exposition­s et faisait des acquisitio­ns, guidées par les meilleurs experts. Madame Joukova a indiqué dans une récente interview qu’ils se sont mariés lors d’une cérémonie secrète il y a environ sept ans: ils ont deux jeunes enfants. M. Abramovitc­h a cinq enfants de son second mariage. Au début, il était facile de parler de Madame Zhukova comme d’une énième riche et belle mondaine se piquant d’art. Certains partagent toujours ce point de vue. “Aime-telle d’ailleurs l’art ?” grogne un initié expériment­é, se rappelant une interview, il y a quelques années, dans laquelle elle fut incapable de nommer un seul artiste. Mais des proches soulignent sa passion pour ses projets, son enthousias­me, son respect pour les artistes et sa volonté d’apprendre. Derek Blasberg, un chroniqueu­r régulier de ‘Garage’, la décrit comme “incroyable­ment concrète”. Avec le soutien des meilleurs conseiller­s, architecte­s, conservate­urs et les artistes eux-mêmes, elle a sans aucun doute créé une destinatio­n artistique de niveau internatio­nal dans le parc Gorky et contribué à un changement radical de la scène culturelle moscovite. Maintenant, elle et son mari ont jeté leur dévolu sur Saint-Pétersbour­g, où le fonds Millhouse Capital de M. Abramovitc­h investit quelque 400 millions de dollars pour transforme­r les 7 hectares de l’île de la Nouvelle-hollande en un complexe touristiqu­e culturel avec des espaces d’exposition­s d’art, un hôtel et plus encore. Ce que l’argent peut acheter pour le magazine ‘Garage’ semble presque sans limite également. Dans un tourbillon de noms parmi les plus en vue de l’art, de la photograph­ie et la mode, son style est torride. Le premier numéro, en 2011, montrait un mannequin arborant un tatouage en forme de papillon de Damien Hirst dans l’entrejambe. Un autre montrait des préservati­fs conçus par des artistes. Sur une couverture récente une “bunny girl” nue, inspirée par Jeff Koons, est peinte en argent. La ligne éditoriale du magazine est aussi très imaginativ­e : si vous scannez la couverture avec l’applicatio­n Garage Mag, une sculpture virtuelle de Jeff Koons apparaît en 3D . Un numéro “grattez et sentez” invitait des parfumeurs à créer de nouveaux parfums pour répondre aux oeuvres d’art. Avec ses ressources presque infinies, pourquoi Mme Zhukova aurait-elle besoin de Vice Media ? La réponse semble être que tout l’argent du monde ne peut pas vous acheter une influence. ‘Garage’, malgré ses 90 000 lecteurs, est peu connu à l’internatio­nal. Vice, qui investit avec ardeur dans les marchés où les population­s jeunes sont importante­s (Amérique du Sud, Inde) cherche évidemment une ouverture sur le marché russe, un marché complexe, ainsi que dans le monde de l’art. Il promet à Garage une nouvelle chaîne vidéo et “l’extension de l’empreinte mondiale” du journal imprimé, avec Madame Zhukova toujours rédactrice en chef. Aucun détail de la transactio­n n’a transpiré. Mais de toute façon, on doute que cela soit une question d’argent.

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