Olivier Duhamel Président de la Fondation nationale des sciences politiques “Les statuts de Sciences Po lui ont permis de développer en toute liberté un modèle pédagogique innovant”
La gouvernance bicéphale de Sciences Po est-elle un avantage pour son développement, ou un inconvénient ?
Nous avons mené ces dernières années une politique de développement universitaire majeur avec une hausse des effectifs, un développement international très fort et un développement de la recherche ; tout en gardant la sélectivité de notre recrutement, la professionnalisation de nos parcours et la diversification de nos ressources. Nous continuons d’assumer ce statut hybride qui fait notre différence, car nous considérons que les deux statuts, université et grande école, peuvent se compléter et se renforcer dans la mesure où nous pouvons emprunter à chacun “le meilleur des deux mondes”. Notre statut fonde notre autonomie. C’est le socle de notre identité : il nous permet d’être innovant dans tous les domaines – pédagogie, responsabilité sociale, recherche. C’est un atout précieux depuis près de 150 ans pour notre école.
Les inconvénients de la structure duale ont été pointés cette année par la Cour des comptes. Avez-vous l’intention de la changer ?
Combinaison de règles de droit privé et de droit public unique en France, les statuts de Sciences Po lui ont permis de développer en toute liberté un modèle pédagogique innovant, au coeur du service public de l’enseignement supérieur français. La réforme de janvier 2016 confirme cette architecture, tout en la clarifiant. Cela n’est pas un fonctionnement “classique”, puisque c’est un modèle unique en France, mais c’est un dispositif efficace, réactif, équilibré auquel nous sommes attachés. La France aime les catégories simples et pures. Pourtant, en matière de statut comme de gouvernance, 1+1 = 3. Nous additionnons les vertus du public, à commencer par la recherche de l’intérêt général, et les qualités du privé, au premier rang desquelles l’indépendance. Quant au bicéphalisme, qui d’ailleurs caractérise les constitutions des démocraties européennes, il permet au directeur de diriger et au président de présider – dans le sens donné aux chefs de nos États voisins : influencer souvent, arbitrer parfois, gouverner jamais. Ce modèle ne poserait problème qu’en cas de conflit entre le directeur et le président du conseil de la Fondation. Cela ne s’est quasiment jamais produit. Les présidents n’aspirent pas à devenir directeur. Les directeurs n’aspirent pas à devenir président. Cela aide.
Êtes-vous inquiet des risques et de la fragilité (dixit la Cour des comptes) d’un modèle économique reposant sur des subventions qui vont fléchir et des droits de scolarité plafonnés ?
L’État reste engagé auprès de Sciences Po puisque ses dotations sont stables. Pour nous développer, nous devons accroître nos ressources propres, qui comptent pour 56,7 % de nos ressources aujourd’hui. Cela exige du travail et de la créativité : développement de la formation continue, du mécénat, des chaires, etc. Pour maintenir une forte diversité sociale au sein de l’école, les droits de scolarité ne peuvent constituer notre unique ressource propre : notre école doit rester accessible à tous. Certains gardent de Sciences Po l’image, désormais révolue, d’une grande école assez bourgeoise. C’est en vérité une université d’excellence. On ignore trop souvent que Sciences Po est probablement l’établissement d’enseignement supérieur et de recherche le plus social de France. Environ 15 % de boursiers dans les grandes écoles ; 20 % dans les universités ; 30 % à Sciences Po, notamment grâce aux conventions d’éducation prioritaire. Nous préserverons les grandes mutations qui valent à Sciences Po sa reconnaissance internationale : qualité et originalité de ses enseignements, diversité sociale, et internationalisation avec près de la moitié de ses étudiants venus du monde entier.