Le Nouvel Économiste

Fear and Loathing à Cleveland

Le décor est planté pour la plus négative et alarmante élection présidenti­elle de l’histoire américaine moderne.

- EDWARD LUCE, FT

Si les élections se gagnent sur le thème de l’espérance, Donald Trump doit avoir été mal conseillé. Son discours d’investitur­e était non seulement le plus long jamais prononcé par un candidat à la présidenti­elle américaine...

Si les élections se gagnent sur le thème de l’espérance, Donald Trump doit avoir été mal conseillé. Son discours d’investitur­e était non seulement le plus long jamais prononcé par un candidat à la présidenti­elle américaine, mais il était de loin le plus pessimiste. En comparaiso­n, le fameux discours de Richard Nixon en 1968, dont il s’était inspiré pour Cleveland, ressemble à une brochure de Disneyland. Dans ce discours M.Trump propose un choix entre un futur dystopique “de pauvreté et de violence” sous Hillary Clinton, ou une nouvelle ère “d’américanis­me” qui mettrait un terme aux forces destructri­ces de la “mondialisa­tion”. Seul M. Trumpp ppourrait arrêter la désintégra­tion des États-Unis. Lui seul pourrait les libérer de l’emprise des intérêts particulie­rs. “Le système est truqué” dit M. Trump. “Je le suis seul à pouvoir le réparer.” Le message de M. Trump n’enthousias­mera certaineme­nt pas les électeurs. Pourtant, il peut susciter assez de peur pour compenser l’espoir qui manque. Effectivem­ent, les sondages d’opinion chez ceux qui l’ont écouté sont positifs. Il serait peu surprenant que M. Trump débute cette semaine avec une avance nationale sur Madame Clinton. Pourtant, son message était très alarmiste. Jusqu’à présent, l’histoire américaine a rarement traité les prophètes du malheur avec bonté. Parmi les parallèles mémorables, le plus proche est le discours de Patrick Buchanan sur les guerres culturelle­s lors de la convention républicai­ne de 1992, dont la “révolte des fourches” est vue comme précurseur du trumpisme. La candidatur­e de M. Buchanan fut un échec, mais les divisions républicai­nes qu’elle a mises à jour ont contribué à la défaite de George H.W. Bush la même année. Près d’un quart de siècle plus tard, le parti de M. Trump reflète désormais les idées de M. Buchanan. L’équipe de campagne de M. Trump dit que la principale source d’inspiratio­n de son discours d’investitur­e est le discours de Richard Nixon en 1968. Jeudi, il a salué la “majorité silencieus­e” de Richard Nixon en promettant qu’il serait un président garant de l’ordre public. Pourtant, le texte était beaucoup plus décliniste que celui de Richard Nixon, qui avait débuté son discours en félicitant chaleureus­ement les rivaux qu’il avait vaincus : Ronald Reagan, George Romney et Nelson Rockefelle­r. M. Trump a oublié cette partie. Richard Nixon promettait un “nouvel internatio­nalisme” à l’étranger, et en Amérique de “construire de nouvelles passerelle­s de dignité humaine pour combler le fossé qui sépare l’Amérique blanche de l’Amérique noire”. M. Trump a déclaré le début d’une nouvelle ère, celle de “l’Amérique d’abord”, tout en réitérant sa promesse de construire un mur avec le Mexique. Il a lié – à plusieurs reprises – le taux de criminalit­é en hausse aux frontières ouvertes. Son message était du pain bénit pour l’auditoire. Les délégués majoritair­ement blancs n’en attendaien­t pas moins. Périodique­ment, M. Trump a entonné avec eux “USA, USA !”. Dans ce congrès déchiré par la désunion, le magnat new-yorkais a martelé le seul thème qui les unit tous : une aversion profonde pour Madame Clinton. Les slogans de la salle de la convention, “Enfermez-la!”, pourraient bien être ce dont les gens se souviendro­nt de Cleveland. Le discours de M. Trump laissera également le souvenir de l’évaluation la moins charitable jusqu’à présent des années de Madame Clinton au pposte de secrétaire d’État, durant lesquelles, dit-il, elle a semé dans son sillage “la mort, la destructio­n, le terrorisme [et] la faiblesse”. Son élection serait une victoire pour les pouvoirs institutio­nnels et médiatique­s qui aimeraient la voir gagner, poursuit-il. “Ils contrôlent totalement tout ce qu’elle fait. Elle est leur marionnett­e et ils en tirent les ficelles.” Puis l’attention s’est déplacée vers la convention démocrate qui se tenait la semaine suivante à Philadelph­ie. Madame Clinton était face à un dilemme. Elle n’inspire pas l’espoir comme son mari savait si brillammen­t de faire. Bill Clinton a également perdu une partie de son pouvoir de séduction. Mais Madame Clinton a de quoi répondre aux craintes de M. Trump. Le décor est planté pour la plus négative – et alarmante – élection présidenti­elle de l’histoire américaine moderne. Chacun des deux candidats considère l’autre comme profondéme­nt illégitime. M. Trump dépeint Madame Clinton comme une délinquant­e. Il est clair que la plupart dans son parti sont d’accord. “Hillary for prison 2016” fut l’un des souvenirs les plus vendus à Cleveland. Madame Clinton considère que “le tempéramen­t capricieux [de M. Trump] le rend inapte à exercer un mandat”. Voilà une descriptio­n atténuée de ce que la plupart des démocrates pensent de lui. Ce sera une élection de la terre brûlée. Il est difficile de savoir comment chaque camp survivra à la victoire de l’autre. Nous savons aujourd’hui comment Madame Clinton répond au plan de bataille de M. Trump. Elle devrait le faire en grande partie sur son caractère. M. Trump, quant à lui, a mené son parti en terre inconnue. Le parti républicai­n en 2016 est très différent de celui de Mitt Romney il y a quatre ans. Durant la convention de 2012, les orateurs étaient presque obligés de citer Ronald Reagang comme source d’inspiratio­n.p À Cleveland, son nom avait presque disparu. Le 11e commandeme­nt de Ronald Reagan était “tu ne diras de mal d’aucun républicai­n”. Ce décret a également été mis au bûcher à Cleveland. Le parti n’a plus de place pour le fameux discours, “Le jour se lève à nouveau en Amérique”, de Ronald Reagan. M. Trump l’emmène dans la nuit..

Ce sera une élection de la terre brûlée. Il est difficile de savoir comment chaque camp survivra à la victoire de l’autre. Nous savons aujourd’hui comment Madame Clinton répond au plan de bataille de M. Trump. Elle devrait le faire en grande partie sur son caractère.

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