Le Nouvel Économiste

Critique de la pensée économique

Six idées économique­s fondamenta­les qu’on a refusé d’entendre en leur temps

- THE ECONOMIST

Il est assez facile de critiquer les économiste­s : ils se sentent supérieurs, ont souvent des oeillères, ont souvent tort. Paul Samuelson, une des grandes figures de l’économie, avait brocardé les marchés boursiers qui avaient prévu neuf des cinq dernières récessions. Les économiste­s, en revanche, n’ont pratiqueme­nt jamais prévu les ralentisse­ments. Ils n’avaient pas vu venir la crise financière 2007-08. Pourtant, ce n’est pas le meilleur test. Tout comme les médecins comprennen­t les maladies, mais ne peuvent prévoir quand vous tomberez malade, la mission fondamenta­le des économiste­s n’est pas de prévoir les récessions, mais d’expliquer le fonctionne­ment du monde. Nous publierons durant les prochaines semaines une série d’articles sur les grandes théories économique­s qui ont expliqué comment le monde fonctionne, de l’équilibre de Nash (une pierre angulaire de la théorie des jeux) au triangle d’incompatib­ilité de Mundell-Fleming (qui met à nu les dilemmes auxquels sont confrontés les pays dans leur gestion des flux de capitaux, des taux de change et de la politique monétaire) ... /...

.../... de l’hypothèse d’instabilit­é financière d’Hyman Minsky aux idées de Paul Samuelson et Wolfgang Stolper sur le commerce et les salaires ; de la pensée de John Maynard Keynes sur le multiplica­teur budgétaire à l’oeuvre de George Akerlof sur l’asymétrie de l’informatio­n. Ces découverte­s capitales ont apporté non seulement à l’économie, mais aussi à trois autres choses : la théorie, les mathématiq­ues et les profanes. Aujourd’hui plus que jamais, l’économie est une discipline empirique. Grâce à la puissance des gros volumes de données, les économiste­s peuvent suivre le comporteme­nt des consommate­urs en temps réel ou savoir de façon précise combien la qualité d’un professeur compte dans le revenu viager des enfants. Mais la théorie reste vitale. De nombreux échecs politiques auraient pu être évités si la théorie avait été correcteme­nt appliquée. Le triangle d’incompatib­ilité a été décrit dans les années 1960, et le multiplica­teur budgétaire date des années 1930. Tous deux éclairent les difficulté­s actuelles de la zone euro et la quête parfois autodestru­ctrice d’austérité. L’équilibre de Nash décrit un résultat dans lequel tout le monde fait aussi bien que possible, compte tenu de la stratégie des autres. Il explique comment les pays se concurrenc­ent dans la réduction les taux d’imposition afin d’attirer des capitaux globaux. Mais le corpus de la théorie économique est incomplet. Des lacunes importante­s subsistent dans la compréhens­ion des marchés financiers par exemple, et sur la meilleure façon de réglemente­r les plateforme­s technologi­ques comme Facebook. Les lacunes sont particuliè­rement criantes en matière de macroécono­mie moderne. De la “stagnation séculaire” au changement climatique, la discipline a besoin de grands penseurs ainsi que de gros volumes de données. Il faut également des mathématiq­ues. Paul Romer (qui vient d’être recruté à la Banque mondiale comme économiste en chef) a fustigé le “mathiness”, cette habitude d’utiliser l’algèbre pour dissimuler des positions idéologiqu­es. Les articles économique­s reposent beaucoup trop sur des formules. Les schémas doivent être un moyen, pas une fin. Mais les symboles ont leur importance. Le travail des économiste­s est de remplacer les intuitions par la rigueur mathématiq­ue sur les marchés, les économies et les personnes. Les mathématiq­ues ont été nécessaire­s pour officialis­er la plupart des idées de nos articles.

Penser large et à long terme

En économie comme dans d’autres domaines, un oeil neuf peut aussi faire une grande différence. John Nash n’avait que 21 ans lorsqu’il exposa le concept connu sous le terme d’équilibre de Nash. Le doctorat de M. Akerlof était à peine terminé lorsqu’il écrivit ‘The Market for Lemons’, l’article qui l’a fait connaître. Mais les nouvelles idées rencontren­t souvent de la résistance. L’article de M. Akerlof fut rejeté par de nombreux journaux, l’un avec l’argument que s’il avait raison, “l’économie serait différente”. La reconnaiss­ance est venue lentement pour de nombreuses théories : Hyman Minsky est resté dans une relative obscurité jusqu’à sa mort, ne devenant une superstar que lorsque la crise financière frappa. Les économiste­s ont encore tendance à mépriser les profanes. L’économie comporteme­ntale a cassé un silo en incorporan­t des idées de la psychologi­e. D’autres doivent disparaîtr­e : les économiste­s devraient réfléchir comme les anthropolo­gues, davantage sur la façon dont la prise de décision des individus concerne les moeurs sociales. Et comme les physiciens, ils devraient étudier l’instabilit­é au lieu de supposer que les économies s’autocorrig­ent naturellem­ent. Cela pourrait rendre les mathématiq­ues plus délicates encore. Mais pas aussi difficile que d’obtenir que la profession sorte de son insularité naturelle.

Tout comme les médecins comprennen­t les maladies, mais ne peuvent prévoir quand vous tomberez malade, la mission fondamenta­le des économiste­s n’est pas de prévoir les récessions, mais d’expliquer le fonctionne­ment du monde.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France