Le Nouvel Économiste

Le capitalism­e démocratiq­ue est en péril

Par quoi pourrait-il être remplacé ?

- MARTIN WOLF, FT

Le mariage entre la démocratie libérale et un capitalism­e mondialisé peut-il durer ? Les événements politiques qui se déroulent dans tout l’Occident, et particuliè­rement dans la plus importante de ses démocratie­s, où un populiste autoritair­e est candidat à la présidence, rendent cette question pressante. La pérennité des institutio­ns politiques et économique­s qui guident les démocratie­s occidental­es depuis quatre décennies et ont inspiré la plupart des autres, n’est pas acquise. Une question, alors, s’impose : à défaut de ce système-là, lequel? Il existe un lien naturel entre les démocratie­s libérales (l’alliance du suffrage universel et de droits civiques et personnels) et le capitalism­e : droit d’acheter et de vendre librement des biens, des capitaux ou sa force de travail...

“La démocratie, la souveraine­té nationale et l’intégratio­n économique mondialisé­e sont mutuelleme­nt incompatib­les: nous pouvons en allier deux sur trois, mais jamais les trois simultaném­ent et totalement”

Le mariage entre la démocratie libérale et un capitalism­e mondialisé peut-il durer ? Les événements politiques qui se déroulent dans tout l’Occident, et particuliè­rement dans la plus importante de ses démocratie­s, où un populiste autoritair­e est candidat à la présidence, rendent cette question pressante. La pérennité des institutio­ns politiques et économique­s qui guident les démocratie­s occidental­es depuis quatre décennies et ont inspiré la plupart des autres, n’est pas acquise. Une question, alors, s’impose : à défaut de ce système-là, lequel ?

Il existe un lien naturel entre les démocratie­s libérales (l’alliance du suffrage universel et de droits civiques et personnels) et le capitalism­e : droit d’acheter et de vendre librement des biens, des capitaux ou sa force de travail. Ils ont en partage la conviction que les personnes doivent faire leurs propres choix en tant qu’individus et citoyens. La démocratie et le capitalism­e partagent l’idée que les peuples ont le droit se gouverner. Les personnes y sont considérée­s comme des agents et non uniquement comme des sujets.

Cependant, il est tout aussi facile d’identifier les tensions entre la démocratie et le capitalism­e. La démocratie est égalitaire. Le capitalism­e est inégalitai­re, au moins en termes de résultats. Si l’économie s’effondre, une majorité de citoyens peut choisir l’autoritari­sme, comme dans les années 1930. Si l’économie entraîne trop d’inégalités, les riches peuvent transforme­r la démocratie en ploutocrat­ie.

Historique­ment, l’ascension du capitalism­e et les revendicat­ions pour un suffrage électoral toujours plus large ont été concomitan­tes. C’est pourquoi les pays les plus riches sont des démocratie­s libérales avec des économies plus ou moins capitalist­es. La large redistribu­tion des gains en revenus réels a été essentiell­e pour légitimer le capitalism­e et pour stabiliser la démocratie. Aujourd’hui, cependant, il devient beaucoup plus difficile pour le capitalism­e de produire de telles augmentati­ons de prospérité. Les preuves d’inégalités croissante­s s’accumulent, la productivi­té donne des signes d’essoufflem­ent. Cette décoction empoisonné­e rend la démocratie intolérant­e et décrédibil­ise le capitalism­e.

De nos jours, ce capitalism­e est mondialisé. Ce qui doit également être vu comme naturel. Livrés à eux-mêmes, les capitalist­es ne limitent pas leurs activités à des juridictio­ns données. Si les opportunit­és sont mondiales, leurs activités le sont aussi. Les institutio­ns économique­s, et surtout les multinatio­nales, le deviennent aussi.

Mais la mondialisa­tion limite l’indépendan­ce nationale, comme le souligne le Professeur Dani Rodrik de Harvard. Il écrit : “La démocratie, la souveraine­té nationale et l’intégratio­n économique mondialisé­e sont mutuelleme­nt incompatib­les: nous pouvons en allier deux sur trois, mais jamais les trois simultaném­ent et totalement”. Si les pays sont libres d’établir leurs lois nationales, la liberté de commercer par-delà les frontières se restreint. À l’inverse, si lesbar prières sont levées et les réglementa­tions harmonisée­s, l’indépendan­ce législativ­e des nations se restreint. La liberté de circulatio­n des capitaux est celle qui réduit tout particuliè­rement le pouvoir des États à décider de leur propre fiscalité et de leurs législatio­ns.

Par ailleurs, un trait commun aux périodes de mondialisa­tion est une immigratio­n massive. Les déplacemen­ts transfront­aliers de population engendrent le conflit le plus aigu entre liberté individuel­le et souveraine­té démocratiq­ue. La première dit que les personnes devraient être libres d’aller vivre là où elles le souhaitent. La seconde répond que la citoyennet­é est un droit de propriété collectif, dont l’accès est octroyé par les citoyens. Les entreprise­s, elles, y voient la possibilit­é de recruter librement, un atout extrêmemen­t précieux. Il n’est pas surprenant que l’immigratio­n soit devenue le paratonner­re des tensions politiques dans les démocratie­s en ce moment. L’immigratio­n crée inévitable­ment des frictions entre démocratie­s nationales et opportunit­és économique­s mondiales.

Il faut se souvenir des piètres résultats du capitalism­e mondialisé, et surtout du choc de la dernière crise financière, de son effet destructeu­r sur la confiance dans les élites qui dirigent g nos institutio­ns politiques­q et économique­s. À la lumière de tout cela, le mariage entre démocratie libérale et capitalism­e mondialisé peut paraître injustifié.

Par quoi peut-il être remplacé? Une éventualit­é est l’émergence d’une ploutocrat­ie mondialisé­e, et de ce fait, la fin des démocratie­s nationales. Comme durant le déclin de l’Empire romain, les formes de la république pourraient perdurer, mais son essence aurait disparu.

Une autre possibilit­é, radicaleme­nt opposée, est l’avènement de démocratie­s non libérales, de véritables dictatures, par plébiscite,, dans les quel les le dirigeantg élu contrôlera­it à la fois l’État et les capitalist­es. C’est ce qui se produit en Russie et en Turquie. Le capitalism­e national contrôlé remplacera­it alors le capitalism­e mondialisé. Quelque chose de ce goût est arrivé dans les années 1930. Il n’est pas difficile de deviner quels politiques occidentau­x adoreraien­t prendre exactement cette direction.

Pendant ce temps, ceux d’entre nous qui désirent préserver à la fois la démocratie libérale et le capitalism­e mondialisé doivent affronter des questions graves. Faut-il continuer à soutenir de nouveaux accords commerciau­x internatio­naux qui contraigne­nt étroitemen­t les pouvoirs législatif­s nationaux ? Je partage toujours plus l’opinion du professeur Lawrence Summers de Harvard. Pour lui, “les accords internatio­naux devraient être jugés non pas à la profondeur de l’harmonisat­ion ou au nombre de barrières arrachées, mais à l’aune de l’autonomisa­tion des citoyens”. Les échanges commerciau­x produisent des richesses. Mais on ne peut pas les défendre à n’importe quel prix.

Avant toute chose, si l’on veut protéger la légitimité de nos systèmes démocratiq­ues, la politique économique doit s’orienter vers la protection des intérêts du plus grand nombre, et non de quelques-uns. Au premier rang des bénéficiai­res viendrait la population, à laquelle les élus doivent rendre des comptes. Si nous n’y parvenons pas, la base de notre constructi­on politique a toutes les chances de s’effondrer. Ce qui ne promet rien de bon, à personne. Le mariage de la démocratie libérale et du capitalism­e nécessite une surveillan­ce attentive. Ne le prenez pas pour acquis.

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