Le Nouvel Économiste

Frexit, fiction

Ce qui se passerait si la France décidait de qquitter l’Union européenne ? Seule la politique-fiction permet de l’imaginer.

- THE ECONOMIST Suite page 2

Un an à peine après sa victoire à la présidenti­elle,, Nicolas Sarkozy y apparut sur le perron del’Élyp sée et admit sa défaite. Le référendum était perdu. Le drapeau de l’Union européenne flottait toujours derrière lui, mais le président déclara qu’à son grand regret, la France, membre fondateur de l’UE, devait la quitter. Les instituts de sondage étaient abasourdis. M. Sarkozy tenta de faire bonne figure. “La France éternelle, dit-il, essayant d’imiter de Gaulle, avait enduré bien pire durant sa longue et glorieuse histoire.” Le meilleur était à venir. Et non, le président n’avait aucunement l’intention de démissionn­er. Son optimisme était inhabituel. M. Sarkozyy avait remportép un second mandat à l’Élysée en exploitant la peur (et en empruntant plusieurs idées à Donald Trump, qui avait raté de peu la Maison-Blanche). Lors des primaires des Républicai­ns, le parti français de centre droit, en novembre 2016, M. Sarkozy était revenu sans pitié sur “les années de cauchemars” du pays, avait blâmé ses dirigeants, .../...

.../... des faibles, les Eurocrates délirants qui n’avaient pas su mettre un terme à une sanglante série d’attentats. Dans cette atmosphère survoltée, le concurrent de M. Sarkozy, le raisonnabl­e M. Juppé, n’avait aucune chance. Les mêmes thèmes de campagne permirent à M. Sarkozy de passer le premier tour de la présidenti­elle l’année suivante. Mais la pression d’une Marine Le Pen, au plus haut dans les sondages et qui faisait campagne pour que la France sorte de l’UE, comme la Grande-Bretagne, obligea M. Sarkozy à battre le tambour nationalis­te encore plus fort. Un attentat déjoué de justesse, qui prévoyait de faire sauter la gare de Lille et avait été organisé par-delà la frontière belge, à Namur, figea l’impression que des frontières ouvertes mettaient en danger les vies françaises. M. Sarkozy finit par promettre un référendum sur l’appartenan­ce de la France à l’UE dans l’année qui suivrait son élection. Bien entendu, le référendum fut baptisé ‘Frexit’. Et M. Sarkozy remporta la présidenti­elle. Le Front national de Marine Le Pen exploita à fond la campagne pour le référendum, touillant de vieilles névroses françaises comme l’invasion d’une maind’oeuvre à bas coût venue d’Europe de l’Est, et de nouvelles, comme le sentiment anti-musulmans. M. Sarkozy fit vigoureuse­ment campagne pour que la France reste dans l’UE. Mais les électeurs eurent du mal à avaler ses tirades ennuyeuses sur la coopératio­n européenne après tant d’années passées à l’écouter dire le contraire. Les socialiste­s de l’opposition nageaient dans le désordre. Un article sombre (que certains disent raciste) paru dans ‘Le Figaro’, signé de l’excentriqu­e Michel Houellebec­q, accusa l’Europe d’“auto-crucifixio­n”, mais captaitp pparfaitem­ent le malaise général. À la fin, le résultat ne fut même pas équivoque : les Français votèrent pour quitter l’UE, à 55 % contre 45 %. Cet échec libéra M. Sarkozy qui put s’accorder une incursion dans les bas-fonds politiques. Il reprit sa vieille idée, celle de fermer la frontière avec l’Italie pour barrer la route aux réfugiés de la guerre civile en Libye. Quand on apprit qu’un réfugié arrivé en Belgique en 2015 avait joué un petit rôle dans le projet d’attentat de Lille, le président accusa la chancelièr­e allemande Angela Merkel d’avoir sacrifié la sécurité des Européens en ouvrant les frontières de son pays. Mme Merkel ne fut pas contente. D’autant plus que le cerveau de l’attentat éventé n’était pas un réfugié mais un enfant franco-algérien des banlieues de Paris. L’euro n’avait pratiqueme­nt joué aucun rôle durant la campagne du référendum. Le texte écrit à la hâte ne mentionnai­t même pas la monnaie. Les plus brillants cerveaux de Bruxelles se mirent au travail pour trouver un moyen de garder la France dans la zone euro après son ‘frexit’. Cela n’empêcha pas les marchés d’être au bord de la crise de nerfs. La France était après tout la deuxième économie de la zone euro. L’élite française croyait plus en l’Europe qu’en Dieu lui-même. Sans la locomotive française, quel espoir restaitil dans le projet européen ? Les rendements des bons du trésor en Grèce, au Portugal et en Italie s’envolèrent. Mario Draghi, président de la BCE, tenta en vain d’apaiser les investisse­urs. Après un sommet réunissant les 26 autres pays membres à Sofia, Mme Merkel déclara bravement que l’UE survivrait car “nous sommes toujours plus fort ensemble que séparés”. En Allemagne, sa popularité (qui diminuait après son élection à un quatrième mandat) s’envola elle aussi, aussi rapidement que les ‘Bunds’ où les investisse­urs terrorisés déversaien­t leur argent. Mais Mme Merkel reconnut qu’une modificati­on “capitale” du traité européen était nécessaire. Les ‘merkologue­s’ confirmère­nt que l’utilisatio­n de ce terme était une première pour la chancelièr­e.

Moins d’Europe

Il ne fallut pas longtemps pour que les vitesses changent à Bruxelles. Jean-Claude Juncker, le malheureux président de la Commission européenne, sauta du train avant qu’on ne le pousse dehors. Son appel aux Français, quand il les avait suppliés de ne pas tuer “notre belle Europe”, fut tourné en ridicule. Un message secret du ministre des Finances allemand Wolfgang Schäuble fut rendu public et devint le brouillon de l’organigram­me d’une commission radicaleme­nt élaguée : il proposait de supprimer le pouvoir de supervisio­n budgétaire et de la concurrenc­e de l’Europe. Durant un sommet convoqué en urgence, le job radicaleme­nt allégé de M. Junker fut confié à Donald Tusk, qui présida les sommets des dirigeants des pays européens. Mais les événements se précipitèr­ent. Mme Le Pen, nullement découragée, et M. Farage, l’euroscepti­que britanniqu­e, organisère­nt une tournée en Europe pour stimuler les nationalis­mes à coup de grands meetings baptisés “Printemps patriotiqu­es”. Les Pays-Bas et le Danemark commencère­nt à réclamer leur référendum. L’Espagne et le Portugal, ainsi que la plupart des pays d’Europe de l’Est, n’avaient pas cet appétit de destructio­n, mais pas de volonté non plus pour arrêter l’hémorragie. Les partis de gauche commencère­nt à perdre foi en l’UE. De la liberté de circulatio­n aux quotas de pêche, les gouverneme­nts défiaient ouvertemen­t les lois européenne­s et érodaient l’autorité de la commission. Le plus inquiétant fut sans doute la perte d’influence de l’Europe à l’étranger. La perspectiv­e d’une adhésion à l’UE devenant impossible pour la Serbie, les électeurs serbes se tournèrent vers les radicaux pro-Kremlin. La Bosnie s’effilocha. L’Ukraine, en dépit des grands efforts d’un Donald Tusk désespéré, s’éloigna encore plus de l’Europe, sombrant dans la corruption et les troubles. M.Sarkozy, affichant une mine de circonstan­ce, se rendit en GrandeBret­agne pour signer un accord de coopératio­n navale. Mais son voyage fut interrompu par une urgence en France et il dut rentrer précipitam­ment. Une explosion venait d’avoir lieu à Nantes et cela ne semblait pas être un accident.

Le résultat ne fut même pas équivoque : les Français votèrent pour quitter l’UE, à 55 % contre 45 %. Cet échec libéra M. Sarkozy qui put s’accorder une incursion dans les basfonds politiques

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