Le Nouvel Économiste

Qui veut faire l’ange fait la bête

Le piège du chiffrage des programmes à la virgule près

- JEAN-MICHEL LAMY

Le charisme des programmes reste à démontrer. Mais quand ils deviennent un labyrinthe de propositio­ns chiffrées à la virgule près, c’est la porte ouverte au non-sens économique. La dynamique d’un PIB échappe par tous les côtés aux additions savantes d’un François Fillon ou d’un Bruno Le Maire...

Le charisme des programmes reste à démontrer. Mais quand ils deviennent

un labyrinthe de propositio­ns chiffrées à la virgule près, c’est

la porte ouverte au non-sens économique. La dynamique d’un PIB échappe par tous les côtés aux additions savantes d’un François Fillon ou d’un Bruno Le

Maire.

Le charisme des programmes reste à démontrer. Mais quand ils deviennent un labyrinthe de propositio­ns chiffrées à la virgule près, c’est la porte ouverte au non-sens économique. La dynamique d’un PIB échappe par tous les côtés aux additions savantes d’un François Fillon ou d’un Bruno Le Maire. Ces deux candidats à l’Élysée vantent pourtant la cohérence de leur jeu de constructi­on de l’architectu­re économique du pays pour cinq ans. C’est une cohérence de papier. La vraie vie est ailleurs, dans des interactio­ns délibéréme­nt ignorées et dans des chocs imprévus qui, inexorable­ment, bousculero­nt le schéma annoncé.

“Je sais où aller”

Pourquoi alors se ligoter à ce point dans un dédale de mesures pointillis­tes ? Par le souci de restaurer la crédibilit­é, perdue de longue date, de l’homme politique. “Façon de dire, je sais où aller”, prétendent-ils. En figeant dans un agenda leur parcours quinquenna­l, le duo Fillon (600 propositio­ns)-Le Maire (800 propositio­ns) pense renverser la vapeur. S’ils arrivent au pouvoir, ils prennent surtout le risque de se voir quotidienn­ement demander des comptes sur leurs engagement­s. Mine de rien, sur France 2, Nicolas Sarkozy a taclé leur méthode en refusant de répondre à des injonction­s pointillis­tes : “je ne suis pas secrétaire d’État au Budget” a-t-il lâché. C’est vrai, mille fois oui à la préférence pour la vision sur le moyen-long terme appuyée sur de fermes lignesg directrice­s. À ce propos, on ne saurait trop conseiller aux équipes de tous bords de s’inspirer des travaux de France Stratégie sur les “Enjeux 2017-2027” (La documentat­ion Française, sortie le 5 octobre). Tout y est, la liste des réformes souhaitabl­es, les blocages à surmonter, les options envisageab­les, les raisonneme­nts appropriés. Les candidats auront tout de même la tâche de sélectionn­er leurs priorités !

Le duo Fillon-Le Maire

Que retenir de la signature François Fillon ? Le projet est organisé autour d’une vingtaine de thèmes consultabl­es sur Internet. La faisabilit­é de l’ensemble est attestée par une logique de transferts financiers entre agents économique­s. Sur le quinquenna­t, les ménages apporteron­t au pot commun deux points d’augmentati­on du taux normal et intermédia­ire de TVA, soit 15 milliards d’euros, et la sphère publique 100 milliards d’économies. En face, François Fillon prévoit 40 milliards de baisse des prélèvemen­ts sur les entreprise­s et un reversemen­t de 10 milliards ciblés sur certains ménages. De son côté, Bruno Le Maire campe sur la même logique de bonneteau. Il table sur 85 milliards d’économies, une CSG qui “perd” 15 milliards d’euros au bénéfice des salariés et des retraités – pour mettre un coup d’arrêt à l’envolée des dépenses sociales –, un secteur “entreprise” qui engrange 13 milliards. Il y a convergenc­e avec François Fillon sur des dispositio­ns structurel­les, comme la diminution de 500 000 du nombre de fonctionna­ires avec retour aux 39 heures, le passage de la retraite à 65 ans, un taux unique d’imposition des produits du capital (proche de 30 % pour Fillon, de 25 % pour BLM), la suppressio­n de l’ISF.

Le juge de paix des Finances publiques

Dans cet avenir au chiffrage incertain, il y a le juge de paix des Finances publiques qui “boucle” les comptes de la Nation. De ce point de vue, il est frappant de voir que la courbe des objectifs 20122017 de baisse du déficit public du candidat Hollande à la présidenti­elle recoupe exactement, année après année, celle du candidat Fillon pour 2017-2022 ! Pour sa première année de quinquenna­t, 2012, François Hollande avait inscrit 4,5 % de PIB de déficit. Pour 2017, François Fillon anticipe 4,7 % de déficit. En fin de quinquenna­t, en 2017, c’était 0 % de déficit pour Hollande. En 2022, ce sera 0 % pour Fillon. Qu’en est-il aujourd’hui de la réalité de l’héritage laissé par le gouverneme­nt socialiste ? Bercy assure que l’an prochain, le déficit public sera limité à 2,7 % de PIB. “C’est bidon ! Parce que nous aurons entre 15 et 20 milliards de dépenses nouvelles non financées”, rétorque sur Europe 1 François Fillon, qui agrège différents gestes clientélis­tes pré-électoraux et des crédits d’impôts qui repoussent la facture dans le temps. Il y ajoute aussi les conséquenc­es de son propre programme en s’accordant un délai de deux ans avant de réduire la dérive déficitair­e. À quoi le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a répondu sur Europe 1 : “j’ai le devoir de faire le constat suivant, nous sommes attendus par tous nos partenaire­s européens sur le fait d’être en dessous de 3 % de déficit en 2017. La condition pour qu’on écoute la France en Europe, c’est qu’on nous croit”.

Des dérapages “bienvenus”

En fait, cette querelle sur le dérapage des “chiffres” arrange les uns et les autres. Les candidats à la primaire de la droite et du centre y trouvent une excuse pour s’affranchir en début de mandat de la règle des 3 % de Maastricht. Au motif que seul un creusement temporaire des budgets est compatible avec le contre-choc fiscal promis à la cantonade. En attendant bien sûr une croissance salvatrice née de la libération des énergies. Ces raisonneme­nts d’expert-comptable sommeillen­t depuis des décennies dans tous les cartons des programmes électoraux successifs de la droite. Avec le succès que l’on sait. Quant à François Hollande, c’est avec délectatio­n qu’il toise “ses” frondeurs. Pas un ne l’a critiqué pour lâcher les vannes budgétaire­s par rapport à ses engagement­s, et lors de la future primaire de la gauche, il pourra se prévaloir d’une “mini-relance” de fin de mandat. En prime, il l’a déjà fait, le président de la République peut faire la leçon à une droite qui exaspère par avance, pour son manque de crédibilit­é budgétaire, les partenaire­s européens. Voilà à quoi mène l’enfermemen­t dans des colonnes de chiffres qui ne démontrent rien. Qui veut faire l’ange fait la bête.

Pour une pédagogie des 100 milliards

Pourquoi d’ailleurs le chiffre rond de 100 milliards d’euros de coupes budgétaire­s fascine-t-il tant les grands leaders de la droite ? C’est celui de Nicolas Sarkozy, de François Fillon et d’Hervé Mariton. Alain Juppé oscille entre 85 et 100. Bruno Le Maire s’étant arrêté à 85. Eh bien parce que la dépense publique globale augmente quand on ne touche à rien – “ceteris paribus”, toutes choses égales par ailleurs, comme disent les économiste­s – de 20 milliards par an. Sur un quinquenna­t, cela représente 100 milliards ! Au lieu de créer un climat anxiogène sur le montant des économies, les “candidats” devraient simplement proclamer leur volonté de stabiliser la dépense publique à son très haut niveau de 2017, soit 1 270,9 milliards selon les prévisions de Valérie Rabault, la rapporteur­e générale de la Commission des finances de l’Assemblée nationale. Quitte à négocier avec les agents concernés des assoupliss­ements en relation avec le taux de croissance. La pédagogie passe aussi par un donnant-donnant – sans a priori. Sur ce registre, l’expertise de France Stratégie est à la dispositio­n de tous. Pour calibrer la cohérence d’ensemble et pour la prise en compte dans les projets de la perspectiv­e décennale, malgré un temps politique morcelé en quinquenna­t. Paradoxale­ment, de vrais technocrat­es pourraient aider de vrais politiques à sortir du piège technocrat­ique de la croyance en la magie par le chiffre. La réussite du prochain quinquenna­t se jouera, comme toujours, sur la capacité à maintenir un état de confiance pour pouvoir agir. Ce qui relève d’une alchimie politique qui n’a rien à voir avec un milliard par-ci, par-là programmé de toute éternité, fût-ce dans un document de 1 000 pages.

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